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« La démocratie doit primer sur la police de la pensée »

Asif Arif, avocat et auteur de "Outils pour maîtriser la laïcité" (Ed. La boîte à Pandore)

Asif Arif, avocat au barreau de Paris.

LETTRE OUVERTE.

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

J’apprends avec grand étonnement, et de surcroît par voie de presse, que plusieurs organisations dont la LICRA, le Printemps Républicain, le Comité Laïcité République ou encore le Grand Orient de France se permettent de vous solliciter afin que le colloque organisé à l’Université de Limoges soit annulé, en raison de l’invitation d’Houria Bouteldja dans le cadre de ce colloque universitaire.

Les collectifs précités estiment ainsi que la République est prise d’assaut par une idéologie trempée dans «l’essentialisation, la réhabilitation des races, l’obsession des Juifs et le compagnonnage avec l’islam politique ». Il faut rappeler que cette demande d’annulation fait suite à l’annulation d’un colloque organisé par l’Université de Lyon, à la demande du Printemps Républicain, simplement aux motifs que le CCIF devait y intervenir.

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Le communiqué de presse annonçant l’annulation du séminaire d’études décoloniales, lors duquel Houria Bouteldja devait intervenir.

On appelle ainsi à annuler un deuxième colloque en raison des participants à ce dernier.

Or, est-il nécessaire de rappeler qu’aux termes de l’article L 952-2 du code de l’éducation, issu de l’article 57 de la loi Savary du 26 janvier 1984, « les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité ».

Évidemment, les membres des collectifs vont nous opposer un arrêt en référé du Tribunal administratif de Lyon qui soutenait notamment que le CCIF n’était pas fondé à demander la suspension d’une décision qui annulait un colloque de Lyon. Or, il faut apporter plusieurs éléments à votre connaissance :

  • D’abord, il s’agissait du premier colloque qui était annulé. Si un deuxième vient à être annulé par des organisations qui ne font pas partie de l’université, il risque d’y avoir une atteinte réelle à l’indépendant des enseignants-chercheurs qui souhaitent organiser le colloque.
  • Il risque également d’y avoir une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression des individus intervenant dans le colloque étant donné qu’un colloque scientifique vise à recueillir les assentiments et les parcours des acteurs de terrain ou encore d’individus ayant publié des ouvrages sur des sujets en particulier.
  • La demande d’annulation du Colloque de Limoges, telle que formulée par ces organisations, vise expressément à ce que certaines idées ne soient pas diffusées. Or, la liberté d’expression permet la diffusion d’idées qui puissent heurter et cette liberté, permet, fort heureusement à la démocratie d’être fonctionnelle et aux débats d’exister.
  • Enfin, l’arrêt rendu par le tribunal administratif de Lyon n’est ni un arrêt du Conseil d’Etat, ni un arrêt rendu sur le fond, permettant un réel débat sur les libertés. Il faut donc savoir raison gardée sur la portée, très réduite, de ce dernier.

Bien qu’on puisse ne pas être d’accord, sur le fond, avec les idées d’Houria Bouteldja ou avec les positions du CCIF, cela ne justifie pas d’annuler des colloques dans lesquels ces acteurs de terrain sont invités.

La démocratie permet justement aux opinions contradictoires de s’exprimer dans le respect de nos institutions. Il ne ressort aucunement que le CCIF ou Houria Bouteldja n’ait pas respecté les institutions. D’ailleurs, le racisme et l’antisémitisme sont des délits en France et jusqu’à preuve du contraire Houria Bouteldja n’a pas été condamnée en ce sens.

En revanche, on s’étonne du peu de mobilisation de ces mêmes organisations lorsqu’Eric Zemmour est outrageusement invité sur les plateaux de télévision ou dans des colloques, et autres discussions, alors que ce dernier a été condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale. Ou s’en étonne d’autant plus lorsqu’aucun communiqué de presse n’est publié à la suite du « problème musulman » que Manuel Valls a subitement découvert en France, lors de son débat chez El Pais.

Quoiqu’il en soit, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, notre société se retrouve forte par ces contradictions et surtout par le fait de pouvoir exprimer librement les faits qui alimentent notre actualité tous les jours. La manière de procéder de ces organisations n’est ni symptomatique d’un débat d’idées serein, ni d’une démocratie en bon état de santé. Au contraire, il s’agit simplement de poursuivre une idée quasi-orwellienne de police de la pensée et de décider, en lieu et place des universitaires, des colloques admissibles et des colloques non-admissibles.

Or, ni le Grand Orient de France, ni le Printemps Républicain ou encore le Comité Laïcité République n’ont le monopole des colloques, ni ne siègent-ils dans une quelconque commission visant à statuer sur l’opportunité des colloques, laquelle serait d’ailleurs contraires à nos principes constitutionnels et démocratiques.

Nous tenions simplement ici à le rappeler.

Asif Arif

 

Asif arif laicitéAsif ARIF, Avocat au Barreau de Paris, auteur et conférencier spécialisé sur les questions d’islam et de laïcité. Il publie, aux éditions La Boîte à Pandore, Les « Outils pour maîtriser la laïcité », octobre 2017.

Raconter, analyser, avancer.

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