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La Catalogne révèle l’impuissance des états nations

[#Sous un autre angle]

Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.

Les dirigeants politiques français et, plus généralement, leurs homologues européens, sont fort embarrassés s’agissant des événements en Catalogne. Difficile, en effet, d’adopter un point de vue manichéen à l’égard des velléités indépendantistes de plus en plus marquées, tant elles s’inspirent de motivations diverses et pas toutes dignes d’éloges, tant elles s’appuient sur des forces politiques composites.

Faut-il ainsi se féliciter de l’expression d’un nationalisme Catalan qui traduit notamment la volonté de profiter d’une relative prospérité économique pour se détacher d’un pays qui tarde à se relancer, après avoir subit, à plusieurs reprises, les conséquences de crises structurelles, sur lesquelles il n’avait pas toujours une prise directe ?

Pour dire les choses plus crûment, certains Catalans et pas parmi les plus nécessiteux, préféreraient ne plus avoir à se montrer solidaires des autres régions.  D’autres, ont remis au goût du jour, des aspirations politiques extrémistes qui s’éloignent sensiblement des valeurs qui ont été privilégiées dans les années qui ont suivi la disparition du franquisme, à commencer par celles de la démocratie.

La fébrilité du pouvoir central

Pour autant, ces aspirations ne sont pas nouvelles et force est de constater que ce qui leur donne un élan supplémentaire, de nature à captiver les médias toujours en quête de situations conflictuelles à mettre en scène, c’est d’abord et surtout la stupéfiante maladresse et la désolante fébrilité du pouvoir central.

Madrid avait beau jeu d’affirmer que le référendum organisé par le gouvernement Catalan sortait du cadre des institutions et était donc juridiquement entaché d’irrecevabilité.

D’ailleurs, les résultats, au-delà des cris de triomphe des organisateurs ont démontré que l’adhésion à l’idée même de l’indépendance n’était pas aussi largement partagée chez les Catalans que certains veulent bien l’affirmer.

42% de participation, même si on tient compte des obstacles mis à l’organisation de ce référendum, incitent évidemment à considérer avec circonspection les plus de 90% de oui. La détermination des Catalans à franchir le pas et à définitivement s’isoler n’est pas aussi acquise que cela.

Seulement voilà, les images des forces d’intervention, tout de noir vêtues et casquées, expulsant violemment des gens de tous les âges paisiblement installées dans un amphithéâtre, ont suffit à indigner l’opinion publique, bien au-delà de la Catalogne. Du coup, les provocateurs sont apparus comme des victimes. Et le mouvement, égoïste par nature, a pris l’allure d’un héroïque combat face aux libertés bafouées.

Même le Roi

Dans le même ordre d’idée, les discours des dirigeants madrilènes, dans les jours qui ont suivi, à commencer par ceux du Premier ministre, Mariano Raroy, ont plutôt contribué à mobiliser les manifestants et à resserrer les rangs, à Barcelone.

Même le Roi, qui s’est pourtant construit une image de modération, en particulier en raison de sa discrétion volontaire, a commis un discours dont on aura surtout retenu la grande dureté.

Une telle fébrilité est assurément contre-productive et elle est surtout en parfaite contradiction avec le bien fondé des arguments que le pouvoir central peut faire valoir.

Si elle a des effets aussi négatifs, c’est justement parce qu’elle souligne l’incapacité du gouvernement madrilène à proposer à l’ensemble des Espagnols un modèle suffisamment rassembleur et mobilisateur. Or, la brutalité est une bien piètre manière de masquer ces failles désolantes de l’état nation à assumer pleinement et sereinement son rôle.

L’actualité Catalane met en exergue cette réalité, en Espagne, mais elle se retrouve dans bien d’autres pays européens, même si elle s’exprime de différentes manières.

De la Pologne à l’Italie

On peut citer, par exemple, la Pologne, où d’importantes manifestations, ces derniers jours, ont révélé une louable réaction populaire contre une série de lois liberticides initiées par un gouvernement qui pratique un populisme de fort mauvais aloi.

Ou encore l’Italie, bien que la situation y soit toute différentes, mais où les déséquilibres de richesses entre le nord et le sud compromettent encore l’unité nationale et où l’on identifie un désarroi de la jeunesse de plus en plus prégnant, tout cela créant un terreau favorable à l’émergence d’un courant aussi déroutant et inquiétant que le fameux mouvement 5 étoiles de l’ineffable Pepe Grillo, médiocre amuseur devenu leader charismatique et déroutant.

Cette énumération, au demeurant partielle – on pourrait aussi évoquer la Grande-Bretagne et ses difficultés à organiser son Brexit et même l’Allemagne où la réélection de Mme Merkel ne fut pas sans ombre – ne saurait prendre le risque de comparer des situations qui ne le sont guère.

Simplement, elles traduisent, chacune à sa manière et avec ses spécificités, l’apparente impuissance des gouvernements des états nations à maîtriser les enjeux auxquels ils sont confrontés, à offrir des perspectives motivantes à des populations qui en ont pourtant cruellement besoin.

L’Europe en cause

Certains seront tentés d’en imputer la responsabilité majeure aux institutions européennes. Cette responsabilité n’est pas absente, tant il est vrai que c’est un équilibre qu’il convient de trouver, ce qui n’a pas encore été fait.

L’Europe c’est loin et son omniprésence est d’autant plus obsédante qu’elle se traduit bien souvent par des dispositions techniques et réglementaires, conformes à une approche des plus libérales, beaucoup plus que par une vision collective motivante qui fut peut-être celle des fondateurs mais s’est depuis estompée sous le choc des réalités socio-économiques, à commencer par l’écrasante marche en avant de la globalisation.

Et qu’en est-il de notre bonne vieille France Jacobine, où les pulsions régionalistes ne sont qu’un lointain souvenir ?

Eh bien, disons qu’elle commence déjà à se lasser des frasques de son jeune et fringant président qui devait lui apporter ce souffle de modernité grâce auquel nous pourrions allègrement recommencer à donner des leçons à la terre entière, ce qui est une des nos marques de fabrique.

Le dit président a su faire preuve de ruse dans la manière dont il a – jusqu’à preuve du contraire – jugulé les protestations des organisations syndicales qui n’ont pas trop osé remuer ciel et terre contre une réforme du travail qui piétine cependant quelques décennies de conquêtes sociales.

La France techno contre la France des élus

Ce que le président, prodige autoproclamé, n’a pas vu venir, enfermé qu’il est dans son Palais de l’Elysée, presque exclusivement entouré d’une brochette de hauts fonctionnaires, de la même génération que lui et ayant suivi le même cursus que lui, c’est le réveil des élus locaux.

Ces maires, conseillers départementaux et conseillers régionaux, le président ne les a fréquenté que très vaguement et de très loin. Il lui paraissait donc tout naturel de leur asséner une leçon de bonne gestion, à sa manière, c’est-à-dire en considérant que toute dépense échappant au contrôle vigilant de Bercy, est un indigne sacrilège qu’il importe d’effacer d’un trait de plume.

Cela a donné la suppression de 80% – à moins que ce soit 100 % – de la taxe d’habitation. Apparente bonne nouvelle pour les budget des ménages mais aussi décision calamiteuse dans la mesure où elle prive les communes de leur principale ressource fiscale et, par conséquent, de leur capacité à oeuvrer avec un minimum d’autonomie pour la qualité de vie quotidienne de leurs administrés.

Puis, ce fut la baisse annoncée des dotations que l’état verse aux collectivités, non par grandeur d’âme mais pour compenser des compétences qu’il leur a transféré au cours des années antérieures.

Sans oublier la suppression d’emplois aidés, frappant de plein fouet des personnes qui trouvaient là leur seule ressource tout en rendant des services à la collectivité dont on s’aperçoit de l’importance maintenant qu’ils disparaissent.

Voilà pourquoi nos braves élus qui n’ont pas vocation à faire la révolution expriment un ras-le-bol qui vient de loin.

Voilà pourquoi le gouvernement français à la sauce Macron par son aveuglement comptable traduit une autre forme d’impuissance qui s’inscrit en parallèle de la fébrilité de son homologue espagnol.

S’abandonner au bon vouloir des technostructures n’est certes pas un remède adapté. Reste que la capacité des politique à retrouver l’envergure et la noblesse qui devrait caractériser l’exercice de leur mission laisse fâcheusement à désirer.

Stéphane Bugat 

Raconter, analyser, avancer.

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