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Ils l’ont fait: « Votez pour nous, ils vont avoir le seum! »

Après une tournée dans toute la France, « Ils l’ont fait », réalisé par quatre amis originaires de Mantes-la-Jolie sort au cinéma le 15 février. Une bonne nouvelle pour ce film réalisé en toute indépendance. Pas étonnant. « Ils l’ont fait » réveille la citoyenneté d’une jeunesse de banlieue qui pourrait faire la différence dans les urnes. Présentation d’une œuvre d’intérêt civique.

 

C’est l’hystérie dans Mantes la jolie, la cité des Yvelines située à environ 60 km de la capitale. La commune vient d’élire pour maire Khalifa Camara, un jeune homme noir, originaire de la cité populaire du Val Fourré qui à elle seule abrite la moitié de la population de la ville.

Ceci n’est que le happy end d’une comédie de 80 minutes intitulée « Ils l’ont fait ». Pourtant, ce genre de scénario pourrait très bien arriver dans bon nombre de communes de banlieue si l’abstentionnisme n’était pas aussi important. Aux Cosmonautes, une cité de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’abstention culminait à 58% aux dernières municipales…

Bande-annonce « Ils l’ont fait », sortie au cinéma le 15 février.

« Ils l’ont fait » a été élaboré par quatre amis, Saïd Bahij, Rachid Akiyahou, Majid Eddaikhane et Khalid Balfoul, tous originaires du Val Fourré. « On en avait marre que des gens débarquent, s’autoproclament experts de la banlieue et parlent à notre place, alors qu’ils ne nous connaissent pas » explique Majid Eddaikhane, l’un des scénaristes.

Appel à l’engagement civique:

Il faut inciter les jeunes à avoir une conscience politique (…), qu’ils soient les auteurs de leur histoire. Ce film est un vrai acte politique car porteur d’une vraie culture de banlieue. Saïd Bahij, réalisateur et dialoguiste.

Le film s’inspire ainsi d’une comédie américaine sortie en 2003 « Président par accident » de Chris Rock où un afro-américain devient président des Etats-Unis d’Amérique. On ne peut que souhaiter la même prophétie pour Mantes la Jolie ou une autre ville de banlieue, même si on en est encore très loin en France.

Pour preuve, le film sorti début 2015 n’a jusqu’ici pas de distributeur. Malgré un minuscule budget et de nombreux acteurs amateurs, tous les ingrédients sont présents pour que cette caricature burlesque cartonne.

Montage Oumar Marc

Oumar Diaw dans le rôle de Khalifa Camara et Marc Pierret qui interprète le maire Jacques Adie.
©Ils-lont-fait.com

Elle s’attaque sans méchanceté à tous les défauts de certains maires de banlieue clientélistes et corrompus sans oublier, et c’est le point fort du film, de critiquer sans concession certains jeunes habitants de cités HLM qui acceptent passivement ou activement parfois la gestion scandaleuse de leur commune par un maire pouvant rappeler évidemment un ancien édile de l’Essonne.

« Un braquage démocratique à 200 millions d’euros ! »

Dans le film, l’objectif du candidat Khalifa Camara est simple, si la population du Val Fourré vote pour lui, il peut l’emporter mais deux obstacles de taille se dressent sur sa route: l’absence de conscience politique et surtout la flemme des jeunes qui n’accordent aucun intérêt à la politique.

Face à lui, Jacques Adie, un maire cynique prêt à baragouiner quelques mots dans les langues d’origine des habitants en mangeant en tenue traditionnelle couscous ou mafé dans des mariages marocains ou sénégalais, les deux communautés les plus importantes du Val Fourré.

Un maire qui promet aussi appartements et emplois municipaux pour rester au pouvoir dans une commune qui pourrait basculer si les habitants de ce gigantesque quartier s’opposaient à lui.

L’ équipe de campagne du jeune homme est elle aussi prête à tout pour ce  » braquage démocratique à 200 millions d’euros » comme l’annonce Khalifa soit le budget cumulé de la mairie et de la communauté d’agglomération. Évidemment, ils utilisent les mêmes procédés que le maire sortant en promettant aussi monts et merveilles aux habitants du quartier.

Mais, connaissant mieux leurs amis, ils s’adressent à eux via les réseaux sociaux adaptés et haranguent la population à coup de slogans terriblement efficaces. Une façon de montrer qu’il n’est pas si difficile de faire de ce type de politique là.

En utilisant l’humour et le langage de ces habitants de quartier populaire, la comédie cherche aussi à « bousculer » cette jeunesse bien endormie. La scène où une brigade du vote intervient dans tout le quartier en réveillant énergiquement les jeunes électeurs pour qu’ils aillent voter est à mourir de rire, surtout lorsque l’un d’entre eux ressort du « photomaton » (l’isoloir) tout fier avec le bulletin de vote de son ami candidat…

Le débat entre les deux candidats est lui plus subtil et montre la connaissance superficielle des problèmes des habitants d’un maire méprisant et fourbe face à un candidat plus au fait des aspirations de ses voisins.

Réveiller la conscience politique des jeunes

Malgré des critiques élogieuses de la presse de gauche et de l’Institut de France qui lui a décerné un prix, l’équipe du film a eu du mal à trouver un distributeur. Elle a ainsi organisé pendant un an une tournée dans toute la France, à la manière d’un spectacle. Avec plus de 40 projections, le succès est à chaque fois au rendez-vous.

Notre stratégie est de susciter la curiosité. Que les gens se déplacent. En fait, on vend ça comme un spectacle de stand-up, en programmant des dates un peu partout en France, Majid Eddaikhane, ingénieur en informatique de profession et responsable du marketing du film.

Equipe Ils l'ont fait

L’équipe du film a reçu le prix Coup de coeur 2015 de la fondation Feuilhade, à l’Académie française.

En 2015, l’équipe a enchainé les débats, notamment dans le 18e arrondissement de Paris. Beaucoup de jeunes spectateurs ont remercié l’équipe avant de déclarer reconnaître leurs communes dans ce film.

Les deux représentants socialistes, présents dans le 18e arrondissement, ont aussi dû répondre à de nombreuses critiques dont la mienne.

Logique, même si le film attaque frontalement des maires de droite, il n’épargne pas la gauche, de manière implicite, avec l’abandon de deux promesses électorales de François Hollande si importantes pour ces banlieues populaires: l’arrêt du contrôle au faciès et surtout la possibilité pour les étrangers hors UE de voter aux élections municipales. Évincés par le débat sur la déchéance de nationalité, l’amendement pour le vote des étrangers a pourtant été proposé par Benoît Hamon à l’Assemblée mais sur les 172 députés présents, seulement 67 ont voté en faveur.

Durant les échanges, une personne s’est offusquée de constater que le jeune candidat ne proposait rien et que, finalement, son unique projet était de prendre la place du maire en utilisant la même méthode que lui.

Pour Majid Eddaikhane, « Khalifa utilise le même procédé que le maire sortant car le clientélisme fait rage depuis plus de 30 ans dans ces quartiers populaires et pour les inciter à venir à son meeting, il est obligé de surenchérir dans les promesses mais il le fait surtout pour l’intérêt général de toute sa ville donc c’est un mensonge utile et nécessaire. »

Jean-Riad Kechaou

Ils l’ont fait, sortie au cinéma le 15 février.

Infos ici

Jean-Riad Kechaou est professeur depuis 15 ans en banlieue parisienne. Auteur d'un essai socio-historique sur le quartier des Bosquets « 93370 Les Bosquets, un ghetto français » (MeltingBook Editions). Il écrit pour MeltingBook et le site de Politis dans un blog intitulé "Un Prof sur le front".

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