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Au temps pour moi

Anice Lajnef, expert financier, montre comment l’endettement hypothèque notre avenir. Car le crédit nous plonge dans une course effrénée contre…le temps.

Vous connaissez certainement l’expression « le temps, c’est de l’argent » ? En réalité cette expression illustre parfaitement notre course contre le temps, dans notre espace socio-économique fondé sur l’endettement.
Prenons le cas de l’endettement. Lorsqu’un couple s’endette auprès d’une banque commerciale sur 25 ans pour l’achat de son habitation principale, la somme de monnaie nécessaire est créée sur les comptes de la banque à partir de rien. Peu de gens le savent, mais c’est au moment de l’octroi d’un crédit que 90% de la monnaie est créée.

En contrepartie de cette somme octroyée, le couple s’engage à rembourser la somme empruntée. C’est exactement cet engagement qui donne de la valeur à notre monnaie commune.

Cet engagement a d’autant plus de valeur que la banque a étudié en amont la solvabilité du couple en question. Mais surtout, une pression sociale couplée à une législation forte en faveur du système bancaire, rendent le remboursement quasi certain.

Notre monnaie moderne est donc solide car elle repose sur la confiance que la somme des engagements particuliers seront tenus. Mais à y voir de plus près, cet engagement que chacun de nous prend au moment de l’endettement, revient à gager notre futur au système bancaire.

En quelque sorte, la banque nous prête une somme d’argent en contrepartie de l’hypothèque de notre futur, en somme de notre propre personne.

Cette pression socioéconomique peut parfois être ressentie par les plus libres d’entre nous comme un esclavage dit moderne. Ce cas de figure concerne peu d’individus, au grand bonheur des instigateurs de ce modèle économique !

A l’occasion, sachant que la monnaie moderne est la coquille de l’endettement, toute monnaie que nous détenons est, en réalité, une fraction d’une dette contractée par un couple, une entreprise, ou l’Etat.

Dit autrement, toute monnaie échangée, est en réalité une fraction du futur d’un individu gagé auprès d’une banque.

Une autre conséquence encore plus étrange de ce système est la suivante. Comme la monnaie en circulation est à 90% la matérialisation de nos dettes, si chacun de nous décidait de rembourser ses dettes, la masse monétaire se contracterait d’une telle façon que notre modèle économique imploserait. Notre économie ne tient que par la dette.

Il va de soi qu’une économie qui repose sur la dette génère une pression sociale forte sur les individus.

Selon les statistiques publiées mensuellement par la Banque de France, en 2016, près de 200 000 dossiers de surendettements de ménages ont été suivis.

Cette pression sociale s’accompagne de souffrances psychiques alarmantes. A titre d’exemple, en 2012, selon le bilan de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 11,5 millions de personnes ont acheté 131 millions de boîtes de Xanax, Tranxène, Lexomil, Stilnox, Imovane, Valium…

Ces psychotropes ne sont-ils pas une manière pour nous dégager de la pression sociale exacerbée par un système bancaire pressant, de repousser au maximum notre seuil de résignation. En quelque sorte de mieux tolérer la pression d’un système fondé sur la dette.

La force des banquiers est d’avoir créé une monnaie qui est par construction une dette. Les banquiers ont donc utilisé la monnaie pour en faire la coquille de l’endettement. Ainsi, le système bancaire est devenu l’administrateur de nos dettes, tirant de cette activité les fameux « intérêts ».

De ce fait, notre économie repose sur le triptyque suivant : dette, consommation, puis travail. Dans notre modèle, le travail ne précède plus la consommation.

Le système a fait de nous des consommateurs pressés, incapables de patienter, mais surtout conditionnés pour nous endetter auprès des banquiers afin d’assouvir nos pulsions consuméristes.

En nous octroyons des crédits, les banquiers actualisent au présent notre travail futur. Pour cela, ils se rémunèrent par les « intérêts ». Par ce mécanisme, les banquiers viennent de faire du temps une denrée commercialisable. Ainsi, l’activité bancaire peut se définir comme la marchandisation du temps.

Est-il vraiment raisonnable d’avoir pour monnaie commune l’outil qui prolifère l’endettement au sein de notre société ? Notre monnaie est devenue le support de la marchandisation du temps. Quand la dette est publique, c’est l’avenir de nos générations futures que nous gageons. Qui sonnera l’alarme pour stopper cette course effrénée contre le temps ?

Aucune force politique et aucun économiste ne remet en cause notre système monétaire. On pourrait croire que cette question est politiquement à gauche. Paradoxalement, les hommes politiques de gauche, ainsi que les économistes de gauche, sont les plus friands d’endettements publics.

Qui peut donc stopper ce système ? Il s’interrompt généralement de lui-même. L’aspect exponentiel de l’endettement usuraire crée des bulles qui explosent tôt ou tard, de façon parfois très violente.

Dans le passé, ces bulles financières, finissent par éclater, laissant la place aux crises économiques, aux crises sociales, menant le plus souvent vers des guerres sanglantes.

De nos jours, une bulle écologique inédite liée à ce système est en train de se former. En effet, la surconsommation encouragée par un système construit autour de l’endettement, puise dans notre planète plus que ce que celle-ci peut régénérer. Pourtant, personne ne fait un lien entre l’écologie et notre système monétaire fondé sur l’endettement.

C’est bien l’explosion de cette bulle écologique qui risque de siffler la fin de la partie pour ce système capitaliste. En espérant qu’il restera une part de l’humanité pour réfléchir à un autre modèle économique.

Anice Lajnef

Ancien responsable trading dérivées actions dans plusieurs grands établissements financiers, Anice Lajnef écrit sur la finance notamment. Il analyse les problématiques actuelles socio-économiques entre Londres et Paris et prône une économie équitable et responsable.

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