Au centre André Malraux, dans le 6^e arrondissement de Paris, il était attendu comme le messie. Une centaine de militants et élus participaient hier soir à une réunion non publique avec Alain Juppé. Et beaucoup de médias.

Thème ? « Pour une France moderne, une société ouverte. Les femmes, c’est la clé ». Après avoir assisté au JT de TF1-où il a été selon les militants présents « vraiment bon »- Alain Juppé est venu rencontrer les femmes invitées à exposer leur vision du sujet mais aussi écouter Juppé sur la question.

Dans ce panel féminin, NKM, ralliée au candidat. A cette occasion, la députée LR a endossé le costume de la théoricienne, dénonçant « la structure hiérarchique de la politique, faites par des hommes pour les hommes ».

Et de s’enthousiasmer de la révolution numérique, « qui crée des opportunités pour celles qui ne sont pas les grandes gagnantes historiques de ce système ». Au total, six invités, dont Gilles Babinet, digital champion de la Commission européenne et membre du mouvement Jamais sans elles se sont succédés durant la soirée.

A son arrivée de TF1, Alain Juppé est ovationné. Pas étonnant. Nous sommes dans un nid juppéiste, totalement dévoué à sa cause et ses propositions. Des propositions qu’il égrène dans les grandes lignes.

Juppé ou la France « heureuse »

Force est de reconnaître, l’apaisement qui se dégage du candidat LR. Avec un écart de 665 411 voix avec François Fillon lors du premier tour, l’homme est en mauvaise posture. Décider de se maintenir avec un tel gap relève, au mieux de la résilience, au pire de l’illusion. Pourtant, à écouter la façon dont il déroule son programme, on sent Juppé, serein. Comme si la victoire n’était pas en train de lui échapper.

Revivez le discours d’Alain Juppé à Strasbourg… par LEXPRESS

Lui qui se place « au niveau des valeurs » l’a bien répété hier soir : « face aux deux France que j’ai vu, celle qui fonctionne et celle qui souffre, mon rôle est de tracer une perspective, pas de nourrir les difficultés ». Formule incantatoire ou pas, l’avenir le dira.

Sans verser dans l’anaphore, « moi, président », Alain Juppé a rappelé sa vision à moyen et long terme. Retour sur les points clés avec en prime une comparaison avec les propositions de François Fillon.

« Renouer avec le plein emploi ». C’est le cheval de Troie de tous les candidats. L’emploi. Avec 2,8 millions de personnes en France métropolitaine, les chiffres publiés le 17 novembre par l’Insee ne plaident pas en faveur d’une inversion de la courbe. Sur le sujet Juppé, incite « à faire confiance aux entreprises, celles qui créent de l’emploi ».  Evoquant l’inefficacité des « emplois d’avenir » de Hollande qui ne « durent que trois ans », Juppé compte « baisser le coût du travail peu qualifié ». Avec la suppression des « charges patronales au niveau du Smic », c’est l’assurance selon lui de « créer 200 000 emplois ».

François Fillon parle, lui, « d’un plan global et articulé pour favoriser l’emploi ». Parmi ses propositions, « restaurer la compétitivité des entreprises, moteur de l’emploi », en supprimant « la contrainte des 35 heures » tout comme Alain Juppé. Sauf que ce dernier fixe la durée de référence à 39 heures. François Fillon, lui, est à 48 heures, maximum autorisé par l’Europe.

Egalement prévue, la « baisse immédiate des charges et impôts sur les entreprises » pour libérer les coûts du travail. A titre de comparaison, le taux de chômage en France culmine à 10,1% (2015) contre 4,5% en Allemagne et 5,6% au Royaume-Uni. Des taux qui font rêver mais qui riment aussi avec une certaine forme de précarité selon certains observateurs.

« L’éducation, une réponse au chômage ». Pour Alain Juppé, « la modernisation du système » est un préalable à la lutte contre le chômage. « Il faut lever trois tabous », relève-t-il.

–          « personnaliser l’enseignement » en revoyant le système unique,

–          « nous devons faire confiance aux solutions qui marchent comme l’apprentissage et les écoles de la seconde chance, notamment »,

–          optimiser « l’orientation et la formation ». Juppé veut, par exemple « mettre l’orientation au service de l’emploi et de la qualification », citant un jeune engagé dans une carrière de pâtissier et…heureux de ce choix.

L’utilisation des MOOC dès la primaire ou l’inclusion d’un séjour à l’étranger dans la majorité des parcours universitaires sont des points défendus par Juppé.

De son côté, François Fillon plaide, par exemple « pour trois semaines de découverte des métiers » au collège. Tourné vers l’apprentissage, Fillon mobilisera « tout le pays en faveur de l’apprentissage dès 15 ans ». Pragmatique, le candidat entend confier « l’enseignement professionnel aux régions plutôt qu’aux rectorats ». Ambition affichée ? Mieux caler la formation des jeunes avec les besoins des bassins d’emplois…

« Les fonctionnaires ». Dans l’œil de tous les politiques, Juppé et Fillon se sont engagés dans une bataille de chiffres. Ce dernier table sur 500 000 postes de fonctionnaires supprimés (soit 10% des effectifs) quand Juppé ne dépasse pas les 200 000.

Police, santé ou éducation, la réforme de la fonction publique devrait changer le visage de ce secteur (et de la France). « Avec 570 000 départs à la retraite sur cinq ans, cela voudrait dire que l’on ne recrute personne pendant cinq ans dans la fonction publique. Ce n’est pas possible », prophétise Juppé. Le Monde expliquait chiffres à l’appui que les coupes proposées par François Fillon sont possibles. A condition qu’elles concernent tous les secteurs de la fonction publique.

Juppé a t-il raison de tacler Fillon sur proposition sur les fonctionnaires? Les décodeurs, 14 novembre

Deux visions de la politique étrangère. Alain Juppé plaide pour un dialogue sans concession avec la Russie mais à travers une diplomatie forte, excluant toute alliance avec Bachar Al-Assad. A l’inverse de Fillon joue la carte du réalisme et des rapports de force. Vladimir Poutine déclarait, à son sujet le 23 novembre, Fillon est « un homme politique qui se distingue nettement de ses homologues sur le reste de la planète».

« Je veux une France réconciliée dans sa diversité ». Si Alain Juppé s’engage à effectuer un seul mandat, « je veux penser la France à l’horizon 2030 ». Le redressement sera économique. Mais l’apaisement de la société française est un enjeu clé. « La France est diverse dans ses couleurs, ses religions, ses préférences sexuelles…pourquoi le nier ? Il faut l’assumer et en faire un atout ».

Sur le mariage pour tous et l’adoption des couples gays Si le mariage pour tous et l’adoption des couples de même sexe est un non-sujet pour Alain Juppé, François Fillon l’a inscrit dans son programme parmi les quinze mesures prioritaires :

« Adoption plénière réservée aux couples hétérosexuels, limiter la PMA aux couples hétérosexuels infertiles et interdire la GPA ». Clair, net et précis.

« Multiculturalisme, peut-être. Communautarisme, certainement pas ». Ouvert, Alain Juppé. Prudent aussi. Bien évidemment visé, les musulmans de France. Le terme « charia » a bien été lâché hier soir-incontournable en campagne- mais Juppé s’est présenté, clairement, dans une posture inclusive.

« La République respecte le droit de chacun à exercer son culte ». Et s’il prône le droit de « rappeler les racines chrétiennes de la France, c’est surtout pour expliquer d’où nous venons, les guerres de religion… ». Savoir d’où l’on vient pour mieux savoir où on va. Difficile de contredire. Parmi ses propositions, un code de la laïcité et un accord entre la République et l’islam de France.

François Fillon, vu comme un conservateur, a séduit l’aile droitière du parti mais aussi les électeurs prêts à tour pour barrer la route à Sarkozy.

Camille, militante AJ pense qu’ « un duel Marine Le Pen/Fillon au second tour en 2017 serait une aubaine pour le FN. Elle en est convaincue, « beaucoup de Français d’extrême-droite ont choisi Fillon ». A noter, le soutien d’Aymeric Chauprade, ex-conseiller de Marine Le Pen, désormais embarqué dans l’aventure Fillon.

Le 12 novembre, il faisait une déclaration tonitruante jugée populiste. Selon lui, « il n’y a pas de communautarisme catholique qui menace la République française (…) « il n’y a pas de communautarisme juif qui menace la République française, Y’a juste un problème, c’est le problème de la montée de l’intégrisme au sein de la communauté musulmane ». Des mots qui ont créer le buzz. Forcément.

François Fillon en meeting à Biarritz, le 12 novembre.

S’il commence à remonter dans les sondages début novembre,  15% contre 39% pour Alain Juppé (Elabe-L’opinion-BFM TV), un sondage Opinionway du 15 novembre, le donne gagnant pour le première fois au second tour de la primaire. Soit trois jours après l’anaphore « communautarisme ».

Depuis dimanche, François Fillon a pris une autre stature engrangeant de nouveaux soutiens (de circonstance). 250 élus LR ont dénoncé les attaques contre François Fillon après le premier tour, parmi lesquels des soutiens de Juppé, dans l’équipe de campagne, on pointe « leur opportunisme.

La droite dure s’est liguée contre lui ». Accusé de « vouloir construire la plus grande mosquée de Bordeaux », un membre du staff déplore qu’il paie ici « une certaine volonté de fédérer » un pays désuni mais aussi traversé par une lame de fond, l’islamophobie.

Affublé par la fachosphère d’un nouveau prénom Ali au lien d’Alain, Juppé est dans le collimateur « des défenseurs » de l’identité. « Nous l’avons prévenu, il fallait qu’il déconstruise cette campagne de mensonges contre lui ». Mais il l’a affirmé à plusieurs reprises : « je suis au-dessus de tout cela », voulant jouer la carte du rassemblement. Un choix qui lui a certainement porté préjudice, le 20 novembre dernier.

Finalement, ce prénom n’aurait-il pas dû l’assumer de manière ironique et audacieuse?  Pour affirmer sa vision de la modernité. Après tout, Ali n’est pas une insulte. C’est le prénom de certains Français aujourd’hui.

Nadia Henni-Moulaï