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Édito. Et si la France s’inspirait des Bleus ?

L’équipe de France de football détient-elle les clés pour changer le regard sur les Français, héritiers de l’immigration ? Depuis sa victoire en Coupe du monde en 1998, le pays a fabriqué un mythe autour de la France « Black-Blanc-Beur ». Mais, il s’agit surtout d’un placebo pour masquer l’échec d’une société inclusive, où chacun peut être qui il veut.

Depuis sa qualification pour les demi-finales, face à l’Uruguay le 6 juillet dernier, les Bleus sont au firmament de leur image. Comme en 1998, beaucoup de Français ont commencé à prendre au sérieux leur chance de victoire finale, à partir de leur match contre l’Argentine. Mais c’est surtout la demi-finale face aux Diables rouges qui a fait prendre conscience aux Français du rêve bleu.

Les chances pour l’équipe de France de gagner la Coupe du monde sont réelles. Même si certains, comme les jeunes générations du Front national ne voit pas, à l’instar de Jean-Marie Le Pen, refusent de s’identifier à cette équipe multiculturelle.

En 2006, le fondateur du Front national, sarcastique, s’interroger sur cette équipe de France.

« Peut-être que le sélectionneur a exagéré la proportion de joueurs de couleur, peut-être qu’il aurait dû garder dans ce domaine-là plus de mesure, peut-être, s’est-il laissé entraîner par ses choix idéologiques », déclarait-il en marge du Mondial.

Les chiens ne faisant pas des chats, sa petite-fille, Marion Maréchal (ex Le Pen), alors député du Vaucluse, invitait, elle, « Karim Benzema à retourner en Algérie ». Son amour assumé de l’Algérie » qu’il porte « dans le cœur » et ses propos sur Didier Deschamps cédant « à une partie raciste de la France », ont provoqué l’ire de la jeune élue.

S’il n’est plus militant du FN, comme il l’a été dans un passé « lointain », Jean-Philippe, 49 ans, responsable informatique, n’a pas la sélection française en odeur de sainteté.

« Sur 16 joueurs, 23 viennent d’Afrique », regrette-t-il. « Cette équipe de France, c’est la 6e équipe africaine ».

Ancien membre fondateur d’un groupe ultra français, ce passionné de foot basé près de Lyon n’en démord pas. « Je me sens génétiquement et culturellement plus croate ou russe qu’Africain ! Les célébrations à l’africaine en fin de match, non merci ! ». Les mots sont abrupts. Sans filtre.

Comme pour 1998, il s’érige contre « ce mythe d’une France multiculturelle. Cette sélection ne représente pas ce pays. C’est la projection de ceux qui promeuvent leur idéologie multiculturelle dans un pays qui est contre l’arrivée de migrants, à 70% ».

Et à ces joueurs, nés en France, fiers de défendre le drapeau français, Jean-Philippe est moins poétique. « Ils défendent leurs primes et leurs sponsors ».

Une réponse qui permet d’évacuer une contradiction portée par ce discours. Killian Mbappé, N’golo Kanté ou Paul Pogba sont français. Pourtant, une partie raciste de la France leur renie ce droit accordé de facto à Antoine Griezmann ou Olivier Giroud. De l’inégalité des Français.

Du fait de leur ascendance extra-européenne, Mbappé ou Pogba ne sont pas autorisés à revendiquer le drapeau Bleu-Blanc-Rouge.

Mais, le discours de Jean-Philippe n’est pas le fait d’un camp, l’un aux idées ouvertement racistes, l’autre aux valeurs ouvertes et inclusives. Le tableau est plus nuancé.

Né de parents d’origine camerounaise et algérienne, Killian Mbappé a grandi dans la désargentée Seine-Saint-Denis. Porté aux nues depuis son arrive au PSG, ses performances lors de ce Mondial en ont fait une star mondiale, symbole de la France dite « diverse », tout bord politique confondu…

On est en 2018 et même Marine Le Pen, actuelle leader du Font national, a tweeté son soutien à l’équipe de France après sa victoire contre l’Uruguay.

Il faut dire qu’en France, personne n’a oublié la soirée du 12 juillet 1998, quand 1,5 millions de personnes se sont réunies sur les Champs Elysées pour célébrer la victoire des Bleus en finale face au Brésil.

Le gadget de 1998

La France de la diversité (multiculturelle en fait, mais il s’agit d’un gros mot) était acclamée érigeant le slogan « Black-Blanc-Beur » au rang de vérité générale.

Aujourd’hui, le pays s’apprête à réitérer l’exploit de 1998, mais le doux mirage d’une France inclusive fera t-il encore son effet ?

Razik Metiche, 35 ans, auteur franco-algérien, prédit un second épisode type 1998. « Un événement qui pourrait envoyer un message très positif au sujet de cette France multiculturelle ». Car le foot est politique. Et il a valeur d’exemple. “Regardez un parcours comme celui de Raymond Kopa, décédé en 2017. Ce joueur français d’origine polonaise est un exemple de ce que le football raconte de l’intégration. Son parcours parle à tout le monde. »

Pour autant, Metiche sait bien que les « politiques utilisent le foot comme un moyen de masquer ce qu’ils ne parviennent pas à régler : chômage, racisme, discriminations… ».

En 1998, la cote de popularité Jacques Chirac (+7 points) et Lionel Jospin (+2 points ) bénéficiaient de l’effet Coupe du monde. Du jamais-ivu lors d’une cohabitation et après la dissolution manquée de l’Assemblée nationale, un an avant.

Que tout le monde reste à sa place, de riche, de pauvre.

Mais la joie de 1998, si elle a marqué une génération, fut brève. Une soirée, un été tout au plus.

Comment des footballeurs pourraient-ils transcender les barrières ethno-culturelles mais aussi sociales ? La politique de maintien française n’est pas plus friable en 2018 qu’en 2018.

Que tout le monde reste à sa place, de riche, de pauvre. Le dernier rapport de l’OCDE sur la mobilité sociale en France est, d’ailleurs, édifiant. Il faudrait six générations pour qu’une personne née dans une famille pauvre atteigne un revenu moyen.

Les footballeurs courent 90 minutes après un ballon mais que peuvent-ils face à une élite dominante et carnassière ? Même millionnaires, en font-ils partie de cette élite ?

Avec ses 200 000 abonnés Twitter, Nabil Djellit, est un journaliste sportif très au fait des enjeux du foot. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son expertise ne laisse pas indifférent.

Concernant les Bleus, « on attend d’eux qu’ils s’engagent contre le racisme, mais ce n’est pas leur rôle en tant que footballeurs », explique-t-il.

En même temps, bien conscient des enjeux politiques et sociaux du football en France, il précise : « l’équipe de France permet aussi à cette France de se regarder dans le miroir. Même si la majorité des joueurs vient de milieux populaires et immigrés, aujourd’hui ils sont riches et célèbres. Mais, ils ne sont qu’une poignée. Ils incarnent presque une anomalie par rapport au reste des minorités ».

Que ce soit Mbappé ou Matuidi, ils sont un reflet global des Français issus de l’immigration, mais « ils n’ont pas à devenir des modèles à titre individuel », ajoute-t-il.

Si les Bleus sont à deux doigts de réitérer 1998, Djellit se veut plus nuancé.

« En 1998, les politiques ont exploité la victoire. Les médias ont vanté le modèle de réussite de la diversité à la française. Mais quatre ans plus tard, Jean-Marie Le Pen était au second tour de l’élection présidentielle ».

Selon Yvan Gastaut, historien du football, « 1998 a été un événement historique absolu, mais il a aussi forcé la France à regarder son processus d’intégration ».

Avec une question qui a émergé, l’islamité de nombreux joueurs. Quand Franck Ribery se convertit à l’islam en 2006, il est contraint de rassurer son public.

« Ma conversion en a dérangé plus d’un, mais même musulman, je reste toujours français », déclarait-il sur Canal+ en 2011, illustrant la question épineuse de l’identité française et musulmane.

Typique, également, la pratique du ramadan. En 2016, Didier Deschamps et son staff avaient décidé qu’aucun joueur ne pratiquerait le jeûne, coïncidant, alors avec l’Euro.

Concrètement, l’exemple de N’golo Kanté, révélation du Mondial avec 48 ballons récupéré depuis le début de la compétition, est parlant. Jérôme Rothen, coéquipier de Kante à Caen, se rappelle qu’il « observait le ramadan en cachette » du staff pour continuer de jouer.

Des épisodes qui montrent comment les joueurs concernés sont implicitement questionnés, voire surveillés, par rapport à l’islam. Mais surtout comment le tabou de l’islam persiste auprès des instances dirigeantes.

Des instances sociologiquement et ethniquement homogènes. Et qui ne tolèrent pas l’expression de ses joueurs.

A ce titre, Knysna marque un tournant, en 2010. Les Bleus remontés contre l’exclusion de Nicolas Anelka, accusé d’avoir insulté le coach Raymond Domenech, se mettent en grève et refusent de s’entraîner. Humiliation mondiale, « c’est le revers de 1998 », selon Gastaut.

L’affaire se politise. Roselyne Bachelot, ministre des Sports, qualifient les grévistes de “caïds de banlieues ». A partir de cette époque, cette poignée de footballeurs millionnaires et issues de l’immigration, « entrent en désamour de l’opinion publique ».

La grève de Knysna, dont on a appris récemment qu’elle répondait à une injustice-Anelka n’ayant pas insulté Domenech-illustre une forme d’injonction envoyée à ces footballeurs.

L’affaire de l’interview de Karim Benzema, où il reproche à Deschamps, d’avoir plié face à une « partie raciste de la France » en est un autre exemple.

Ces joueurs sont payés pour jouer au ballon. Pas pour se positionner ou exprimer leur point de vue sur la racisme dans la société française.

D’autant, « qu’ils ont de l’influence. Les instances le savent bien. C’est pour cela qu’elles s’assurent de les tenir loin de la chose politique », analyse Gastaut.

Les joueurs sont des opérationnels. La stratégie, le pouvoir et la politique, ce n’est pas pour eux.

Ferhat Cicek dirige le Paris Alesia Football Club dans le 14e arrondissement de Paris. A la lisière de la banlieue, il connaît bien les questions du football.

Enthousiasmé par le multiculturalisme des Bleus, il déplore « le manque de diversité à la Fédération Française de Football ». A l’image de tous les lieux de décisions. Les quartiers sont des pourvoyeurs de talents mais quand il s’agit de les laisser aux manettes, les visages se crispent. « Pourtant, sans eux, le foot français serait au même niveau que le tennis ! », tonne Nabil Djellit.

Pour Ferhat Cicek, « plus vous montez dans la pyramide du top management, plus vous constatez l’absence de diversité ».

Armé de son expertise, il dresse un constat réaliste que certains, souvent privilégiés, refusent d’admettre. « Les minorités sont utiles pour encadrer les jeunes et faire entrer les licences mais le haut de la hiérarchie nous est fermée ».

Un constat que renforce Béatrice Barbusse, sociologue et première femme à la tête d’un club de hand.

“Aujourd’hui, Antoine Kambouaré est le seul entraîneur de foot noir (Guinguamp) en France. C’est factuel.”

Une réalité qui la révolte et qui rend, à ses yeux l’illusion de 1998, agaçante. « Les médias ont fait croire à cette France Black-Blanc-Beur et le pire, c’est que les gens y croient ! »

Et puis, si les Bleus gagnent dimanche, la France de 2018 a les yeux plus ouverts qu’en 1998. En deux décennies, la France s’est abîmée. Et le racisme structurel et les violences policières entachent la promesse républicaine.

Aujourd’hui, a eu lieu la prière mortuaire d’Aboubakar Fofana, 22 ans, tué par un CRS, le 3 juillet dernier, dans une cité nantaise. Un drame qui n’arrive malheureusement pas tous les 20 ans.

* Beur : ce terme décrit les Français, héritiers de l’immigration maghrébine. Il a été popularisé par le Parti socialiste et SOS Racisme. Ce qualificatif est péjoratif car il reflète une posture paternaliste et introduit une différenciation entre les Français.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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