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Elisa Rojas: « Le handicap est un sujet politique »

Le handicap, sujet mal abordé de la présidentielle 2017.

Elisa Rojas est avocate et cofondatrice du Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE).

Elle revient sur l’approche du handicap des candidats et le manque d’ambition des propositions. Entretien.

Quel regard portez-vous sur la façon dont les candidats à la présidentielle ont abordé la question du handicap ?

Elisa Rojas: Le sujet n’a pas été totalement zappé mais, d’abord, il a été évoqué de façon tardive et à la suite d’initiatives diverses de personnes concernées pour amener le sujet dans le débat.

Les candidats ne l’ont donc pas fait de façon très « spontanée », mais plutôt après un rappel des personnes handicapées.

Le thème du handicap ne prend toujours pas dans les programmes l’importance qu’il devrait, à notre sens, compte-tenu du nombre de personnes concernées et de la situation particulièrement détériorée des personnes handicapées en France (dépendance économique et précarité, chômage, difficultés matérielles de toutes sortes, défaut d’accessibilité dans tous les domaines, discriminations).

De plus, le sujet est le plus souvent mal abordé. Les candidats ont du mal à sortir de la condescendance, du paternalisme, du misérabilisme ou de « l’inspiration porn ».

Ils s’adressent rarement à nous directement, mais plutôt à l’entourage, aux proches, ce qui en dit long sur leur difficulté à nous envisager comme un électorat adulte et responsable.

Sur le fond, les propositions ne sont ni très ambitieuses, ni très nouvelles…

Enfin, l’accessibilité des meetings, discours, débats, documents n’a pas toujours été respectée pour les personnes concernées par les handicaps auditifs, visuels, mentaux, cognitifs ou psychiques.

Comme pour d’autres sujets, il semble que l’on reste sur la question de la morale. Comment politiser le combat?

E.R: C’est tout à fait vrai. Déjà, il faudrait arrêter de dire que le handicap est un sujet « apolitique », comme le font beaucoup de politiques et d’associations gestionnaires.

Le handicap est un sujet politique. La situation détériorée, qui est la nôtre en ce moment, et dont je viens de parler n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat des politiques publiques menées jusqu’ici.

Par exemple, en France, tout s’est construit autour de l’institutionnalisation des personnes handicapées (leur placement dans des structures médicales et médico-sociales), ce qui a entraîné leur ségrégation sociale et spatiale, les a dépossédées de leurs existences, de leur choix de vie, les a mises à l’écart du système scolaire et du monde du travail « ordinaire », et a empêché le développement de tout ce qui pouvait les rendre autonomes (aide humaine et matérielle de qualité, accessibilité).

Il faut noter qu’aucun candidat ne se prononce d’ailleurs de façon claire et ferme sur la « désinstitutionnalisation » au mépris des textes et recommandations internationales, ce qui est très révélateur de l’impasse française.

Le handicap est un sujet politique au sens où l’on ne peut pas dire qu’une politique de droite ou de gauche a la même incidence sur la vie des personnes handicapées.

Les orientations politiques prises dans tous les domaines ont un impact sur les personnes handicapées.

Si l’on détruit les services publics, que l’on mène des politiques d’austérité, que l’on anéantit le droit du travail, les personnes handicapées sont les premières à trinquer.

La question de l’accessibilité des lieux publics devait être effective en 2015. Mais, il y a eu une reculade… Comment l’expliquez-vous?

E.R: Assez simplement. Les politiques se sont aperçus que le délai arrivait à échéance, que cela ouvrait aux personnes concernées des possibilités d’actions en justice importantes, que beaucoup d’équipements n’avaient pas fait le nécessaire en matière d’accessibilité et parmi eux… beaucoup d’équipements publics.

Le gouvernement a donc décidé d’intervenir rapidement en reportant les délais par la création d’une énième usine à gaz administrative (les agendas d’accessibilité programmés).

Il l’a fait sans que les associations qui sont supposées nous représenter n’opposent de véritable résistance et, pour cause, elles sont totalement dépendantes financièrement des subventions publiques pour la gestion de services et d’établissements spécialisées.

Vous parlez de « réinventer » le combat. Comment comptez-vous y prendre ?

E.R: Disons qu’il s’agirait plutôt de s’inspirer et de transposer en France une forme de militantisme et d’activisme qui existe dans d’autres pays.

Celle-ci n’a pas réussi à s’imposer durablement en France, pour de multiples raisons, dont la mainmise des associations gestionnaires sur la question du handicap.

L’enjeu pour un collectif comme le nôtre, c’est de faire émerger un autre discours, un discours politisé et un discours d’empowerment sur tous les thèmes qui nous concernent.

Il s’agit de faire avancer des idées essentielles comme la défense de la « vie autonome » pour les personnes handicapées, c’est-à-dire la revendication du droit de faire nos propres choix et de disposer de tous les moyens nécessaires pour vivre notre vie et pas celle qu’on veut nous imposer.

Que diriez-vous à ces candidats si vous les aviez en face?

E.R: Je ne leur souhaite pas de se retrouver en face de moi… je plaisante.

D’une façon générale, je leur dirais de bosser « sérieusement » le sujet.

Ils devraient s’intéresser plus attentivement aux textes internationaux, aux politiques menées à l’étranger (en Suède s’agissant de l’aide humaine ou en Italie concernant la scolarité, par exemple), aux travaux de Disability studies et à l’histoire des luttes des personnes handicapées partout dans le monde et notamment dans les pays anglo-saxons.

Ils devraient arrêter de se placer sur le terrain de l’émotion et de l’action caritative (plus ou moins maquillée) pour revenir à ce qui est vraiment en cause : l’égalité et le respect de nos droits.

Il y a urgence également à faire de la place aux personnes handicapées dans leurs rangs, leurs instances, leurs candidatures et pas seulement pour servir de « caution handicap » mais sur tous les sujets.

Par ailleurs, pour être honnête j’aurais davantage envie de m’adresser aux candidats de ma « famille politique », c’est-à-dire aux candidats de gauche (si la gauche existe encore) dont j’attends bien plus que ce qu’ils proposent actuellement.

J’attends pour commencer qu’ils prennent enfin conscience qu’ils doivent raisonner en termes de domination, de système d’oppression et proposer une politique visant à permettre aux personnes handicapées de s’émanciper réellement.

Je n’ai pas grand chose à dire aux candidats de droite parce que je sais que quelles que soient les mesures proposées et même si certaines pourraient éventuellement constituer des avancées, leur projet global de société va à l’encontre de nos intérêts et nous ne laissera au bout du compte qu’une place résiduelle.

Il y a une chose que les politiques doivent comprendre, nous ne nous ne contenterons pas les miettes, nous voulons tout !

Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï

Raconter, analyser, avancer.

Comments (1)

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    Labesse

    Bonjour,

    Votre article me replonge en plein dans le drame que j’ai découvert l’an dernier : l’exclusion des personnes hyper électrosensibles, aux apparences « normales », et qui n’obtiennent aucun statut, aucune réponse, de la part des politiques , à propos de l’exclusion du wifi de certains lieux, ou du maintien de zones blanches, ne serait-ce qu’à titre expérimental. Le secrétariat au handicap prétend qu’il ne faut pas isoler les handicapés de la vie sociale…et refuse la création de lieux pas exposés, ou le financement de l’isolation aux OEM (ondes electromagnétiques) dans des lieux plus partagés. C’est terrible de voir des jeunes perdre la santé, reclus dans des espaces à 1500 m d’altitude, ravitaillés par les parents, ne pouvant recevoir des soins. Certains arrivent tout de même à se grouper et à lutter ensemble, au risque d’être mal perçus par la population rurale.
    Il n’y a pas à classifier les handicapés « heureux » d’avoir un statut d’handicapé, et les autres exclus de ce statut parce que leur maladie n’est pas reconnue. Mais cela pose question, et mériterait au moins une alliance.
    Bonne continuation dans votre combat.

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