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Les coulisses de la primaire: « trahison et illusion, un fiasco annoncé »

photo-rose-amezianeRose Améziane (ci-contre) est entrepreneure et chroniqueuse radio. Très engagée dans la vie civile, elle préside l’association Made in Nanterre. Militante politique sans étiquette, elle décrit l’envers du décor des primaires de la droite et du centre. Entre analyse et confidences entendues en off. Le premier tour des primaires de la droite et du centre a réservé son lot de surprises. A y regarder de plus près, ce résultat fut rendu possible grâce à deux éléments concomitants.

Le premier fut la trahison. Une trahison minimisée et pourtant fatale. Celle de Nicolas Sarkozy et ses ex-amis de Sens commun, mouvement issu de La Manif Pour Tous. Ils avaient soutenu l’ancien président depuis son retour dans la course à l’Elysée.

Mais un événement est venu doucher les espoirs des anti-mariage gays, convaincus qu’ils pourraient grâce à Sarkozy revenir sur la loi Taubira.

la-france-pour-la-vieAprès la sortie de La France pour la vie (Plon), en janvier 2016, Sens commun prend alors conscience de la reculade de Nicolas Sarkozy. Leurs convictions fondamentales étaient loin d’être partagées.

Nicolas Sarkozy annonçait qu’en tant que Président il ne reviendrait pas sur le mariage pour tous.
Selon nos sources, une réunion-règlement de compte s’est tenue, en janvier, entre le candidat et la direction de Sens commun. Échange houleux. Divorce même.

Un « contrat » sur Sarko

A la suite de cette réunion, en ressortira un pacte secret entre Sens commun et François Fillon. Dorénavant, dans l’escarcelle filloniste, le mouvement catholique déploie toute son énergie pour faire tomber Sarkozy, le traître.

A travers une méthode schizophrénique. Continuer de le soutenir officiellement tout en prêchant pour leur nouveau sauveur, François Fillon, en off. On est à quelques mois de la primaire.

Trahison pour trahison, les millions de manifestants anti mariage-gays sont facilement mobilisés pour donner une leçon de morale politique dans les urnes. Celle qu’une parole vaut serment pour des croyants. Ce pacte, le candidat Sarkozy ne l’avait pas vu arriver.

Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole de Sens Commun (La Manif Pour Tous) et Secrétaire nationale Les Républicains, 22 janvier 2016
(Vidéo/I télé)

Même si un tropisme pro-Fillon se dessinait, déjà, sur le terrain, loin des médias et de leurs sondages. D’ailleurs, on avait pu observer quelques mois auparavant des élus sympathisant et fervent soutien d’Alain Juppé virer, avec une rapidité déconcertante et quasiment du jour au lendemain, fillonistes. Sans préciser les raisons de ce changement soudain.

Dans la confidence, ils préféraient en fait quitter le bateau du futur outsider. Opportunisme politique quand tu nous tiens !

De son côté, François Fillon a pu compter sur ce pacte avec Sens commun pour réaliser une belle percée tout comme il a su capitaliser également sur la colère et la peur d’une France meurtrie par les attentats, où même l’Eglise a été la cible d’un spectacle d’horreur en juillet dernier.

Son discours offensif contre l’islam a bien sûr contribué à rassurer et rassembler à droite. On remarque d’ailleurs qu’il assumera parfaitement le volet raciste voir négationniste de ses opinions en parlant à cette France profonde qui rejette le multiculturalisme avec vigueur.

Il n’a eu de cesse de repousser les limites de la liberté d’expression en comparant par exemple les colonies à un projet quasi-angélique censé « partager la culture française ».

« La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord », François Fillon, 28 août 2016
(Vidéo Public Sénat)

Le 12 novembre, en meeting à Biarritz, il tentera, avec succès, une envolée anaphorique autour du communautarisme, pointant, sous couvert de dénoncer « l’intégrisme islamique » les musulmans dans leur ensemble.

En résumé, un trumpisme contrôlé, un populisme courtois et un frontisme pragmatique. Comme si la posture de l’homme d’Etat et les éléments de langage avaient suffi à effacer l’agressivité et la violence de ses propos.

Au-dessus de la mêlée, de la médiocrité

En parallèle, le second élément fut clairement la médiocrité de la campagne d’Alain Juppé. Et notamment dans les quartiers populaires.

D’ailleurs, l’un de ses proches « penseur » et mécène  voulant « se connecter » aux banlieues à quelques semaines du premier tour avait même fanfaronné annonçant  la venue du candidat sur la dalle d’Argenteuil, là où Nicolas Sarkozy, y avait laissé un souvenir impérissable en 2005.

Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Dominique de Villepin
26 octobre 2005
(Vidéo Ina)

Un message fort selon cette éminence grise. Pas suffisamment pour les militants de terrain. Le mécène se verra répondre que « les banlieues elles n’en avaient rien à faire » (ndlr, de la visite d’Alain Juppé). Et c’était bien le cas. Le passage de Juppé n’a pas marqué l’Histoire…

Car si l’on peut considérer que les banlieues ne sont pas hostiles à Alain Juppé, on ne peut pas dire que ses équipes furent très représentatives. Dès le démarrage de la campagne, de nombreux leaders d’opinions, des responsables associatifs ou autres militants sont venus prendre part au lancement.

Quelle ne fut pas leur surprise quand on nomma quelques basanés sans aucune capacité à fédérer pour animer les comités dans les villes de banlieue. A mesure que les mois défilaient, les comités s’épuraient et devenaient de plus en plus blancs…

Le peu de soldats exotiques et crédibles, présents, claquèrent la porte à force de se voir refuser la prise en charge de responsabilités concrètes. Sur le terrain, pas de porte-à-porte, pas de réunions de quartiers, pas de débats. Une campagne faite de réunions de comité en centre-ville, à refaire le monde aux chips et au bon vin en remontant des pseudos idées pour le candidat. Le tout, agrémentés de selfies sur les différentes pages de soutien Facebook.

Juppé: Erreur de débutant ou d’arrogant ?

Aucune campagne électorale ne se gagne sur les réseaux sociaux et encore moins sans un ancrage terrain solide. Le like n’ayant pas valeur de vote. Et comme toujours dans les quartiers, l’abstention fut la grande gagnante.

Plusieurs de ses lieutenants dans son équipe de campagne ont pourtant été avertis de ce fiasco annoncé. Malgré les mails envoyés pour pointer le manque de présence sur le terrain ou proposer des solutions écrites destinées capter les abstentionnistes de banlieue, pas de retour. Une nouvelle fois du mépris et le silence pour réponse.

A-Line Bridesmaid DressesAlain Juppé sur la dalle d’Argenteuil, 2 novembre 2016
(photo/Afp)

Une équipe de campagne sourde et un candidat autiste, les yeux rivés sur les sondages. Un premier tour où la discrétion fut un atout pour l’un et un désastre pour l’autre. Aujourd’hui, le fantasme du vote musulman uniforme s’envole et l’on observe les tensions vives dans la communauté sur les réseaux sociaux. Impossible de débattre sereinement sur le fond.

Certains, préférant Fillon pour ses positions sociétales, notamment celles contre la GPA ou l’adoption plénière des couples homosexuels. D’autres rejetant, avec vigueur, son discours clairement islamophobe et stigmatisant.

Compliqué de gagner à droite grâce aux mosquées…

Et même si, les appels au vote pro-Juppé circulent dans des boucles de mails et de sms depuis quelques jours, le second tour laisse peu de surprise. Même si en politique rien n’est joué d’avance.

Ces soutiens de dernière minute, acceptés par un candidat à bout de souffle, poussé, in extremis,  à ne pas renoncer dimanche dernier alimentent encore plus la paranoïa dans son propre camp.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que la gauche se prépare depuis quelques jours à démonter le programme libéral de François Fillon pour essayer de regagner la faveur du vote ouvrier, des fonctionnaires mais aussi des LGBT.

Ironie des élections, au second tour le vote d’Alain Juppé est devenu plus que jamais un rempart contre une droite dure et une gauche qui rêve de nouveau.

Rose Améziane

 

Raconter, analyser, avancer.

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