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Iman Cravello : En France, « la mode exige des clichés »

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À 22 ans, Iman Cravello a déjà une carrière de mannequin derrière elle. Étudiante en finance, elle revient sur une expérience ô combien formatrice. Derrière les paillettes de la mode, les travers d’une société française qui rejette (toujours) l’altérité.

« Le milieu de la mode est une super opportunité mais ce n’est pas stimulant intellectuellement ». A 22 ans, Iman Cravello sait ce qu’elle veut. Et surtout ce qu’elle ne veut pas.

Elle vient de troquer les strass des podiums pour les bancs de la fac. Sa vocation, c’est semble-t-il, dans la finance qu’elle se dessine.

De la mode à la finance

En septembre dernier, elle entamait son master de finance à l’université d’Edimbourg (Royaume-Uni).

« Je ne savais pas vraiment ce qui me plaisait en finance mais dorénavant je souhaiterais me tourner vers la finance de marché. J’aimerais m’orienter vers le trading de commodités en énergie…»

Dorénavant, sûre d’elle, Iman prévoit déjà une année supplémentaire en master en finance en France. Si elle ne sait pas encore où elle posera ses valises, une fois diplômée, elle regrette bien le Brexit à venir.

« Londres, c’était vraiment l’idéal pour commencer sa vie active. Le référendum m’a mis un coup tant j’aime cette ville. De manière générale, je privilégierai le poste plutôt que la localisation.

Croisons les doigts pour qu’il y ait toujours de belles opportunités au Royaume-Uni suite au Brexit », explique-t-elle.

Par-delà les frontières

Et puis, Iman, qui a évolué dans un milieu privilégié, a les voyages inscrits dans son ADN. 

Née d’une mère algérienne et d’un père franco-italien, vivant entre la France et les États-Unis, difficile de faire autrement.

Après des études secondaires en Belgique. Alors qu’elle participe au festival Couleur Café à Bruxelles, un « scoot » la repère et lui propose de passer à son agence de mannequin. « Je n’ai pas donné suite ».

Un désintérêt manifeste qui renseigne sur la personnalité de la jeune adulte. Entourée de sa mère, Malika, elle ne transige pas avec ses rêves.

De retour sur Paris, elle enchaîne les jobs. « En parallèle de mes études, j’étais hôtesse d’accueil au PSG ».

Fashion calling

Le milieu de la mode lui fait à nouveau des appels du pied. « Une directrice d’agence m’incite à tenter ma chance, ce que je fais ».

Cette fois-ci. Elle tape, alors, dans l’œil des designers, émissaires de la marque de couture géorgienne Patuna.

« Ils m’ont proposée un contrat et je suis entrée dans la mode grâce à eux ». Nous sommes en 2014.

Iman signe son premier contrat et commence à défiler. L’expérience lui plaît. Pas étonnant à 20 ans.

Droite dans ses bottes

Mais Iman est singulière. Pis, elle détonne dans ce milieu. A plusieurs niveaux d’ailleurs.

Elle détonne par sa maturité. « C’était une opportunité en or ». Or, les études sont sa priorité.

« J’ai toujours gardé en tête que je voulais étudier. La mode n’est pas le milieu dans lequel je veux m’accomplir ».  Sans parler des sacrifices.


« Les castings, les défilés, ça rime avec l’absence des proches, une discipline de fer…elles sont nombreuses les concessions à faire pour percer ».

Si elle sait faire preuve de renoncement, « je ne suis pas sûre de tout vouloir sacrifier tout le temps… ».

…et dans ses principes

Elle détonne, aussi, par sa conscience. A 20 ans, Iman Cravello jette un regard plein de sagacité sur cet univers.

« Mon profil est difficile à cataloguer comme française. Mon physique, mon nom…on ne savait pas d’où je venais », relate-t-elle.

Du fait de ses origines, Iman Cravello ne correspond pas aux clichés attendus.

« En France, la diversité est toujours compliquée à valoriser tout comme en Italie, d’ailleurs. Mais, dans mon cas, c’est encore pire car je n’étais pas là où l’on m’attendait ».

En gros, pas assez typée pour certains. Trop typée pour d’autres.


Racisme et paillettes

Et puis, en creux, Iman Cravello voit et subit même un racisme qui, comme souvent, ne dit pas son nom.

« En France, par exemple, les caucasiennes règnent sur les podiums. Contrairement à Londres ou New York, la beauté blanche, les Français adorent ça ! ».

Un constat qui peut se justifier par des choix marketing. Reste qu’ils se fondent sur des motivations clairement raciales et donc discriminatoires.

La loi est, pourtant, claire sur le sujet.

Selon le texte du 27 mai 2008, « constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, […] *»

Métaphore française

Au fil de son parcours, Iman se souvient voir tenté beaucoup de beaux castings où « tu n’as aucune chance. Ils veulent des blanches » est rapidement devenu un leitmotiv.

Iman, pas désabusée pour un sou, revient même sur le cas d’un célèbre directeur de casting parisien travaillant, notamment pour des designers libanais et dont elle préfère taire le nom. Appelons le Armand.

Connu pour blacklister les filles « typées », au faciès africain faut-il comprendre, Armand m’a littéralement « exclue. Je l’ai entendu dire tu la bloques. Il savait que j’étais maghrébine ».

Paranoïa ? Iman, qui a pris selon elle le type nord-africain de sa mère et pas celui italien de son père, réfute. « Il est connu pour ses agissements. C’est un fait établi…».

Comme dans de nombreux domaines, en France, il y a bien une exception. « On ne refuse pas la diversité en apparence mais on veut des clichés.

Pour certains designers, une femme noire, c’est une peau très noire et une Arabe, des cheveux frisés. Ils veulent des gens qui représentent des races ».

Un peu comme « tous les Noirs aiment le manioc et les Arabes, le couscous ».

Et puis, Iman Cravello va plus loin. « Les grandes marques refusent clairement que leur image soit associée à une clientèle noire et arabe. C’est une évidence ».

Une façon de « réserver la haute couture à un certain type de catégorie sociale ». Une approche clairement favorable à une forme de communautarisme social.

Un constat qu’elle n’applique pas aux Britanniques, par exemple. « J’ai ralenti mes collaborations et aujourd’hui, je ne travaille qu’avec des agences londoniennes », explique-t-elle.

« C’est beaucoup plus ouvert en matière de diversité. Surtout, on peut exister en dehors des clichés ».

Par Nadia Henni-Moulaï

 

 

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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