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J’ai assisté à une formation laïcité (et certains devraient en faire autant)

[#Reportage]

Très active sur le terrain, la Ligue de l’enseignement organise des formations à la citoyenneté ouvertes à tous. Dans le cadre de la réserve citoyenne, j’ai pu suivre deux jours de formation à la laïcité. Une façon de mieux saisir l’engouement pour ces formations laïcité, un sujet que peu de gens maîtrisent.

La laïcité, c’est un peu comme les frites Mac Cain. Ce sont ceux qui en parlent le plus qui s’y forment le moins.

Dernièrement, j’ai assisté à une formation laïcité organisée par la Ligue de l’enseignement. Et je me suis dis que beaucoup de personnalités publiques devraient en faire autant. J’en veux pour preuve, le tweet de la ministre Frédérique Vidal, le 7 janvier.

 

Frédérique Vidal

 

Si mes connaissances en la matière sont plutôt solides, je n’ai pas la prétention de me poser en experte.

Je ne suis ni Jean Baubérot, ni feu Emile Poulat mais d’autres en sont visiblement persuadés. Hilarant et inquiétant à la fois.

Tout un chacun n’hésite plus à brandir ce principe devant les musulmans (soyons clairs) comme l’on brandirait une gousse d’ail devant un vampire. Vade retro Satanas.

Raison de plus de maîtriser son argumentaire. Surtout face à la mauvaise foi, sans jeu de mots.

À vrai dire, c’est surtout, le type de public qui m’intéressait. Et je n’ai pas été déçue. Car, oui, j’avais des idées reçues. Je pensais y croiser des profils plutôt clivants tant la question frise l’hystérie…et c’est un euphémisme.

Je pensais y rencontrer des personnes prêtes à en découdre, soucieuses de confirmer leurs idées tronquées pour défendre la laïcité attaquée.

La formation s’est déroulée sur deux jours pleins. Autrement dit, il fallait vraiment être motivé. Heureusement l’ambiance s’est vite avérée chaleureuse.

Et c’est la première surprise. Pendant deux jours, aucun esclandre (bon on était entre gens éduqués). Aucun dialogue de sourds. Au contraire, de l’écoute et de la discussion.

La laïcité scénarisée

La laïcité suscite le conflit permanent. C’est un réflexe. Pourquoi alors, les participants ont pu se parler sereinement, en dépit parfois de leurs désaccords profonds?

L’absence de caméras peut-être. Certes, je n’en n’avais pas-hormis un bon smartphone- et tous savait que j’étais journaliste.

A mon sens, l’absence de mise en scène explique ce climat de discussion apaisé et constructif. Que ce soit sur les plateaux télé type BFM ou sur les réseaux sociaux, la mise en scène conduit à une hystérisation du débat.

Dans cette salle d’un centre d’animation parisien, chacun est venu pour comprendre ce texte qui divise de plus en plus. Surtout avec la conscience de ne pas tout savoir et la volonté de trouver des réponses.

Un indice révélateur de ce que les « influents », politiques ou médias, n’arrivent plus à faire: expliquer la laïcité. 

Actuellement, la laïcité telle que traitée dans les médias ou sur les réseaux sociaux nourrit cette « société du spectacle », émanation de la société de consommation, chère à Guy Debord. Il ne s’agit plus d’interroger, de clarifier mais d’invectiver, de renforcer sa posture d’influenceurs.

D’ailleurs, la taille de votre communauté n’est pas un label de qualité. C’est particulièrement vari pour la laïcité.

Le débat public au sens athénien est devenu un grand théâtre où les protagonistes tentent d’imposer leurs idées, vidées de toute argumentation.

Il faut bien l’avouer, en matière de laïcité, les avis pullulent. Il y a ceux qui prônent de rester sur le texte et son esprit, ce qui en soi est assimilée à une position jugée trop « laxiste » par les tenants, eux,  d’une laïcité rigide voire intégriste.

Fédérer autour de la laïcité ?

Et le Français lambda dans tout ça ? Peu importe, pourvu qu’il choisisse son camp. Et quand il se pose des questions à ce sujet, prions alors, qu’il trouve les bonnes réponses.

D’ailleurs, les questions basiques des deux formatrices n’ont pas toujours trouvé de réponses auprès de l’auditoire. Il y a donc un vrai besoin de s’outiller.

Exemple concret ? L’origine de la laïcité. Un préalable pour mieux cerner l’esprit du texte de 1905.

La formatrice remonte donc les étapes historiques clés qui aboutiront sur ce concept aujourd’hui au cœur de conflits grandissants. Charlemagne, droit divin, catholiques, persécution des protestants, Croisades, Edit de Nantes, Siècle des Lumières, Abolition de la monarchie…nous voilà de retour en cours d’Histoire, niveau collège.

La formation proposée fait la part belle à l’éclosion de ce concept. 1905 n’est que le point d’orgue d’un cheminement millénaire. Un fait ignoré par beaucoup. Mais qui illustre bien « le désir de s’instruire », formulé par Thierry, 30 ans de restauration à son actif.

Thierry, restaurateur à Paris

Thierry, restaurateur à Paris

Si les connaissances de l’auditoire ne pêchent pas, cette mise en perspective de la laïcité votée en 1905 permet de mieux comprendre l’esprit de la loi.

Inclure et permettre aux Français de l’époque de vivre en harmonie dans un pays où l’on pratiquait « la Barbarie » (Montaigne) à l’égard des protestants.

« C’est important de replacer tout cela dans un contexte historique », note Béatrice, 68 ans, professeure d’espagnol, à la retraite, pointant « le malaise à parler de laïcité dans les salles de classe ».

Un point clé qui permet de comprendre les lacunes sur lesquels fleurissent les manipulations autour de la laïcité et disons-le clairement, un terreau pour rejeter des Français.

D’où l’importance de se former à la laïcité ce sujet « inflammable », selon Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, devenu objet de « fake news ».

Besoin de clarification

Pour Béatrice, l’enjeu dépasse le cadre scolaire. A travers cette formation , je voudrais avoir « le point de vue du gouvernement sur le sujet car je m’y perds avec les nombreuses polémiques… ».

Un enjeu de taille pour cette femme impliquée « dans l’aide aux devoirs à destination des écoliers ». Elle qui a passé sa carrière au contact des plus jeunes constate, avec désarroi,  qu’ils sont « ignorants en matière de religion ce qui a une incidence sur leur ouverture au monde ».

Formation laïcité? Cas pratique!

Formation laïcité? Cas pratique!

Tous les écoliers le savent bien. Parler de religion-encore plus de nos jours-est une interdiction tacite.

Etait-ce vraiment le but de Napoléon quand, en 1801, amorce la première étape de la laïcisation en affirmant que «  la religion catholique est la religion d’une majorité de Français » ?

Et la professeure d’ajouter, « la laïcité n’est pas un concept clair…surtout, elle est interprétable », estime-t-elle.

D’ailleurs, le sujet est même évacué par les professeurs, selon elle, qui sont mal à l’aise avec ce thème « conflictuel ».

Les mots sont importants

Un malaise qui se répercute même dans la capacité à définir des concepts liés à la laïcité. Au cours de la formation, une mise au point lexical a permis aux participants de préciser leur vision.

Là où l’auditoire associe la « tolérance » au vivre-ensemble et à l’acceptation de l’autre, il apprend que le terme pose problème.

Tolérance

« Je veux bien que tu sois là mais je supporte ta présence », souligne l’une des formatrices. En clair, dans ma grande magnanimité, j’accepte que tu existes ».

Prosélytisme

« Là de suite, si je vois un musulman brandir un Coran, ça me choque », lance calmement l’un des participants.

Réponse de la formatrice : « ce n’est pas interdit sauf si c’est abusif. Le prosélytisme commence là où on peut parler de zèle ardant ». A partir de quand tombe t-on dans le prosélytisme ? A partir du moment où « tu lui cours après pour te convaincre », poursuit-elle.

Laïcisme

Il s’agit d’une critique extrémiste de l’influence de la religion en tant que telle. Là ou l’anticléricalisme combat le clergé, les laïcistes cherchent à reléguer la pratique religieuse à la sphère privée uniquement.

Une mise au point lexical qui révèle les carences de compréhension de nombreux Français. Et qui les rend vulnérables à l’instrumentalisation de la laïcité.

Jean, formateur et conseil en entreprise à la retraite, lui s’est, d’ailleurs, inscrit pour parfaire ses connaissances mais surtout trouver des réponses précises à ses questions.

Jean, formateur à la retraite, bénévole au secours populaire, Paris/Formation Ligue de l'enseignement

Jean, formateur à la retraite, bénévole au secours populaire, Paris/Formation Ligue de l’enseignement

Bénévole au Secours populaire, il lui parait important de bénéficier de cette formation, « pour lever toute imprécision sur un sujet, objet d’hystérie collective ».

Et puis, il y a ceux directement confrontés au terrorisme. Leila, 19 ans, a perdu une proche dans les attentats de 2015. « Je cherche à avoir des outils pour mieux communiquer avec les jeunes », confie t-elle, timide.

Selon elle, il est important de « dépasser l’amalgame terrorisme, islam. La laïcité permet aussi de remettre les choses en place, d’argumenter contre ceux tenter par les idées racistes ».

Une pluralité de profils à l’image de la société française en quête d’apaisement. Une assemblée et des motivations qui tranchent avec le climat de pré-guerre civile survendu dans les sphères de pouvoir, quelle qu’elles soient.

Revenir à l’esprit de la loi

Un volet historique requis pour mieux aborder le sujet. D’autant que bon nombres de participants sont en lien avec des publics souvent jeunes.

Jamila, professeure au lycée, est, justement, à « la recherche de solutions fédératrices pour faire jouer l’égalité républicaine, en s’appuyant sur la laïcité ».

Elle se dit « préoccupée par les questions d’égalité hommes/femmes ». Pourtant, le thème est éloigné de la laïcité.

On voit bien comment cette notion républicaine fait figure de concept « fourre-tout ». Si la laïcité converge avec la devise républicaine, en quoi serait-elle liée à l’égalité hommes/femmes.

Laïcité, principe ou valeur ?

Autre intérêt de cette formation, situer la laïcité dans le curseur de la devise républicaine. Depuis plusieurs années, plusieurs voix plaident pour y ajouter « laïcité ».

Mennel

Or, à la question, valeur ou principe, peu de personnes parviennent à faire la différence. Après quelques minutes d’échange, les formatrices résument :

« un principe est une règle de fonctionnement, juridique par exemple, dans une société. Une valeur renvoie plutôt à un idéal à atteindre comme la liberté, l’égalité et la fraternité. Le principe permet d’atteindre les valeurs ».

Essentiel, donc, de comprendre cette nuance au sujet de la laïcité et de mieux saisir les textes juridiques qui l’accompagnent.

Si elle peut être sujette à interprétation, la laïcité, ramenée à son statut de principe, ne devrait, donc, pas être aussi dévoyée.

Il y a un texte. Et la jurisprudence en la matière garantie son application en vertu du cadre légal.

Sauf à la voir comme une valeur, ce qui est un non-sens. La laïcité devrait justement être un moyen concret d’ « apaiser » une société traumatisée par les excès du passé.

Et puis, comme l’écrivait Jean Jaurès, « la République sera sociale parce qu’elle sera laïque ». Incluante, pourrait-on rajouter. Or, elle est devenue une arme d’exclusion. Une réalité qui rend ces formations essentielles.

Nadia Henni-Moulaï

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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