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L’amalgame antisionisme/antisémitisme de Macron, erreur historique ou realpolitik ?

Lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, Emmanuel Macron semblait s’inscrire dans la lignée de Jacques Chirac, en 1995. Dans son discours, le président a reconnu à nouveau la responsabilité de la France dans ce drame. Pourtant, beaucoup considère une phrase prononcée à la fin de son élocution comme une erreur historique…

« Nous ne céderons rien aux messages de haine, nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme… ». Il n’en fallait pas plus pour enflammer les réseaux sociaux et les réactions sont nombreuses aujourd’hui. Alors, erreur historique ou realpolitik d’un président qui veut se retrouver au centre de l’échiquier diplomatique ?

Aux origines de cet amalgame, la circulaire Alliot-Marie

Pour comprendre cette déclaration, rappelons qu’elle se situe dans la lignée de celles de Manuel Valls ou même de François Hollande. Elle correspond en effet au positionnement de la France depuis l’avènement de Nicolas Sarkozy. C’est sous le mandat de ce dernier que l’on criminalise la lutte antisioniste en l’amalgamant à de l’antisémitisme.

Le 12 février 2010, Michèle Alliot-Marie alors garde des sceaux promulgue une circulaire qui permet aux procureurs de la République de poursuivre en justice les militants qui appellent au boycott d’Israël pour le motif d’« incitation à la haine ». Le gouvernement de l’époque assimile donc de cette manière les militants antisionistes notamment ceux de BDS, à des tenants de l’antisémitisme.

Toujours en 2010, Bernard-Henri Lévy signe, en 2010, une tribune dans Le Monde, « Le boycott d’Israël est une arme indigne », aux côtés, notamment, de François Hollande, Anne Hidalgo et Manuel Valls. Le parti socialiste semble donc faire bloc dans son soutien à Israël. On y lit entre autre que « les partisans du boycott sont, aussi, des saboteurs et des naufrageurs d’espérance ».

Tous ces personnages se retrouvaient quelques années plus tard aux commandes du pays et leur positionnement ne fut donc une surprise pour personnes. La circulaire dite « Alliot-Marie » est ainsi confirmée par la ministre Christiane Taubira, en 2014, sous le mandat de François Hollande.

Offense à la mémoire des victimes et à la communauté juive française ?

Trois ans plus tard, ce 17 juillet 2017, Macron ne fait que reprendre ce positionnement avec cette déclaration. Néanmoins, celle-ci associée à l’invitation de Benjamin Netanyahu pour commémorer un épisode de la Shoah est considérée par beaucoup comme une offense à la mémoire de ces victimes et une erreur historique.

Les réactions les plus fortes furent ainsi certainement celles d’intellectuels issus de la communauté juive, personnes difficilement attaquables pour antisémitisme.

La réalisatrice Simone Bitton, qui a servi dans l’armée israélienne en 1973 avant de devenir profondément pacifiste, déclarait sur Facebook :

« Inviter un assassin pour commémorer un massacre, c’est indigne. Offrir à Israël la mémoire de la Shoah, c’est scandaleux. Juive, je me sens insultée au plus profond de moi-même part l’invitation de Netanyahu à la commémoration de la rafle du Vel d’hiv. Les Juifs raflés n’étaient pas israéliens, Netanyahu et l’Etat d’Israël ne les représentent pas. (…) Et qu’on vienne pas me parler de diplomatie ou de real politique.(…) Aujourd’hui Macron consacre officiellement et volontairement l’amalgame puant, judaïsme = occupation , judaïsme = extrême droite israélienne. »

Le journaliste et historien Dominique Vidal, spécialiste du conflit israélo-palestinien dans une interview dans le magazine Le Courrier de l’Atlas, réalisé par Nadir Dendoune, salue « un vrai talent » dans le discours de Macron, mais fustige ensuite cet amalgame.

« J’ai un vrai souci avec la fin de son discours. En disant que « l’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme , Emmanuel Macron crée une confusion absurde et dangereuse entre antisionisme et antisémitisme. On ne peut pas mettre sur un même pied d’égalité les deux. Être antisémite, c’est haïr tous les Juifs. Être antisioniste c’est s’opposer à un mouvement politique : ce n’est donc pas du racisme. »

Le journaliste rappelle ensuite qu’une majorité des 14 millions de Juifs ne vivent pas en Israël et que nombreux sont ceux qui condamnent la politique coloniale menée par l’extrême droite israélienne.

Le sionisme a toujours fait débat au sein de la communauté juive européenne

Plus historique mais tout aussi intéressant la publication de Dominique Nautanson, co-président de l’Union juive pour la paix (UJFP). Dans un article très documenté, il y explique que le sionisme n’a jamais fait l’unanimité dans la communauté juive européenne. Il y évoque ainsi le Bund, l’union générale des travailleurs juifs en Pologne. Pour Emmanuel Szerer un des leaders de ce mouvement qui publia « Socialisme et sionisme », le sionisme est identifié comme un « mouvement de la bourgeoisie juive hostile au mouvement ouvrier émancipateur puisque l’émancipation – pour les sionistes – ne peut se faire en Europe mais dans la Galout ( l’exil). »

Le Bund reprochant ainsi aussi aux sionistes de pactiser avec l’impérialisme britannique et Henryk un autre dirigeant du Bund « dénonce dans le projet sioniste un nationalisme qu’il compare volontiers au fascisme ».

Dans une déclaration datant du 9 juillet, l’UJFP condamne aussi le fait que l’on puisse penser que Netanyahu soit le représentant des juifs Français.

Il représente ainsi des « enfants de la République, par le représentant d’un régime dont le racisme s’affiche ouvertement, assimilant les Palestiniens à des serpents ou appelant au meurtre contre les mères palestiniennes.

Un racisme qui s’étend même à ses propres citoyens juifs, orientaux ou venus d’Afrique de l’Est. »

Tweet de Ian Brossat, adjoint communiste à la Mairie de Paris.
Tweet de Ian Brossat, adjoint communiste à la Mairie de Paris.

Flatter l’égo de Netanyahu dans une optique diplomatique ?

Tweet de Claude Demougins
Tweet de Claude Demougins.

« Monsieur le Premier ministre d’Israël… Cher Bibi… ». En appelant ainsi Benjamin Netanyahu, Emmanuel Macron fait le choix de la real politique en caressant dans le sens du poil le dirigeant israélien.

Alors est-ce que cette invitation de Benjamin Netanyahu et cette proximité doivent être analysée sous un angle plus international ?

Le jeune président Macron n’hésite pas à faire preuve d’un pragmatisme pour le moins machiavélique. Son but ?

Remettre la France au centre de la diplomatie internationale, place qu’elle a clairement perdu depuis la fin du mandat de Jacques Chirac en 2007. Les invitations de Poutine à Versailles, puis de Trump pour les cérémonies du 14 juillet en sont une parfaite illustration.

Tweet de l’humoriste Bruno Gaccio
Tweet de l’humoriste Bruno Gaccio.

Pour RTL, en appelant d’une manière ostensible Benjamin Netanyahu par le surnom que lui donnent ses partisans, « Bibi », Macron souhaite « démontrer avec force l’appui qu’il apporte au leader de l’État créé en 1948 et sa proximité avec lui. ».

Il répond aussi d’une certaine manière à ses détracteurs en réaffirmant sa toute puissance Le chef c’est lui. Évidemment, le président a une idée derrière la tête. En s’engageant pour la « reprise des négociations » en vue d’une « solution à deux Etats, Israël et Palestine ».

Macron rappelle que « La France se tient prête à appuyer tous les efforts diplomatiques allant dans ce sens ». Israël et Palestine doivent pouvoir « vivre côte à côte dans des frontières sûres et reconnues, avec Jérusalem comme capitale ». Un discours que l’on entend inlassablement depuis 50 ans.

Jean Riad Kechaou

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Jean-Riad Kechaou est professeur depuis 15 ans en banlieue parisienne. Auteur d'un essai socio-historique sur le quartier des Bosquets « 93370 Les Bosquets, un ghetto français » (MeltingBook Editions). Il écrit pour MeltingBook et le site de Politis dans un blog intitulé "Un Prof sur le front".

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