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Cessez d’avoir peur Monsieur Finkielkraut, vous resterez « irremplaçable »

Le 24 juin dernier, Alain Finkelkraut donnait la parole, sur France Culture, à Hervé Le Bras, démographe, mais surtout Renaud Camus, écrivain et militant d’extrême-droite. Théoricien du « Grand remplacement », l’homme et ses thèses servent surtout la pensée d’un philosophe, Alain Finkelkraut, prêt à toutes les compromissions pour valider ses opinions. 

Il peut arriver, quand on écoute les sombres vaticinations d’Alain Finkielkraut, d’avoir l’impression de se promener dans un tableau de Jérôme Bosch. Pas celui du Jardin des délices. Plutôt le Bosch de la Tentation de Saint Antoine. Triptyque saisissant où se débattent monstres, chimères, allégories cauchemardesques.

La tentation de Saint Antoine, (après 1490) de Jérôme Bosch, peintre néerlandais (1450-1516)

La tentation de Saint Antoine, (après 1490) de Jérôme Bosch, peintre néerlandais (1450-1516)

Saint-Antoine protégerait d’ailleurs de l’ergotisme, champignon parasite du seigle qui provoquait gangrène (le fameux « feu de Saint-Antoine »), hallucinations horrifiques et psychoses infernales. De l’ergotisme aux ergoteurs, il n’y a qu’un pas, rhétorique, qu’Alain Finkielkraut franchit souvent, de façon légère. Il faut alors entendre « légère » dans les deux sens du terme, en déplacement apparemment mesuré  et en inconséquences encore à mesurer.

Le dernier pan ajouté à son tableau « boschien » d’une France en déliquescence, menacée par une barbarie en baskets, casquettes et voiles, fut l’épisode « Renaud Camus ». Une invitation à venir étaler ses thèses sur France culture, faite à cet onctueux personnage, très vieille France, qu’on imagine volontiers vêtu de velours côtelé, lavallière de soie et chevalière aux armes familiales.

Ecouter Renaud Camus et Hervé Le Bras sur France Culture

Maniant aussi à l’imparfait du subjonctif ce qui, dans les années 30, était éructé et scandé à l’impératif. Car Renaud Camus, entre autres faits d’armes, fut condamné pour provocation à la haine raciale après ses propos sur les musulmans. Lors des Assises internationales sur l’islamisation en 2010, il avait qualifié ceux-ci de “voyous” et de “colonisateurs”. C’est lui également qui, dans son vénérable journal « intime » livré à tous en publication insipide, avait déclaré, parlant d’une émission sur France Culture, que les « collaborateurs Juifs », « sur un poste national ou presque officiel, constitue une nette surreprésentation d’un groupe ethnique ou religieux donné ». Réminiscence de ce que déjà Tristan Bernard dénonçait sous l’occupation : «Quand on bloque les comptes et qu’on compte les Bloch, il faut s’inquiéter».

Mais Alain Finkielkraut ne s’en était pas inquiété et avait alors défendu Renaud Camus. Puis il y eu cette invitation le 24 juin dans son émission Ripostes.

Le grand remplacement, la peur comme « passion triste »

Le dispositif de cette émission était simple. Sur le papier du moins. L’ « écri-vain » Renaud Camus versus le démographe Hervé le Bras. En arbitre apparemment neutre, Alain Finkielkraut. Seulement, l’animateur ne le fut pas, neutre.

Verbatim de l’émission, évidemment non exhaustif, mais qui donnera un avant-goût (et laissera un arrière-goût tenace) de ce qui fut donné à entendre ce jour-là sur une radio publique. Dès les propos liminaires de l’animateur, solennels, on dresse l’oreille : « Ne tournons pas autour du pot ; certains auditeurs doivent être choqués ou indignés que parler de la question migratoire j’invite Renaud Camus.

Par ses prises de position de plus en plus radicales, celui-ci, selon eux, s’est exclu de lui-même de la conversation civique. Ils pensent donc que je prends une lourde responsabilité en lui ouvrant aujourd’hui les micros de France culture. Je voudrais aujourd’hui répondre à cette accusation silencieuse et assourdissante ».

Tout Alain Finkielkraut est résumé là. Il part d’une hypothèse, les auditeurs choqués, la lourde responsabilité, l’anathème qui pèserait sur Renaud Camus, pour finir par se défendre d’une accusation qu’il est le seul à avoir entendue au moment de la diffusion de l’émission. Une posture de victime tout autant que de héros bravant seul la foule d’auditeurs excommunicatrice.

Mais continuons : « Il se trouve que Renaud Camus, qu’on n’entend et ne voit plus nulle part, a forgé une expression qu’on entend tout le temps et partout : le grand remplacement ». Puis, plus loin, « Bref Renaud Camus n’a plus voix au chapitre et il est sur toutes les lèvres. En lui donnant la parole, j’ai voulu mettre fin à cette absence omniprésente ». Autrement dit, Alain Finkielkraut ne ferait que donner la parole publique car médiatique à quelqu’un qui en est privé. Cela l’honore.

Puis-je simplement lui suggérer, dans sa lancée, de donner aussi la parole à Houria Bouteldja, « qu’on n’entend et ne voit nulle part », mais dont on entend parler « tout le temps et partout ». S’il est vrai que « nul n’est prophète dans son pays », alors cela vaut autant pour le sieur Camus que pour la porte-parole du PIR. Mais Alain Finkielkraut poussera-t-il sa logique esquissée-là, pompeusement, jusqu’au bout ?  Que l’on soit d’accord ou pas avec Houria Bouteldja, pourquoi ne pas en débattre ?

La dame a du répondant, voire du mordant intellectuel, et son raisonnement, qu’il soit juste ou qu’il soit faux, suppose un peu plus de réflexion que ce que Renaud Camus a pu déployer pendant près d’une heure. Impunément, impudemment. Et surtout imprudemment. Car si on voulait la guerre civile, on ne s’y prendrait pas autrement.

Continuons : « Il y a ceux qui en font un drapeau « nous sommes le grand remplacement » écrivaient les célèbres kids du Bondy blog, Meklat et Badour dans la revue qu’ils ont lancé avec Mouloud Achour, Téléramadan ». Magique Alain Finkielkraut, qui nous fait ainsi de la haute-voltige « sophiste-iquée ». Ne comprend-il pas, ou fait-il semblant de ne pas comprendre, que si les Kids du Bondy Blog ont repris ce mot, c’est pour mieux le retourner en ironie grinçante. Le vider ainsi dans le même mouvement de son caractère accusateur. S’approprier ce qui les montre du doigt. Connaît-il le principe du retournement du stigmate ? En laissant supposer que les Kids l’ont utilisé à dessein, sans l’ironie pourtant si perceptible, Alain Finkielkraut rend réelle dans le même mouvement la menace sous-jacente que porte ce mot, celle d’une guerre idéologique menant à la « soumission » des non-Musulmans aux Musulmans. Ceux qui sont accusés par cette théorie du Grand remplacement en deviennent alors les instigateurs. Quant au drapeau dont parle Alain Finkielkraut, je l’imagine vert, avec des lettres écrites en arabe…allez savoir pourquoi.

Voilà ce que Renaud Camus dira encore sereinement, sans grande contestation d’Alain Finkielkraut : « On peut parler de la submersion migratoire, changement de peuple et de civilisation. Je crois que le remplacisme est l’idéologie la plus présente dans le monde. Je parlerais de remplacisme global ». « Je crois que l’Europe est beaucoup plus colonisée qu’elle n’a colonisé l’Afrique ». « « Ce qui montre l’insolence, la provocation, la force de l’occupation est le voile, le niqab, l’abondance de signes qui sont destinés à montrer le pouvoir, la présence et la conquête et l’humiliation du peuple qui doit subir cela ». « Nous sommes du côté de la résistance à un totalitarisme qui vient, qui s’affirme et ne cache pas ses desseins ».

Le démographe Hervé le Bras tentera de démontrer, chiffres à l’appui, que ce que dit Renaud Camus, ne tient pas la route. Ce dernier s’en tiendra à un lapidaire « Je souligne l’incapacité du chiffre à rendre compte du monde. Il y a une aporie des sciences humaines ». Ou encore : « L’un des éléments remplacés est le remplacement de l’œil par les statistiques, de l’expérience d’un peuple, de ce qu’il voit, de ce qu’il vit, de sa douleur même ». Le « Et pourtant elle tourne » galliléen devenu « et pourtant je vois l’invasion » camusien.

Puis quand le démographe, qui a été dans l’histoire le vrai Galilée, commencera à défendre la rigueur scientifique de ce qu’il avance, Alain Finkielkraut avancera : « On ne peut pas mettre sur le même plan les sciences humaines et les sciences exactes ». Certes, comme on ne peut pas mettre sur le même plan, des élucubrations fantaisistes traduisant plus une aigreur d’âme et des chiffres précis et minutieux. On aura rarement connu arbitre plus neutre…

Car que fera l’animateur durant l’émission ? Il estimera d’abord qu’au final Hervé le Bras et Renaud Camus en arrivent aux mêmes conclusions, mais de façon plus édulcorée pour le premier : «Vous contestez le Grand Remplacement mais d’une certaine manière vous dites la même chose » dira-t-il à Hervé Le Bras. Mais on ne peut nier l’aptitude des chiffres à rendre compte du réel, comme l’a fait aussi Alain Finkielkraut, puis poser ensuite qu’ils arrivent aux mêmes conclusions que « l’œil » omniscient de Renaud Camus.

Alain Finkielkraut soutiendra aussi en pointillisme criard certains propos de Renaud Camus, notamment sur le fameux « seul blanc au Châtelet » qu’Hervé le Bras avait démonté aussi. Là, l’animateur cite, de façon étrange, un entretien avec Guy Roux : « aujourd’hui en France si vous enlevez les français musulmans, vous aurez du football à 7 ». « L’œil ne se trompe pas complétement.

En tirez les conclusions analogiques qu’en fait Renaud Camus, je l’ai dit je ne suis pas d’accord, mais on ne peut pas non plus nier cette espèce de  mutation ». Pour Alain Finkielkraut, mettre « sur le même plan » le ressenti subjectif d’un entraîneur de foot et les études objectives d’un démographe reconnu est absolument normal.

« Les conclusions analogiques «  seront les seuls points qui chiffonneront l’animateur dans tous les propos urticants de Renaud Camus. De quoi s’agit ? D’une comparaison faite entre la situation actuelle et la France de la Seconde guerre mondiale : Occupation et nécessaire résistance à cette occupation étrangère. Les seuls totem et tabou qui obsèdent l’animateur sont « ces heures sombres de a France ». Pour le reste, tout est permis. Pourtant ne sait-on pas, précisément, depuis la Seconde guerre mondiale, que la barbarie prend souvent le visage policé et civil d’une prétendue civilisation à sauver contre l’étranger ? Ou suis-je moi-même trop « analogique » ?

Ah si, encore une contestation « Est-ce que vous n’allez pas un peu loin en parlant de substitut ethnique ?» dira Alain Finkielkraut très sérieusement, après un déluge de propos axiomatiques, tautologiques, médusants dans leur outrance et fausseté mais débités sur un ton précieux. « Un peu loin », cela laisse rêveur. Peut-être que si Renaud Camus avait « rappé » en rythme ses théories, Alain Finkielkraut aurait enfin eu ce recul d’horreur, qu’on aura attendu en vain durant toute l’émission.

Mais continuons : Alain Finkielkraut à Renaud Camus « Vous dites qu’on vous accuse à tort d’entretenir la haine (..), je vous crois, je vous crois sur parole. (..) ». Voici pour le blanc-seing moral, Renaud Camus a des propos haineux mais n’entretient en rien la haine. S’il le dit et si l’animateur le croit, nous voilà rassurés.

Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon (1961)

Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon (1961)

Mais… encore une chose qui chiffonne notre animateur : « Vous citez Fanon. Mais Les Damnés de la terre est un appel à la violence comme l’a montré la préface de Sartre. Une violence rédemptrice. Il y a cette phrase terrible de Sartre, « supprimer un oppresseur et un opprimé, reste un homme mort et un homme libre ».

Alain Finkielkraut attribue donc à Fanon, en raccourci étonnant, la violence des propos de Sartre, pourtant propre au seul préfacier, lequel avait ainsi caricaturé la pensée de Fanon. Si une violence est traduite là, c’est bien celle de Sartre, qui seul appelle au meurtre. S’il y a là une violence, symbolique, c’est bien celle faite à l’œuvre à Fanon par le philosophe existentialiste…et par Alain Finkielkraut.

Enfin, conclusion de l’animateur : « Il me semble que vous êtes plus solitaire que vous ne devriez l’être ». Ah, mais est-il si nécessaire de sortir Renaud de sa splendide solitude ? Puis l’animateur développe ce qu’il appelle « la convergence des thèses de Renaud Camus avec le dernier livre avec Alain Bensoussan » préfacé par Elisabeth Badinter ».

Il ressort alors de la suite de ses propos que si Renaud Camus atténuait le feu de ses tweets et renonçait à cette « analogie » avec la Seconde guerre mondiale, il serait accueilli en fils prodigue dans la grande famille de ceux qui au fond pensent comme lui. Seulement là où Renaud Camus dit « ethnique », mot justement trop connoté avec « les heures sombres de notre histoire », cette grande famille dit « culturel », « laïcité », « islamo-gauchisme », mots plus policés mais qui disent la même chose. Avec les mêmes conséquences ? C’est toute la question…

Laissons Hervé le Bras conclure, lui qui aura essayé de contrer, en rationalité, non pas un seul mais bien deux adversaires, durant toute l’émission : « Les migrants, plus éduqués, vont être des concurrents ». Voilà le mot est lâché. La concurrence insupportable, celle qui conteste l’autorité symbolique de gens comme Alain Finkielkraut. Un crime de lèse-magistère insupportable. La peur, passion triste dont parlait Spinoza, est au fond le sentiment qui a couru tout au long de cette émission. Une peur et une mélancolie bien française…

Le musulman imaginaire

Voilà longtemps qu’Alain Finkielkraut étonne. Il parait cristalliser en lui plusieurs travers qui touchent le milieu intellectuel français. Il est ainsi tout entier dans ce qu’il faut bien appeler une mythographie absolue ; cette obsession scripturale, qui en devient scripturaire, et qui pose que ce qui est lu a plus de valeur que ce qui est observé de visu. Le mot écrit comme seul vecteur du réel. Le monde selon Alain Finkielkraut semble alors comme toujours passé par au tamis restreint des livres lus, des articles survolés, sans qu’il ne connaisse en rien de la réalité des choses dont il parle avec pourtant tant de conviction.

Underground, d'Emir Kusturica (1995)

Underground, d’Emir Kusturica (1995)

Cette mythographie avait été illustrée par son exécution du film de Kusturica, Underground, en 1995, sous prétexte de propagande proserbe…avant d’avouer qu’il n’avait pas vu le film. Pourtant, à relire rétrospectivement sa chronique assassine, on se frotte les yeux devant le ton péremptoire, la certitude qu’il affiche, les mots qu’il martèle. C’est vrai puisque c’est bien dit. Faites entrer de force le réel dans les mots, la vérité s’en accommodera.

On pourrait s’étonner aussi de ses outrances verbales qui lui font hurler « pov’ conne » à une femme lors de son fameux passage à Nuit Debout, où il fut chahuté. Cette femme était au milieu d’autres personnes, des hommes pour la plupart, mais c’est elle seule qui subit l’insulte. Une insulte misogyne dans la bouche d’un homme qui s’est fait pourtant une spécialité de dénoncer le sexisme des paroles de rap, dont il a pu souvent lire des extraits, en indignation vertueuse.

Enfin, l’auteur du « Juif imaginaire » devrait aussi songer qu’il a peut-être, au cours de ses émissions, un portrait horrifique du Musulman qui tiendrait plus du « Musulman imaginaire » que de la réalité à laquelle il ne se frotte jamais.  Alain Finkielkraut aime Levinas. Il a raison, ce philosophe est une merveille. Penseur du « visage de l’Autre » par lequel on le reconnaît et se reconnaît en humanité.

Pourtant, à écouter Alain Finkielkraut parler des Musulmans selon ce qu’il a « lu », « entendu », on se demande si on a lu le même philosophe. Car chez Alain Finkielkraut, l’altérité ne revêt aucun « visage » à découvrir, mais plutôt des masques apposés de force : celui du jeune-de-banlieue forcément antisémite ; celui de la femme-voilée soumise ou porte étendard insolent ; celui d’un Autre qui fait peur, toujours, voire terrorise. Une altérité en repoussoir, celle au final de « l’inquiétante étrangeté » freudienne.

Cet Autre qui, par sa seule existence, constitue une rupture insupportable dans le parfait ordonnancement de son univers. Comme les Musulmans semblent l’être dans le monde selon Finkielkraut. Un autre qui constitue aussi un « scandale », au sens étymologique du terme, « qui fait trébucher » régulièrement le sieur Finkielkraut, entre « dérapages » et pensées crépusculaires sur un monde, son monde, qui n’en finit pas de finir.

Pourtant les Musulmans en France semblent être devenus un « groupe diffamé », selon le mot de Hannah Arendt. Ceux qui sont accusés de tout et qui permettent par l’hostilité qu’ils déclenchent une agrégation hétéroclite de ceux qui les rejettent, en ont peur.

Une agrégation de la même nature qu’a montrée cette émission, un penseur d’extrême-droite invité par un fils de rescapé d’Auschwitz.  Les Français musulmans sont les nouveaux « parias » – ceux qui, toujours selon Hannah Arendt, sont à la fois « dehors et dedans ». Or, et cela ne lasse pas d’étonner, Alain Finkielkraut ne voit-il pas que c’est ce même processus qui a pourtant conduit ses parents à connaître l’antisémitisme à son paroxysme le plus cruel. Que si la lettre a changé, l’esprit en est le même. Et que c’est cet esprit qu’il a invité dans son émission.

Au final, les pensées d’Alain Finkielkraut, ses obsessions, ses peurs comme ses lectures, rappellent une histoire juive d’une grande sagesse : un homme arrive dans un village polonais et observe des cibles avec tout une flèche fichée dans le mille. Il demande à voir cet archer d’élite. On lui amène un homme si vieux qu’il marche à peine, tout tremblotant. Le visiteur s’étonne, demande à voir. L’archer grabataire tire alors une flèche au hasard, puis tranquillement va dessiner la cible à la craie, avec évidemment la flèche au milieu…Ainsi agissent ceux qui ne savent rien du monde et de ses réalités, mais « dessine » sur ce même monde leur propre « passion triste ». Les cibles lors de cette émission furent tracées de façon grossière par l’archer grabataire que fut Renaud Camus. Toute la question est de savoir dans quelle mesure Alain Finkielkraut n’a pas tenu aussi l’arc.

Ne vous « taisez » surtout pas, Monsieur Finkielkraut

Ce grand remplacement, avant d’être un concept né dans l’esprit de Renaud Camus, a été une réalité pour de nombreux peuples qui l’ont vécu dans leur chair. Après tout, on pourrait même considérer que ce « remplacisme » date de 1492. 1492 est évidemment la date de la conquête des Amériques, début des génocides amérindiens. Mais aussi la date de la chute de Grenade, point d’orgue de la « Reconquista ». Ou de la « Soumission » à sa Majesté très catholique Isabelle d’Espagne, à coup de conversions forcées, marranisme, exode pour les Juifs en terre musulmane et bûchers.

Sinon, plus près de nous en actualité, on aurait pu évoquer aussi, lors de cette émission, le grand remplacement que subissent les Palestiniens, victimes d’un grignotage géographique de leur terre mais aussi d’un effacement culturel de leur présence, sociocide lent auquel ils résistent pourtant. Voilà pour des « grands remplacements », réels ceux-là, monsieur Finkielkraut. A quand une émission ?

Mais malgré cela, le « Taisez-vous, taisez-vous ! » que vous avez hurlé à la face d’un interlocuteur « insolent », à coup de regard planté dans le vôtre, droit, on ne vous le dira pas.

Ce « taisez-vous ! », vous l’aviez hurlé plus que dit, en terreur visible et en incompréhension, comme le puissant qui mesurait soudainement qu’il ne faisait plus peur. Qu’il était contesté dans son pouvoir, celui de dire le réel. Face à la tranquille impudence de cet interlocuteur, votre magistère de si bon aloi, qui vous semblait si naturel, était devenu Rossinante épuisée et vos combats « civilisationnels » un truc ancien et éculé de chevalier à la triste figure. Vous savez, une histoire de moulins à vent à combattre.

Non, continuez à parler, ne vous taisez pas surtout pas. Qu’on sache, qu’on comprenne en quoi certains sont si dangereux, si puissants. En quoi les Musulmans de foi ou de culture, dont tous les chiffres (vous savez, ceux qui ne veulent rien dire selon Renaud Camus) disent qu’ils subissent plus que les autres Français le chômage, la discrimination, la mauvaise réputation. En quoi sont-ils en passe d’imposer à la France une « soumission ».

Car haillons pour haillons, il semble qu’il vaut mieux revêtir ceux de l’épouvantail, qui fait peur, qu’on craint. Plutôt que ceux du miséreux. Il y a une blague juive qui résume bien cela. Car après tout, il est vrai que l’histoire se répète, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce : « Cela se passe en Allemagne, durant les années marquant le début du nazisme. Un jeune homme juif rencontre dans un café un ami qui lit le journal antisémite « Der Sturmer ». – Mais comment, tu lis cette horreur ? – Bien sûr ! Quand je lis de la presse juive, il n’y a que des mauvaises nouvelles, des persécutions, de l’antisémitisme partout… alors que dans ce journal, il est écrit que nous sommes les maîtres du monde et contrôlons tout, c’est quand même plus réconfortant ! ».

Et bien ne vous taisez pas Monsieur Finkielkraut, quand je regarde les nouvelles, les dernières études sur la situation de réfugiés, des descendants d’immigrés, je me dis qu’il n’est pas bon d’être Musulman dans certains endroits du monde. En France notamment. Puis je vous écoute, et je suis « réconfortée »…

Hassina Mechaï

 

Raconter, analyser, avancer.

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