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Les héritier.e.s (ou pas) de Mai 68

50 ans après Mai 68, il est (aussi) temps d’interroger la filiation du mouvement. Partie de la classe ouvrière avant de se propager aux étudiants du quartier Latin (Paris), cette séquence historique marque un changement de paradigme dans la société française. Après un mois de commémorations, une question vient. Est ce que l’héritage de Mai 68 parle à tout le monde?

 

Hayatte Maazouza, 27 ans, consultante

« C’est simple de mon côté, je ne ressens rien. Mai 68 apparaît, pour moi, comme étant un mouvement d’une partie de la France dont mes parents ne faisaient pas partie et dont je me sens pas héritière.
Cela n’a pas été un mouvement inclusif mais mené par des bobos ou en tout cas des jeunes, qui voulaient, changer le monde.

C’est vrai qu’au départ, la démarche était noble. Elle partait du monde ouvrier tout comme le parti socialiste. A la racine.

Puis, Mai 68 a été pris en otage par des gens issus de milieux sociaux favorisés qui vivent entre eux, se marient entre eux et se contentent de leur propre prisme sans le mettre en confrontation avec d’autres.

Un genre de mécanisme darwinien qui ne préserve les idées que des privilégiés et valorise la parole de certains (puissants de par leur place dans la société), uniquement.

Si je fais un parallèle avec le parti socialiste, j’ai lu un article qui expliquait pourquoi le PS était devenu bobo.
On part des pauvres révoltés puis on s’accapare la cause pour en faire un objet de revendication du pouvoir. Tout d’un coup, on remarque que l’on n’a ni Noir ni Arabe ni ouvrier alors que le mouvement avait été impulsé à la base pour défendre les plus faibles.

Mai 68 comme pas mal de mouvements politiques en France- qui revendiquent la possibilité de proposer une autre vision de la société- ne sont pas inclusifs et ce même s’ils ne sont rattachés à aucun parti.
Ils ne rejettent pas les minorités consciemment. Mais, ils oublient que sans effort et attention particulière , ils excluent ceux qu’ils sont censés servir et ceux qu’ils veulent aider.

La parole, en politique, dans ces mouvements de contestation est peut-être plus importante qu’ailleurs. Sauf que la parole n’est pas à la portée de tous. C’est un acte politique et personnel fort que de parler, d’exposer des idées. Il faut un climat inclusif pour que tout le monde puisse se sentir légitime à le faire. C’est ce que la plupart des mouvements ou partis n’arrivent pas à faire exception faite du parti communiste ou de ce qu’il en reste.

Sur Mai 68, précisément, je me sens héritière de l’histoire complexe et difficile de mes parents.

Mais pas du tout de Mai 68. Il y avait une exposition chez Radio France il y a deux mois sur ce thème.

Devant les images, les dessins ou les extraits de discours, j’ai éprouvé le même sentiment qu’en regardant un documentaire sur l’histoire politique de la Colombie, par exemple.

Toute cette matière est intéressante et aide à la compréhension du monde mais cela s’arrête là. Au final je me retrouve plus dans l’histoire du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis que dans celle de Mai 68.
Comme d’autres, on ne s’y reconnait pas. Il n’y a pas de référence commune.
Mes parents-originaires du Maroc-étaient plus soucieux de trouver du travail, un toît décent et de filer droit que de revendiquer quoique ce soit mis à part le pain et l’éducation.

Quand on voit les photos de Mai 68, on ne voit pas de Noir et d’Arabe. On n’a pas de personnalité extra-européenne de renom ayant fait un grand discours fédérateur à cette époque.

Et je finirais par dire que même la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 fédérait de par son intitulé. Mais, elle a été transformée par les médias en  » Marche des Beurs « . Cela a été repris par certains pour parler en quelque sorte des « autres ».

Cette marche aurait pu être un genre de continuité de Mai 68. Mais finalement ce n’est devenu que le mouvement des uns et la marche des autres, enterrant définitivement l’espoir d’union qu’a porté ce mouvement ».

Fouad Ben Ahmed, 41 ans, militant associatif et politique

« Mai 68 reste la plus grande mobilisation de grève en France  » Ce militant politique et associatif recevait le 4 mai dernier, les insignes du chevalier de l’ordre national du mérite. Il a fait parlé de lui plus récemment grâce au collectif « Plus sans ascenseurs » où il aidait les habitants des quartiers populaires à régler des problèmes récurrents liés à leur élévateur dans leur immeuble.

Daniel Cohn Bendit, symbole du mouvement

Dans ses lointains souvenirs, les révoltes de la fin des années 1960 c’est d’abord une personnalité « Daniel Cohn Bendit ». L’homme politique reste en effet pour beaucoup de Français une figure emblématique du mouvement social. « Ce qui me vient en tête c’est plus la répression envers les manifestants » ajoute-t-il.

« Pour moi, Mai 1968 c’était d’abord une expression, j’ai l’impression que mon entourage ne se sentait pas concerné, dans mon entourage on en parlait pas. On a plus grandi avec la Marche pour l’égalité et contre le racisme ». Acteur de terrain,  Fouad Ben Ahmed a milité pour diverses causes dans les quartiers populaires.

Il est notamment à l’origine du collectif « Plus sans ascenseurs » pour aider les locataires de ces quartiers à travers une mobilisation, de régler plus rapidement les problèmes d’ascenseurs, dont certains peuvent prendre des mois avant d’être réglés. « Je ne sais pas si les gens des quartiers populaires de l’époque l’ont fait » s’interroge-t-il à propos des révoltes de mai 68.

Un nouveau mai 68 ?

Pessimiste, il croit peu à l’idée d’un mouvement social de même ampleur de nos jours. « Je pense qu’on pourra pas avoir un nouveau Mai 68 car ceux qui font l’actualité, en général, peuvent l’orienter ».

Fouad, acteur de terrain, a l’habitude de côtoyer citoyens et politiques d’où son constat « En 1968, la société civile était politisée, ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui, le politique instrumentalise les causes, autrefois c’était les citoyens qui les faisaient. Le mot politique a été sali. Lui veut le restaurer ».

Un mouvement a tout de même retenu son attention ces dernières années. C’était en  2016, lors des mouvements de grève pour le retrait la loi travail, plus connu sous le nom de la loi El Khomri. « Nuit Debout c’était un petit mai 68 pour moi ».

 

Nadia Benabdelouahed, 32 ans, chef d’entreprise

Mai 68! La première fois où j’ai réellement  entendu parler de Mai 68, c’était lors de mes cours d’histoire au lycée. Assez étrangement je me suis rapidement identifiée et sentie concernée par une grande partie des revendications (rupture de la hiérarchie des classes, accès à l’instruction pour toutes et tous, la mixité en tout genre, émancipation de la femme …).

Pourquoi? Tout simplement parce que mon parcours de vie et mon histoire personnelle font que je ne pouvais que me sentir liée.

A la maison, c’était ma grand-mère la cheffe de famille qui, depuis toujours, a instauré une égalité des sexes et une liberté de choix.

Dès mon premier souffle, dans le fin fond des montagnes du Djurdjura (Kabylie, Algerie) elle a annoncé la couleur en organisant l’une des plus grandes fêtes du village plus communément réservée à la naissance d’un garçon.

Ma grand-mère m’a prise sous son aile jusqu’à son décès. Je me souviendrais toujours d’une discussion que nous avions eu toutes les deux.  Je lui expliquais toutes les choses que je rêvais de faire mais qui me semblait alors bien trop difficiles.

Comme à son habitude, elle m’a écoutée, puis m’a demandé « Mais ma fille, dis moi une chose, est ce que quelqu’un l’a déjà fait? ».  Je lui ai bien évidement répondu par l’affirmatif.  Elle a alors rapidement et spontanément rétorquée « que si cela avait déjà été fait, je n’avais aucune excuse pour ne pas le faire à mon tour.

Autrement dit, assez tôt elle m’a donné l’une des plus importantes leçons de ma vie. Elle a brisé le plafond de verre qui pèse au-dessus de la tête de nombreuses personnes, notamment celles issues de catégories sociales défavorisées.

C’est de là que me vient ma ferveur et mon acharnement sur l’importance des « roles models » au sein de notre société. En effet ça me paraît évident qu’il est important, pour ne pas dire nécessaire, surtout pour les nouvelles générations qui sont très connectées, de valoriser des personnes qui leur « ressemblent ».

La majorité des personnes voit dans les actions de Mai 68, l’émancipation sexuelle,

J’y vois surtout l’émancipation de la femme pleine et entière au sein de la société. Cette notion m’a été inculquée par mon père. Grâce à lui, j’ai appris à m’assumer en tant que femme au sein de cette société patriarcale.

Ce que je veux exprimer à travers ces anecdotes personnelles, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un lien direct avec Mai 68 pour se sentir concerné. Pour moi, ce mouvement, c’est un état d’esprit, une philosophie de vie. Et compte tenu de mon éducation et parcours de vie, je me suis assez rapidement identifiée et liée à ce mouvement. Plus que jamais, l’esprit de Mai 68 doit perdurer et inspirer.

La rédaction 

Photo de Une: © BNF

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