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Laïcité : ce qu’en disent les enfants

Que pensent les enfants de la laïcité ? Une recherche-formation expérimentale a été menée par des professeurs des écoles de CM1 et CM2 à Bordeaux. Zoom sur quelques résultats. Avec LaïCités, la lettre d’information numérique spécialisée sur le sujet.

Louise Gamichon

Louise Gamichon.

Quatre questions, 160 réponses. Dans le cadre d’une formation-recherche universitaire, sept professeurs des écoles de CM1 et CM2 ont élaboré un questionnaire adapté à l’âge de leurs élèves pour évaluer leurs connaissances et leur opinion sur la laïcité :

Pour toi, qu’est-ce que la laïcité ? ; D’après toi, comment s’applique la laïcité à l’école ? ; Donne des exemples ; Qu’en penses-tu ?

Morceaux choisis de réponses : « par exemple, on ne peut pas venir à l’école habillé en bouddhiste, on peut pas venir à l’école aussi avec un voilage », « La laïcité, je pense que c’est bien ».

L’enseignant-chercheur qui a encadré cette recherche, Charles Mercier, maître de conférences à l’École supérieur du professorat et de l’éducation (Espé) de Bordeaux, commente certains résultats : « une très grande majorité d’élèves, 81%, écrivent quelque chose sur la laïcité. Le facteur âge joue – les CM2 écrivent davantage que les CM1 –, mais aussi le milieu social puisqu’on constate que dans l’école défavorisée, il y a moins de réponses et elles sont moins développées ».

Il souligne qu’il s’agit d’un travail expérimental dans une grande ville où on note une assez grande ouverture sur le sujet (mise en place d’un conseil consultatif interreligieux et citoyen, repas végétariens dans les cantines) et peu de tensions identitaires.

L’enquête a été menée dans 7 classes de cinq écoles publiques assez diverses, depuis une école défavorisée jusqu’à un établissement très favorisé en passant par une école assez mixte.

C’est d’ailleurs dans l’école mixte que Charles Mercier note « les réponses les plus concrètes qui parlent du quotidien. Dans l’école favorisée, les réponses étaient plus structurées, mais aussi plus intellectuelles. La diversité fournirait aux élèves des ressources ou des éléments, dont ne bénéficieraient pas les élèves en situation d’homogénéité, pour parler de la laïcité ».

Interdits et appétence pour l’ordre

Comment les enfants perçoivent-ils la laïcité ? « D’abord comme une interdiction. Ils ont intégré la loi de 2004 sur les signes religieux ostensibles à l’école. Ils ne font pas d’ailleurs pas la différence entre les signes discrets et les signes ostensibles. Les élèves extrapolent parfois cette interdiction en affirmant que la religion doit rester privée, même sur l’espace public », indique Charles Mercier.

« On ne doit pas montrer de signes religieux », « on interdit les enfants à porter des insignes religieuses », écrivent différents élèves. Lorsqu’elle est évoquée, la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire, n’arrive que dans un deuxième temps.

« Dans ce qui est interdit, on retrouve certains éléments de la Charte de la laïcité. Il s’agit donc sans doute une restitution de ce qu’ils ont appris et du discours des adultes, mais nous avons une autre hypothèse : les travaux d’Annick Percheron sur le rapport des enfants à la politique montrent qu’ils ont une grande appétence pour l’ordre. Dans notre enquête, les enfants évoquent parfois les religions comme un potentiel facteur de désordre et de bagarres, la psychologie enfantine pourrait donc elle aussi expliquer qu’ils retiennent les interdits ».

Et parler des religions, c’est possible ? Pour un quart des élèves, c’est non : « tout ce qui est personnel reste personnel. Ça ne regarde personne » ; « Non, on ne peut parler de religion à l’école parce qu’elle est laïque » ; « Non, parce qu’il peut y avoir des problèmes ».

Pour un autre quart, c’est oui : « On peut en parler, c’est même un sujet impératif » ; « On peut en parler mais on ne peut pas la montrer » ; « Oui, parce que c’est pas méchant ». Pour la moitié restante, tout dépend du contexte et de l’interlocuteur : « On peut pas trop en parler dans la cour, mais en classe on peut » ; « Tu peux parler de ta religion à tes amis ou à des gens à qui tu peux faire confiance » ; « Oui, mais on ne peut pas donner son avis car ça peut blesser des élèves mentalement ».

Charles Mercier indique : « Certains élèves font remarquer qu’on parle de religion en cours d’histoire ou, je cite, “en éducation civique et mentale” ».

Quoi qu’il en soit, 90% des enfants ont un jugement positif de la laïcité : « Ils la considèrent comme une “valeur gentille”, voire une archi-valeur qui prendrait en charge tous les problèmes sociaux et dont découleraient toutes les autres valeurs : la laïcité permettrait d’être gentil, poli, accueillant, d’éviter les bagarres, de faire en sorte qu’il y ait plus d’égalité filles/garçons », explique Charles Mercier.

« Les enfants s’imprègnent beaucoup de ce qu’ils entendent chez les adultes mais ils y ajoutent une part de créativité sur le mode enfantin. Comme ils sont très légitimistes, ils cherchent à deviner la position de l’adulte avec qui ils ont des liens affectifs. Ils réinvestissent les injonctions du quotidien en fabriquant une “laïcité gentille” ».

Quid des 10% qui ne partagent pas cet avis ? 8% sont circonspects sur l’interdiction des signes religieux : « ça ne change rien si on montre leurs signes », écrit l’un, « je me fiche que mes amis soit juif ou catholique », souligne un autre. Les 2% restants disent qu’ils n’ont pas d’avis.

Louise Gamichon

 

Louise Gamichon est journaliste, spécialisée faits religieux, laïcité et éducation depuis 2012.

Elle a lancé LaïCités, une lettre d’information numérique pour parler de ces actualités sensibles sans parti pris, de façon nuancée et dépassionnée. Auparavant, elle a travaillé pour Fait-religieux.com et pour Le Monde des Religions, avant de lancer.

Les lecteurs peuvent retrouver le sommaire du numéro 12, dont est issu l’article, en cliquant sur ce lien : https://laicites.info/n12/

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