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Chez nous, un épouvantail pour le FN ?

À deux mois des présidentielles, Chez nous, dernier film de Lucas Belvaux sort ce mercredi. Peut-il faire figure, en cas de succès populaire, d’épouvantail pour le Front National?

À mi-chemin entre fiction et documentaire, il offre une plongée inédite dans les rouages d’un parti extrémiste, le bloc patriotique qui ressemble à s’y tromper au mouvement de Marine Le Pen.

Elle les quitte après s’être rendue compte qu’elle avait été trompée. Cette romance, c’est celle de Pauline Duhez jouée par Émilie Dequenne,  une infirmière du Nord-Pas-de-Calais qui vit dans ce film une double histoire d’amour.

La première avec son petit ami de jeunesse qu’elle retrouve par hasard sur un terrain de football.  La seconde avec le bloc patriotique, un parti d’extrême droite qui l’a choisi comme tête de liste aux élections municipales de sa ville de Henard.  L’allusion à Hénin-Beaumont dirigée par le frontiste Steeve Briois n’échappera à personne…

Pauline est  infirmière libérale. Elle élève seule ses deux enfants, menant une vie compliquée et soumise au rythme effréné des  visites à domicile de ses patients et de son père malade.

Le bloc patriotique, qui l’a choisi comme tête de liste aux élections locales, ressemble à s’y méprendre au Front National avec à sa tête Agnès Dorgelle jouée par l’excellente Christine Jacob. Impossible de ne pas y voir Marine Le Pen.

Grâce au talent d’Emilie Dequenne,  on éprouve presque de la compassion pour cette infirmière qui finit par se laisser embarquer dans l’aventure électorale.

C’est son médecin de famille cadre du parti nationaliste joué avec justesse par André Dussollier qui parvient à la convaincre.

On ne lui en veut presque pas quand elle adhère aux propos racistes qu’elle propage. À mi chemin entre fiction et documentaire,  Chez nous sera peut-être un électrochoc à quelques semaines des élections présidentielles. Il fait en tout cas peur aux cadres du FN.

Un contexte favorable pour le parti extrémiste

Le réalisateur Lucas Belvaux  parvient en effet à dresser un portrait très réaliste d’un parti politique qui surfe sur un océan de misère.

Une misère sociale d’abord dans ces communes des Hauts-de-France ravagées par la fin de l’activité minière et dont la reconversion industrielle n’a pas fonctionné. C’est un tableau très réaliste que dresse le réalisateur de ces villes périurbaines déclassées. Toutes ont  perdu leur identité minière malgré l’omniprésence des terrils et des corons.

Plongée dans la France sinistrée

Une misère de la conscience politique  ensuite,  celle d’un père communiste,  métallurgiste à la retraite qui n’a pas pris le temps de  transmettre à sa fille les valeurs de gauche qu’il a défendu avec tant d’ardeur.

« Une bonne partie du peuple a définitivement avec les discours horrifiés à propos du Front National »
« A Hénin-Beaumont, la dédiabolisation du FN est un succès »
France Inter, 27 décembre 2016

Sa colère en apprenant le choix de sa fille c’est celle que l’on peut éprouver à l’égard de certains qui sombrent aujourd’hui dans un racisme décomplexé.

Les déclarations d’Éric Zemmour à la radio ou à la télévision nous bercent tout au long du film. Un clin d’œil certainement du réalisateur au polémiste surmédiatisé.

Une  façon de dénoncer la banalisation de la parole raciste dans les médias françaiset leur responsabilité dans la propagation de ces idées dans la société française.

Une misère de la classe politique française enfin qui ouvre la voie à un parti sans programme  se contentant d’entretenir et d’amplifier les peurs d’une population qui se sent abandonnée.

Le film  tourne quasiment au documentaire lorsqu’il décrit les rouages d’un parti dirigé par des cadres issus des grandes écoles misant tout sur la forme en n’accordant que très peu d’importance au fond.

Pauline Duhez a été choisie car c’est une candidate « propre », novice et malléable à merci.  Elle ne se rend compte que tardivement  sur les conseils avisés d’une amie,  la bonne conscience dans le film,  qu’elle n’avait même pas consulté le programme qu’elle s’apprêtait à défendre.

Sa coupe de cheveux,  son style,  sa maîtrise des réseaux sociaux et le rabâchage des mêmes slogans avaient retenu toute son attention.

Un film plus engagé que militant

Lucas Belvaux

Lucas Belvaux, réalisateur de Chez nous

Le film dépeint aussi habilement ce parti nationaliste qui cherche  à faire table rase de son passé en voulant lisser son image. Stanko,  interprété par Guillaume Gouix,  le nouveau compagnon de Pauline, éducateur sportif et charmant à bien des égards appartient à un groupuscule d’extrême droite s’amusant entre autres à chasser et violenter des clandestins.

Cela dérange le bloc patriotique qui veut se débarrasser de lui et de cette base ultra violente qui pourrait lui causer du tort dans sa conquête du pouvoir.

Pauline quitte donc le parti puis dans la foulée son compagnon.  Et c’est finalement la seule prise de position d’un réalisateur qui réussit à décrire ce parti sans jamais basculer dans une vision binaire qui aurait été moins persuasive. C’est la force d’un film engagé par son thème et son timing mais non militant.

Un bémol à signaler,  les clichés sur la femme musulmane du quartier HLM de la ville qui obéit docilement à son mari. Elle se voile subitement lorsqu’elle apprend  l’engagement politique d’une infirmière qu’elle appréciait. Les discours politisé de sa fille qui renvoie l’infirmière atténue un peu ce petit faux pas.

Chez nous est néanmoins un film à voir car il raconte l’histoire d’une société qui sombre inexorablement sans s’en rendre compte. Contribuera t-il à ralentir cette chute ? C’est tout ce que l’on peut lui souhaiter.

Jean-Riad Kechaou

Jean-Riad Kechaou est professeur depuis 15 ans en banlieue parisienne. Auteur d'un essai socio-historique sur le quartier des Bosquets « 93370 Les Bosquets, un ghetto français » (MeltingBook Editions). Il écrit pour MeltingBook et le site de Politis dans un blog intitulé "Un Prof sur le front".

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