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Chronique sahraouie

 

Depuis le cessez-le-feu de 1991 signé entre le Maroc et le Front Polisario, peu de projecteurs se braquent encore sur le peuple sahraoui, et la tenue du référendum devant statuer sur le Sahara Occidental ne semble pas inscrite à l’agenda. En mai dernier, Thomas Vescovi, enseignant et chercheur en chercheur en Histoire contemporaine, se rendait dans un camp sahraoui à proximité de Tindouf, en Algérie. Reportage.

 

Pourtant, cet épineux conflit n’a jamais cessé d’alimenter les tensions dans la région ni d’être au cœur des relations diplomatiques africaines. En mai dernier, l’investiture d’En Marche ! donnée à la franco-algérienne Leila Aïchi pour la 9e circonscription des Français de l’étranger a irrité la section marocaine du mouvement d’Emmanuel Macron.

 

En cause, notamment, le soutien de la candidate à la cause sahraouie.

 

Si le royaume marocain a plusieurs fois été condamné par des tribunaux étrangers pour ses pratiques au Sahara Occidental, il n’en demeure pas moins que son retour dans l’Union Africaine (UA) apparait comme une victoire.

 

Sur quelles forces compte le peuple sahraoui pour renouveler sa lutte ? Comment la vie s’organise-t-elle au sein des camps de réfugiés sahraouis ? Quelles sont les nouvelles figures de la cause ?

 

Le Sahara Occidental est un territoire de 266 000 km2, ancienne colonie espagnole, un temps revendiqué par le Maroc et la Mauritanie avant que le Royaume chérifien ne s’en empare presque intégralement en 1979.

 

En imposant sa souveraineté sur cette bande de terre riche en ressources naturelles (première réserve de poisson et deuxième réserve de phosphate), les autorités marocaines héritent des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, qui combattaient déjà le colonisateur espagnol.

 

Soutenus par l’Algérie, les Sahraouis sont parvenus à contrôler 20% du territoire. Cependant, le fief politique du Polisario se trouve autour de la ville algérienne de Tindouf, dans les camps de réfugiés sahraouis qui accueillent près de 150 000 personnes.

Source/Thomas Vescovi

Source/Thomas Vescovi

 

C’est là que se trouve l’administration de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), Etat proclamé indépendant en 1976 par le Polisario et censé gouverner le territoire sahraoui.

 

La RASD est reconnue par 83 Etats dans le monde, notamment 34 en Afrique et 27 en Amérique latine.

Le « nouveau défi » diplomatique

En débarquant à l’aéroport de Tindouf (Algérie), le protocole est bien réglé. Des Jeeps tamponnées du logo de la RASD attendent les quelques volontaires qui souhaitent se rendre dans les camps de réfugiés.

Sous escorte policière et militaire, le convoi traverse cette ville de 47 000 habitants située à 1400 km au Sud-Ouest d’Alger.

Quelques kilomètres après les dernières constructions algériennes, un check-point en plein désert fait la transition : nous passons à présent sous l’escorte du Front Polisario qui est officiellement la seule autorité à gérer les territoires des camps de réfugiés.

Logé au camp de réfugiés de Smara, qui regroupe près de 50 000 personnes, la première rencontre s’effectue traditionnellement avec le wali Abeida Cheikh, équivalent d’un gouverneur.

Passées les courtoisies, la discussion s’engage sur le retour du Maroc au sein de l’UA, qu’il avait quitté en 1984 après que la RASD y ait été acceptée deux ans plus tôt : « Évidemment, nous aurions préféré qu’il reste en dehors de l’organisation, mais il faut voir cela comme un nouveau défi : nous avons à présent la possibilité de dénoncer la politique marocaine en présence des autorités du royaume. »

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Les photos ont été prises en février 2017. Droits réservés/Association de Soutien au Peuple Sahraoui.

Ce discours sera entendu à chaque rencontre avec des officiels, argument dans une rhétorique qui veut voir le retour du Maroc comme une victoire du Polisario car en s’asseyant aux côtés de Brahim Ghali, président de la RASD, Mohammed VI serait de facto contraint de lui reconnaître une légitimité.

La réalité semble plus complexe : depuis 2000, près d’une trentaine d’Etats autrefois solidaires de la RASD ont affirmé préférer rompre leurs relations avec l’autorité sahraouie.

De plus, le retour du Maroc dans l’UA indique un rapport de force de moins en moins favorable aux deux principaux soutiens du Polisario, à savoir l’Afrique du Sud et l’Algérie.

Le 18 juillet 2016, vingt-huit Etat africains ont déposé une motion à l’adresse du président de l’UA, Idriss Déby, réclamant une suspension des activités de la RASD au sein de l’organisation.

Quinze d’entre eux avaient pourtant reconnu l’autorité sahraouie à l’époque de la guerre. Les promesses royales ne sont sans doute pas étrangères à cette « évolution ».

Avec une population majoritairement âgée de moins de trente ans, la place de la jeunesse est également au cœur des échanges.

M. Zeïn Sid Ahmed est le Secrétaire Général de l’UJSARIO, organisation de jeunesse du Polisario. Créé en 1984, la structure était censée préparer la jeunesse sahraouie à la guerre de libération, mais pas que : « Nous formions les jeunes militairement et intellectuellement ».

Le taux d’alphabétisation chez les Sahraouis dépasse la plupart des pays africains, victoire symbolique sur l’adversaire marocain qui accuse encore près d’un tiers d’analphabétisme dans sa population.

Néanmoins, la situation est loin d’être encourageante pour la jeunesse sahraouie. Nos interlocuteurs l’affirment : le Polisario peine à contenir les appels de la criminalité et du terrorisme.

Dans une région où transitent les réseaux de drogue et où Al-Qaeda au Maghreb Islamique inquiète les chancelleries, il semble évident que le peuple sahraoui ne peut être à l’abri de ces fléaux : « notre jeunesse est particulièrement vulnérable, témoigne M. Sid Ahmed, car elle possède trois qualités majeures : elle est diplômée, adaptée au climat désertique et possède une connaissance du terrain », souligne, Zeïn Sid Ahmed.

Ces propos sonnent comme un avertissement, le seul moyen d’empêcher ces milliers de jeunes de répondre aux appels de ces réseaux ou de satisfaire leurs volontés de reprendre les armes est de régler au plus vite la situation politique : « Il n’y a pas trois possibilités, soit nous obtenons la justice avec la tenue du referendum sur le statut du Sahara Occidental, soit la criminalité et le terrorisme gagneront, affirme M. Sid Ahmed ».

La principale inquiétude du Polisario est de ne plus parvenir à canaliser cette jeunesse, radicalement convaincue de la nécessité de reprendre les armes.

Wali Abeida Cheikh, « gouverneur » du camp de réfugiés de Smara

Wali Abeida Cheikh, « gouverneur » du camp de réfugiés de Smara

 

Juridiquement, la RASD peut être fière de ses victoires. En décembre dernier, la Cour de justice de l’Union Européenne a rappelé l’illégitimité de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, et plus particulièrement sur l’exploitation des produits agricoles et de la pêche.

Cependant, cela n’a pas empêché les autorités marocaines de poursuivre le commerce de ces produits, vendus à différentes entreprises françaises.

Le même mois, l’ONU a condamné le royaume chérifien pour la torture infligée au militant sahraoui Naama Asfari.

Ce-dernier a été arrêté avec vingt-trois autres militants lors du mouvement de protestation de Gdeim Izik, en novembre 2010, en périphérie de la ville de Laâyoune, sous contrôle marocain.

Une population sous perfusion humanitaire

Dans les camps de réfugiés, si les mentalités ont évolué avec l’arrivée de la 4G et d’une connexion au monde via internet, les situations économiques et sanitaires restent inquiétantes. La population sahraouie vit sous assistance.

Dans l’impossibilité de constituer une agriculture viable en plein désert, une fois par mois, la nourriture est distribuée par le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et des camions citernes remplissent les réservoirs situés devant chaque maison.

Depuis un an, des pilonnes électriques, fournis par l’Algérie, alimentent la totalité des camps.

Les femmes sahraouies occupent une place centrale dans l’organisation des camps. Durant la guerre, elles composaient la quasi totalité des fonctions administratives, de la daïra à la wilaya.

Madame Takiya Ahmed Salem est députée du camp de réfugiés de Boujdour, après avoir été cheffe de daïra.

Elle essaie de nous expliquer l’organisation complexe des camps : « Chaque camp forme une wilaya, qui est ensuite divisé en cinq ou sept daïras. Les walis sont désignés durant le congrès de la RASD en fonction de critères moraux et politiques. Les chef-fes de daïras sont élus par un corps électoral de femmes. »

Pour se tenir prêt à une éventuelle reprise des hostilités avec le Maroc, le Polisario n’a pas souhaité modifier les structures institutionnelles après 1991.

Durant leur lutte pour l’indépendance, d’abord contre l’Espagne puis contre la Mauritanie et le Maroc, ce trio formait la base des unités militaires sahraouies : un tireur, un second soldat et un chamelier. Photo prise au Musée national de la Résistance

Durant leur lutte pour l’indépendance, d’abord contre l’Espagne puis contre la Mauritanie et le Maroc, ce trio formait la base des unités militaires sahraouies : un tireur, un second soldat et un chamelier. Photo prise au Musée national de la Résistance

 

Les hommes peuvent être candidats mais ne votent pas. En revanche, ils élisent des députés au sein de leur corporation professionnelle.

« En tant que cheffe de daïra, nous tenons chaque semaine une assemblée locale avec des représentants des différents secteurs professionnels, explique madame Ahmed Salem. Nous veillons au bon rationnement de la nourriture et du bon déroulement de la distribution d’eau. Tous les chef-fes reçoivent 20 500 dinars par mois (176 €) que nous devons utiliser pour les habitants les plus démunis : achat de carte téléphonique, paiement de transports, aide médicale… ».

Dans ce contexte, l’Union des femmes sahraouies a une place cruciale dans l’organisation de la RASD. Chaque camp dispose d’une antenne où des volontaires sont formées politiquement, sans critère scolaire, et où elles peuvent bénéficier de formations éducatives.

L’organisation se charge également de suivre les cas de femmes maltraitées et propose un accueil aux victimes. Si le renouvellement des cadres est assuré, une responsable témoigne de sa désarroi face à la nouvelle génération qui a tendance à considérer plus rassurant d’élire des hommes.

Depuis le cessez-le-feu, le principal enjeu pour les familles sahraouies est de disposer d’un capital économique propre.

Tous les hommes sont répartis dans des corporations professionnelles en fonction de leurs activités ou de leurs formations.

Dans un contexte où les besoins élémentaires sont fournis gratuitement, la plupart des activités ne sont pas ou très peu rémunérées.

Cela pousse de nombreux sahraouis à opter pour les quelques professions permettant de voir de l’argent circuler : commerce et transport notamment.

Dans les camps, les Mercedes 300D et 190E règnent en maitre. Pour à peu près 1000 €, un sahraoui peut en faire importer une depuis l’Espagne.

L’autre option économique est d’offrir ses services à l’étranger. M. Hamudi Thaleb a quitté les camps il y a plusieurs années pour travailler en Espagne, Andalousie et Catalogne principalement, puis l’Italie et enfin la France où il a pu bénéficier de cours de langue. S’il est revenu à Smara, c’est pour aider sa famille.

Désormais, chaque jour, il travaille à renforcer les fondations de la maison familiale et empêcher le sable d’y entrer.

Faites de briques de sable, les habitations sahraouies n’ont pas résisté aux fortes pluies et inondations de l’automne 2015.

Plus de 5 000 familles de différents camps avaient vu leurs maisons s’effondrer. Le camp de El Aiun garde encore les séquelles, avec ses quartiers jalonnés de dizaines de maisons en ruine et de rues désertes.

Chaque camp possède également ses familles abritées dans des tentes distribuées par le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) en attendant que leur demeure soit de nouveau sur pied.

De culture nomade, la khayma (tente) incarne l’élément central de la vie des Sahraouis. La plupart des maisons jouxtent cette tente qui sert de pièce à vivre et de lieu de réception pour les invités.

Les déchets, particulièrement les plastiques, sont la hantise des responsables sahraouis. Ça n’est pas faute de chercher des solutions, comme l’explique M. Abeida Cheikh : « A Smara, nous ne disposons que de trois petits camions de ramassage, donc tous les deux ans nous organisons une grande campagne de nettoyage de déchets qui sont ensuite brulés dans le désert. »

Conscient des limites d’une telle solution, les Sahraouis y sont pourtant contraints : l’enfouissement des déchets risquerait de polluer la nappe phréatique.

Chaque déplacement dans et entre les camps laisse apparaître la tâche immense qu’il leur reste à faire tant les sacs plastiques s’étendent à perte de vue.

L’ambiance ne varie pas tellement d’un camp à l’autre. Dans des ruelles de sable et de pierre, les Sahraouis nous saluent par un « Ola », habitués à voir passer des Espagnols. Les enfants sont plus pragmatiques : « Caramelo ?! ».

Un élément ne va cesser de m’intriguer : les femmes, habillées de leur melhfa, portent également des gants et des chaussettes en laines. Cela tient au culte de la peau blanche.

Un passage dans des boutiques de produits de beauté renforce mon étonnement : au milieu de teintes capillaires claires et d’huiles essentielles, il y a différentes crèmes pour blanchir la peau.

Mariam, jeune Sahraouie du camp de Boujdour, n’y voit qu’une question culturelle et esthétique, qu’elle compare ironiquement avec la volonté des Blanc-he-s de bronzer l’été.

Ali, un jeune Sahraoui, tente de m’expliquer : « J’aimerais avoir une peau aussi blanche que la tienne. Ne te plains pas du soleil, je préfèrerais prendre des coups de soleil que de voir ma peau s’assombrir. Avec ta peau, je pourrais aller où je veux sans être discriminé, parler avec tout le monde sans que cela ne pose de problème. »

Les jeunes Sahraouis témoignent souffrir de certaines discriminations subies dans des capitales étrangères du fait de leur mélanine, notamment à Alger où ils disent former un groupe avec les Algériens du Sahara distinct des habitants du littoral à la peau plus claire. Pas de doute, l’héritage colonial est encore bien vivace.

Aux côtés de Ali, nous rencontrons Mohamed Alkehal, jeune biologiste. Interrogé sur ses perspectives professionnelles en restant à Smara, il témoigne d’une première souffrance, celle de l’image que les médias marocains diffusent d’eux en Europe.

« Le Maroc dit que nous restons ici parce que nous sommes séquestrés par le Polisario, c’est faux, nous sommes ici parce que notre terre est occupée. L’exil ? On y est déjà. »

Ce discours revient dans la bouche de chaque jeune sahraoui croisé au détour d’une invitation à boire le thé ou d’un mariage.

« Il y a beaucoup de Sahraouis qui ont quitté les camps pour vivre en Europe, affirme Mohamed. Notre problème c’est le visa. Déjà que les ambassades européennes sont très réticentes à donner des visas aux Africains, imaginez un individu qui vit dans un camp de réfugiés au Sahara. »

Le gouvernement marocain est conscient de la détresse des réfugiés sahraouis et essaie de motiver leur retour : « Le Maroc nous accorde le droit au retour, explique Mohamed.

Pour cela, nous devons passer par son ambassade à Nouakchott, en Mauritanie. Là-bas, nous sommes invités à signer plusieurs documents où nous reconnaissons la légitimité de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental et nous faisons allégeance au roi. Ensuite, nous bénéficions d’aides financières pour nous installer et prendre un nouveau départ. Il y a également des facilités pour trouver un logement. »

Si des jeunes Sahraouis ont accepté le chantage, les anecdotes ne manquent pas autour de « héros de la cause » qui transfèrent l’argent fourni par le Maroc à leur famille sahraouie voire qui vendent le logement fourni par les autorités puis reviennent dans les camps avec d’importantes sommes d’argent…

Les mariages sont l’occasion de faire de nouvelles rencontres. Chez les Sahraouis, l’événement est célébré par l’installation d’une grande tente où les femmes dansent et chantent.

A l’extérieur, les hommes discutent et les célibataires guettent du regard d’éventuelles prétendantes sorties furtivement de la tente principale.

Portrait d’Aminatou Heidar, figure de la lutte des Sahraouis en territoire occupé marocain, ici affichée dans une salle de classe d’une école primaire du camp de réfugiés de Boujdour

Portrait d’Aminatou Heidar, figure de la lutte des Sahraouis en territoire occupé marocain, ici affichée dans une salle de classe d’une école primaire du camp de réfugiés de Boujdour

Plusieurs jeunes possèdent une base en français, fruit de l’investissement de la RASD depuis 2009 dans ce nouvel apprentissage afin d’éviter à leurs étudiants d’être handicapés dans les universités algériennes.

Après quelques échanges habituels où ils insistent pour m’expliquer que la propagande marocaine est fausse, et qu’ils ne sont pas séquestrés, je les interroge sur leur vision du conflit et de la situation actuelle.

Unanimement, les plus jeunes disent vouloir reprendre les armes. « A quoi sert-on ici ?, m’interroge l’un d’eux. Je veux me marier, mais pour offrir quoi à ma femme et à mes enfants ? » « Nous avons eu beaucoup de martyrs mais tous les jeunes sahraouis sont prêts à en offrir encore pour que notre cause soit de nouveau entendue. »

A l’écart, certains sahraouis témoignent de ces jeunes qui, attirés par l’argent, ont rejoint AQMI ou les réseaux criminels de la drogue. « Ni voyez rien de religieux, ça n’est que par appât du gain. »

Là encore, les récits, bien que durs à vérifier, s’entrecroisent : « Lorsqu’un jeune meurt, la famille reçoit ensuite un message ou un appel pour lui indiquer le décès. Les responsables du Polisario ont peur car ils savent qu’il y a forcément des recruteurs dans certains camps. Ils craignent également le retour de certains jeunes garçons car, c’est arrivé une fois, celui-ci a été remis à la police algérienne. »

Dans les écoles, tout est fait pour que les nouvelles générations soient conscientes et déterminées de reprendre le flambeau de la cause.

Dans les salles de classe, les portraits des leaders historiques Mohammed Bassiri et Moustapha Sayed, le premier tué par les troupes coloniales espagnoles et le second lors d’une bataille contre l’armée mauritanienne, côtoient ceux de l’ancien président de la RASD, Mohamed Abdelaziz (1982 – 2016) et d’Aminatou Heidar, célèbre militante sahraouie vivant en Territoire Occupé.

Mohamed Mouloud, ministre de l’Education de la RASD, tient à rappeler l’importance de l’éducation dans l’histoire des Sahraouis :

« La RASD a été créé le 27 février 1976, notre ministère le 5 mars. Nous sommes partis de rien : organiser l’éducation de milliers d’enfants au sein de camp de réfugiés, sans matériel ni équipe éducative. Désormais, on compte entre 5 et 7 écoles primaires par camps de réfugiés. Nous établissons nos propres programmes scolaires et éditons nos propres manuels scolaires. Récemment, nous avons ouvert un centre de formation pédagogique pour les enseignants et dans le futur nous souhaiterions développer un centre d’archives. »

Dans une société vivant sous assistance humanitaire, le budget de la RASD dépend entièrement des partenariats extérieurs.

Les fonds propres du gouvernement sont infimes, donc chaque ministère établit son budget avec l’aide humanitaire reçus et les partenariats établis. « 7% des partenariats entre la RASD et des institutions étrangères concernent l’éducation, explique le ministre. C’est par ce biais que nous obtenons du matériel scolaire et des moyens pour rénover certaines écoles. » Le reste du « budget » concerne notamment l’alimentation (50%), les bâtiments et travaux publics (21%), la gestion de l’eau (8%).

Les principaux partenaires des ministères sahraouis sont le HCR, le PAM, des agences de coopérations et des collectivités essentiellement espagnoles, italiennes, suisses et suédoises.

Garantir les droits humains de tous les Sahraouis

Au cours de nos rencontres, une des interrogations majeures était celle de l’existence de pratiques démocratiques au sein de la RASD.

Le Polisario affirme être le parti politique représentant la totalité du peuple sahraoui, mais qu’advient-il de celui qui souhaiterait parler d’une autre voix ?

Pour tenter de répondre à cette interrogation, Abba Salek, président de la Commission national sahraoui des droits de l’homme (CONASADH), fournit des éléments importants.

Créé il y a deux ans par décret présidentiel, la commission semblait être une demande émanant de la société civile. « Nous défendons la liberté d’expression, chaque sahraoui est libre de critiquer le président ou les décisions de la RASD, explique-t-il. Cependant, le développement de partis politiques divergents risquerait de nous écarter de l’objectif principal : l’obtention du referendum d’auto-détermination et la libération de notre terre. ».

Mohamed Mouloud, ministre de l’Education de la RASD

Mohamed Mouloud, ministre de l’Education de la RASD

La promesse d’un futur Etat sahraoui fondé sur une République démocratique et multi-partite est inscrite dans la constitution de la RASD, mais au regard de l’évolution des principaux mouvements politiques de la décolonisation, nous restons perplexes.

Abba Salek affirme être indépendant de la RASD. Il est à la tête d’un bureau de trente-trois membres regroupant à la fois des individus des Territoires Occupés, des camps de réfugiés et de la diaspora.

Sa principale activité est d’évaluer la situation des droits humains dans les camps de réfugiés et en Territoires Occupés. Depuis avril 2016, la commission a le statut d’observateur à la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

La commission est actuellement en pleine préparation de dossiers pour révéler au sein de l’UA les agissements du nouvel entrant. Son travail est appuyé par une équipe de juristes.

Vis-à-vis de la RASD, la CONASADH est censée émettre des avis sur les lois promulguées et proposer des réformes. La commission peut également offrir une aide juridique aux sahraouis qui n’en ont pas les moyens.

Reconnu par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, basé à Genève, la CONASADH compte parmi ses partenaires : le Comité International de la Croix-Rouge, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, l’Organisation Mondiale contre la Torture et l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, grâce à laquelle elle obtient un suivi des dossiers de prisonniers politiques sahraouis.

Actuellement, la CONASADH se concentre sur les vingt-quatre militants sahraouis de Gdeim Izik. Ils sont détenus depuis 2010 et le démantèlement brutal par les autorités marocaines du camp de protestation sahraoui à proximité de la ville de Laâyoune.

Jugés en février 2013, ils ont été condamnés dans un simulacre de procès devant un tribunal militaire à des peines allant de quinze ans à la réclusion criminelle à perpétuité.

En décembre 2016, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) obtient la condamnation du Maroc par le Comité international contre la Torture de l’ONU.

Asfari

Naâma Asfari/ Source Acat

Plusieurs détenus, dont notamment le leader Naâma Asfari, ont été torturés par les services de sécurité marocains.

Dans la foulée, la cour de cassation marocaine a demandé un nouveau procès, civil, cette fois. Dans son rapport, la cour délivre un fait troublant : les militants sont accusés du meurtre de onze policiers marocains.

Or, le dossier du procès n’indique ni les noms ni les photographies de ces victimes et encore moins de rapports d’autopsies.

L’autre dossier de la commission concerne le Mur de sable construit par le Maroc entre 1980 et 1987 pour séparer au Sahara Occidental les zones occupées par l’armée marocaine des territoires de la RASD. Militarisé au long de ses 2 720 km, le Maroc a déployé entre 7 et 10 millions de mines anti-personnels pour sécuriser la zone.

Dans chaque école, des affiches rappellent aux enfants de ne surtout pas toucher aux objets métalliques dans le désert, sous risque qu’il s’agisse d’un engin explosif.

Régulièrement, des chameliers voient leurs troupeaux décimés par l’intrusion de chameaux dans les zones minées. La CONASADH a étudié la possibilité de porter l’affaire du Mur devant la Cour Pénale Internationale, à l’instar du Mur israélien.

« La plainte palestinienne avait été déposée par la Ligue arabe, explique Abba Salek, soit une coalition d’Etats. Pour notre cause, nous ne disposons pas d’équivalents. L’Algérie et l’Afrique du Sud ont travaillé sur ce projet mais il y a une pression énorme de pays africains et arabes. »

Il vise particulièrement les pays francophones, tels que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, qu’il lie à l’influence diplomatique française, mais aussi les pays du Golfe, fervents soutiens du Royaume marocain.

L’Association des Familles des Prisonniers et Disparus Sahraouis (Afapredesa) représente cette société civile en lutte. Son président est Abdeslam Omar Lahcen et le siège se situe dans le camp de réfugiés de Rabouni.

Créé en aout 1989, l’organisation accompagne les familles de prisonniers politiques. Un « disparu » est un individu qui a été arrêté par les autorités marocaines sans que celles-ci ne le reconnaissent.

Parfois, certaines familles alertent l’association après qu’un de leurs proches n’ait plus donné signe de vie. Depuis sa création, l’association affirme avoir travaillé sur le dossier de plus de 4 000 personnes. A ce jour, selon Omar Lahcen, près de 500 sahraouis restent portés disparus.

 

L’Afapredesa rappelle que cette méthode n’est pas spécifique aux Sahraouis mais à tous les opposants au roi du Maroc, à l’exemple du socialiste Mehdi Ben Barka, kidnappé en France puis torturé à mort sans que le corps ne soit jamais retrouvé.

« La cause de ces familles a longtemps été sans issue car les autorités marocaines affirmaient que ces individus étaient morts durant la guerre ou avaient migré en Europe, explique Omar Lahcen. Lorsque l’ancien Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, James Baker, a été nommé en mars 1997 comme envoyé personnel du Secrétaire Général de l’ONU au Sahara Occidental, nous l’avons rencontré et nous lui avons fournis une liste de disparus. Le Maroc a reconnu détenir une partie de ces individus, dont certains qui étaient soi-disant partis à l’étranger. »

Depuis le 18 août 2005, plus aucun Marocain n’est détenu par le Polisario. Cette dernière libération de prisonniers avait été pour l’Afapredesa l’ultime adresse aux autorités marocaines de fournir des informations sur le sort de 150 militants, toujours portés disparus.

L’association dispose de nombreuses vidéos de violences sur des militants sahraouis par les services de sécurité marocains. Dans les villes de Laâyoune ou Smara, les scènes sont similaires : des militants se regroupent avec des drapeaux sahraouis et se retrouvent brutalement arrêtés.

Les images sont sans appel : des hommes humiliés en pleine rue, des femmes frappées à terre et humiliées en arrachant leurs voiles, des jeunes matraqués.

Ce moment nous rappelle qu’en territoire occupé vit désormais trois fois plus de Marocains que de Sahraouis, sans compter les migrants subsahariens invités par les autorités royales à peupler la région.

Comment envisager un Etat sahraoui souverain dans ce contexte ? « Tous ceux qui le veulent pourront être habitants du Sahara Occidental, à condition d’accepter d’être citoyen de la RASD, affirme le président de l’Afapredesa. »

De nouvelles figures pour la cause

Sans renier l’héritage politique de la RASD et du Polisario, une nouvelle génération de militants émerge.

Un jeune Sahraoui qui souhaite engager des études supérieures est obligé de partir à l’étranger. Cela peut être à Cuba pour la médecine, au Nigéria ou en Afrique du Sud pour les anglophones, en Algérie pour les francophones, en Espagne ou au Venezuela pour les hispanophones.

Jusqu’en 2011, les jeunes Sahraouis pouvaient également envisager des études en Libye ou en Syrie, seuls États arabes à soutenir la RASD.

Par leurs études, les étudiants sahraouis se construisent des réseaux internationaux. En revenant dans les camps, ils mutualisent leurs expériences et envisagent de nouvelles perspectives pour la lutte de leur peuple.

Cette volonté de tisser des liens avec l’international a, très tôt, été au cœur de l’action du Polisario.

Depuis 1979, le programme « Vacances en paix » du ministère de la Jeunesse et des Sports, permet à des milliers d’enfants de passer leurs vacances estivales dans des pays européens, principalement l’Espagne et l’Italie, et, dans une moindre mesure, la France.

La principale figure de cette nouvelle génération est sans nul doute l’association Non Violence Action of Sahara Occidental (NOVA).

En juin 2012, motivés par la dynamique du printemps arabe, des jeunes sahraouis des camps de réfugiés ont décidé de se réunir pour porter une nouvelle voix de la cause sahraouie.

Au cœur de leur projet : sensibiliser les jeunes aux luttes non-violentes. Abida Bouzeid est depuis 2014 la présidente de NOVA qui regroupe une centaine d’adhérents dans les camps et autant dans les Territoires Occupés.

Charismatique, la jeune militante sait manier aussi bien le français que l’anglais, l’espagnol ou l’arabe. « Nous voulons utiliser la colère des jeunes des camps pour mener des campagnes politiques de grande ampleur, explique-t-elle. Nous avons deux adversaires : les criminels qui veulent embrigader nos jeunes et la propagande marocaine. »

Bien qu’elle s’affirme indépendante du Polisario, force est de constater qu’elle répond bien à un créneau d’action qui semble échapper au mouvement politique sahraoui.

L’association propose des formations aux nouvelles techniques de communication et à la non-violence à des collectifs d’enseignants, aux soldats et aux jeunes des camps de réfugiés.

Nova s’est rapidement fait un nom dans les milieux activistes. Fin 2016, Abida Bouzeid a été invitée en France pour porter la voix des Sahraouis.

Elle se dit avoir été « atterrée » par l’absence de conscience de la classe politique française sur la question sahraouie et des faibles réseaux de solidarité pour la cause de son peuple, en comparaison avec le mouvement de solidarité pour la Palestine.

« Nous attirons moins les médias que d’autres causes par manque de sensationnalisme, explique-t-elle. Ici, il n’y a plus de bombardements ni d’affrontements militaires, et on ne peut que s’en réjouir, sauf que cela a conduit à la marginalisation de notre lutte. »

Désormais, Nova veut mobiliser les jeunes sahraouis sur des batailles pacifiques mais déterminantes : l’accueil de délégations politique et syndicale internationales, la diffusion d’une communication militante sur les réseaux sociaux et la sensibilisation d’artistes internationaux.

L’autre question qui tient à cœur à l’association est la lutte contre le tribalisme. Historiquement, les Sahraouis désignent une population composée d’un ensemble de tribus essentiellement nomades qui, avant et pendant la colonisation espagnole, ont circulé sur le territoire du Sahara Occidental.

Cependant, le colonisateur a su manipuler les rivalités tribales pour maintenir sa domination. C’est donc par un refus de nommer leur tribu au profit d’une appartenance unique au peuple sahraoui que s’est produite la première manifestation nationaliste sahraouie, lors du recensement de 1974.

Par la suite, le Polisario a tenté d’imposer une forme de citoyenneté basée sur l’égalitarisme social, mais les responsables sahraouis font désormais le constat d’une forme d’échec : la plupart des cadres politiques sont issus d’une des trois grandes tribus sahraouies, à commencer par les Reguibat dont sont issus les trois présidents de la RASD.

Nova se donne comme ambition de préparer la future société sahraouie, celle qui devra gérer un pays indépendant.

« La RASD n’a pu enterrer le tribalisme, explique Abida Bouzeid, elle l’a donc institutionnalisée pour protéger les citoyens sahraouis contre les discriminations ou le racisme. L’objectif est de démontrer aux Sahraouis que le meilleur protecteur n’est pas la tribu mais l’autorité gouvernementale. »

Dans un contexte de volontés guerrières d’une partie de la jeunesse, le choix d’une non-violence est à questionner. « Nous n’avons pas le choix, explique-t-elle, la violence ne peut pas construire une société apaisée, explique la présidente.»

La force pour mener son combat, les jeunes de NOVA la trouvent dans l’histoire de leur peuple, qui est celle des luttes panarabes, panafricaines et tiers-mondistes.

Ponctuellement, nous croisons les portraits de grands leaders qui ont soutenus la cause sahraouie, de Thomas Sankara à Nelson Mandela, en passant par Mouammar Kadhafi, le général vietnamien Nguyen Giap ou Fidel Castro. « Nous devons malmener la propagande marocaine, réaffirmer que cet État a toujours soutenu les velléités impérialistes et néocoloniales de la France et des Etats-Unis en Afrique », explique la présidente de Nova.

Ce constat, elle a pu en faire l’amère expérience lorsqu’elle a été invitée au Conseil de sécurité de l’ONU et que les représentants français ont décidé de boycotter ses auditions. En décembre dernier, elle a participé à une délégation sahraouie pour le 4ème Forum Social Maghrébin-Migration qui s’est tenu à Tanger.

Son entrée en territoire marocain a été possible grâce à l’intervention d’OXFAM qui s’est portée garante de sa sécurité.

Elle a pu y tisser des relations avec des organisations étudiantes marocaines et remettre en cause la rhétorique gouvernementale au sujet de la lutte de son peuple.

Surtout, elle y a relayé ces mots qui animent la conscience des Sahraouis : « Nous n’en voulons pas aux Marocains, mais à leur gouvernement. L’Afrique est un immense continent, il y a de la place pour tout le monde. »

Thomas Vescovi

 

 

 

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