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Divines: reflet d’une sale époque

Sam Deghout n’a pas la langue dans sa poche. Face au triomphe de Divines, le film de Houda Benyamina, césarisé à trois reprises, le 24 février dernier, il en livre une critique au vitriol. Selon lui, l’œuvre enfile les clichés comme on enfile les perles.

17/09/2016 Divines. Premières impressions…Il y a des gens qui ne mangent pas d’épinards mais ça n’est juste qu’un dégoût imaginaire, moi je n’avais en tête que quelques images de “Divines” et pas une envie irrésistible d’aller le voir mais je suis de ceux qui ont besoin de voir un film dans son intégralité pour en parler et j’ai même payé ma place dans le cas présent. Il m’a fallu du courage pour aller au-delà du premier quart d’heure tant cela devenait déjà insupportable.

On m’a dit “tu verras c’est une belle histoire d’amitié pas du tout un film sur la banlieue comme les autres “. J’ai même lu les propos de Mouloud Achour qui a comparé ce film à “ La Haine “ ou d’autres qui pour je ne sais encore quelles raisons étaient prêts à se jeter sous le RER en cas d’avis négatif sur le travail de Houda Benyamina.

Lors du dernier Festival de Cannes, même le tapis en était encore plus rouge d’émoi à l’idée d’assister au triomphe de l’équipe.

Allons droit à l’essentiel et parlons du contenu au risque de choquer je vais ici vous donner mes premières impressions à la sortie d’une salle garnie d’un public qui avait toutes les caractéristiques des riverains du quartier de l’Opéra.

Oui je sais, c’est un cliché mais comme ce film en contient au moins des dizaines, un de plus ça n’est pas grave . Ce duo de copines qui a des rêves en béton gris comme le paysage décident donc de s’associer avec une autre jeune fille basanée qui n’a d’autre occupation que de vendre de la drogue et d’ouvrir “un bar à putes” dans cet Eldorado légendaire qu’est devenue la Thaïlande, pour certains mômes qui ont bien trop regardé “Scarface”, une autre catastrophe pour les neurones de notre jeunesse.

Leur ambition est sans limite puisqu’elles acceptent même de se tortiller en discothèque pour voler un magot à un autre méchant basané. Il y a une lueur d’espoir dans l’histoire … la présence d’un danseur (blanc) qui fait succomber cette jeune maghrébine dont la mère habite un camp de roms avec son mari travelo, lequel tolère que son épouse couche avec la moitié de la ville.

Ce mélange d’allusion à la religion sous l’angle laïcard basée sur des scènes éprouvantes de violences physiques (entre basanés) a, selon moi, motivé certains médias à émettre des critiques dithyrambiques. Oui quoi de mieux pour eux que d’inciter les gens à renforcer leur propre opinion déjà forgée par les reportages et les articles de gens qui pour beaucoup doivent habiter bien loin de cet univers.

Imaginons un moment que Yamina Benguigui soit la réalisatrice, jamais le film n’aurait été l’objet d’un tel bouche à oreille. Ce copinage doit cesser car c’est la fidèle reproduction de ce que l’on reproche à tant d’autres milieux.

Chacun d’entre vous est libre d’avoir son propre avis ou d’aller se faire son opinion comme les 100 000 personnes qui ont déjà vu “Divines “ … Mais ce qui m’a marqué, dans la salle de projection, c’est justement certains rire durant les séquences les plus tragiques.

Mais, je ne vais pas vous décrire la fin de cette histoire. Je vous laisse “diviner” à en choper la nausée .

26/02/2017 Lendemain des César. J’aurais voulu avoir tort, que « Divines » ne soit pas récompensé de telle sorte qu’aucune programmation ne soit à nouveau envisagée. Seulement l’occasion était trop belle pour ne pas envoyer une nouvelle salve de clichés sur la banlieue.

A  l’heure où les violences policières sont en pleine recrudescence, où un jeune est la cible de la vindicte populaire (surtout celle de la Fachosphère) pour des tweets certes pas très futés mais qui lui valent le même traitement qu’un criminel, « Divines » nommé 7 fois obtient donc trois César : Oulaya Amamra meilleur espoir féminin, celui du meilleur premier film et enfin Déborah Lukumuena meilleure actrice dans un second rôle.

C’est donc l’histoire et les deux héroïnes qu’on a voulu mettre en valeur, récompenser pour la postérité. Ce que je ne savais pas c’est que Houda Benyamina la réalisatrice a dit que ce film lui avait été inspiré par les émeutes de 2005 . Dès lors j’ai cherché en vain le rapport entre ce film et ces tristes événements.

Il fallait un doctorat en sociologie pour trouver un lien entre une révolte sociale suite à la mort de Zyed et Bouna et la narration du quotidien de « Dounia et Maïmouna « . Je crois ne pas avoir été le seul dès lors à espérer un réel discours engagé de l’équipe mais il n’en fût rien.

Nous en sommes restés au stade du nombrilisme au point que j’ai failli en pleurer de honte pour eux quand  Alice Diop et Maïmouna Doucouré ont profité de leur succès pour rendre hommage aux victimes des violences policières et demandé plus de justice sociale.


Alice Diop, réalisatrice engagée

Je ne fais pas ici le procès de ces deux jeunes actrices qui n’ont fait qu’interpréter leur rôle. Mais j’en veux à ceux qui ne veulent pas faire évoluer la création cinématographique en France. Depuis des décennies, la majeure partie de ce qui nous est proposé vise toujours à respecter le même schéma : la diversité n’est là que pour faire rire à ses dépens ou alors pour tenir le rôle négatif dans le scénario.

Les USA ne sont pas un modèle loin de là en matière de justice sociale mais ils n’ont pas d’hésitation à faire des séries ou des films avec des personnages « basanés ». Un chirurgien noir ou un juge asiatique ça n’existe pas en France.

Comme si cela relevait du degré ultime de la science-fiction.

Si d’aventure quelqu’un avait envie de faire le biopic de Zidane, il se verrait imposer le dernier comique à la mode pour que le risque financier soit moindre.

Si les Américains ont su franchir ce cap, c’est aussi en lien avec le fait que des gens comme Spike Lee ont démontré qu’il était possible d’investir massivement pour que les choses changent. En France,  même des gens issus de la diversité continuent à entretenir le schéma établi.

Divines 1

Selon le baromètre de la diversité (2016), « les attitudes négatives sont incarnées à 25% par des personnes perçues comme « non blanches ».

Le succès de « Divines »  ne va améliorer en rien l’image des banlieues. Comble, il a poussé encore une fois de sinistres personnages de remuer la boue en fouillant le compte twitter de Oulaya Amamra pour y trouver des stupidités écrites quand elle avait 15 ans, jetant le discrédit sur son succès médiatique .

Ces sinistres personnages qui ont une mémoire bien sélective ont la ferme intention de salir l’avenir d’une diversité qui ne veut pas écrire sa propre histoire et parler de son présent.

Sam Deghout

Raconter, analyser, avancer.

Comments (1)

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    Sabah

    Une plume toujours aussi fine….

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