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Marine Le Pen vs Donald Trump: les (faux) jumeaux?

Juriste et journaliste, Ibtissem Guenfoud suit la campagne des présidentielles françaises depuis le Royaume-Uni. Elle s’interroge sur les similitudes qu’entretiendrait Marine Le Pen, candidat du Front national, avec Donald Trump. S’ils incarnent tous deux une montée en puissance du populisme, pas sûr qu’ils soient si proches. Décryptage.

Ibtissem Guenfoud

Ibtissem Guenfoud

À première vue, la ressemblance est frappante. Deux candidats d’extrême-droite avec une passion pour le protectionnisme et une défiance des immigrants comme des réfugiés, tous deux décriés dans les médias, ridiculisés par les humoristes, et pourtant désespérément populaires.

Autre affinité : ils partagent des expériences conflictuelles avec la presse et la justice, et ripostent en associant ces dernières au « système » qu’ils entendent abolir.

Ces similitudes n’ont pas été ignorés dans les commentaires des dernières semaines.

Elles ont été conçues par beaucoup comme la preuve qu’un processus similaire à celui des Etats-Unis avait lieu de ce côté-ci de l’Atlantique, et même présentées comme la condamnation des élections présidentielles à une victoire de Marine Le Pen. Il y a peu de risque de sous-estimer le Front national après ça.

Pourtant, ces commentaires et prédictions sont-elles vraiment justifiées ? Un seul phénomène —la victoire de Donald Trump— peut-il, aussi majeur qu’il soit, devenir le principal canon de réflexion sur la montée en puissance des mouvements d’extrême-droite ?

Donald et le rêve américain

Trump est un petit nouveau dans la vie politique américaine. Le 45e président des Etats-Unis est le premier candidat à être élu sans avoir accompli aucun service militaire ou gouvernemental antérieur. Il est avant tout un homme d’affaires et une personnalité de la télévision, devenu politicien sur le tard.

Cette entrée tardive dans le jeu politique a certainement aidé à fonder le mythe de son leadership.  Ses disgrâces passés sont toutes liées à sa carrière dans l’immobilier à la tête de la performante Trump Organization. Pas de « casseroles » donc en politique.

Née dans un cocon…politique

Marine Le Pen a quant à elle été consécutivement conseillère régionale, membre actif du Parlement européen —auquel elle doit la modique somme de 340 000 euros pour avoir employé son chef de cabinet comme assistante parlementaire ainsi qu’un garde du corps aux frais de la princesse—, conseillère municipale, et élue à la tête du parti de son père depuis 2011. Elle en est aussi à sa seconde candidature présidentielle.

Le parti lui-même est présent sur la scène politique depuis 1972, et traîne depuis ses débuts une image de racisme, d’antisémitisme et de sympathisant du Maréchal Pétain.

Bien que les efforts de Marine pour dédiaboliser le Front national en excluant ses membres les plus infâmes, y compris son propre père, ont été relativement concluants, ils ne font pas table rase qu’elle espérait. Elle doit régulièrement exercer son pouvoir de sanction et exclure des élus embarrassants.

« Je pense que la France n’est pas responsable du Vel d’hiv », Marine Le Pen interrogée par RTL/LCI
(dimanche 9 avril 2017)

Le nom de Le Pen est un élément constant de la scène politique depuis plus de 50 ans, généralement en retrait, avec un bastion dans les petites villes et les zones rurales. Sa ténacité a même amené la presse américaine à comparer le candidat Trump, l’année dernière, à Marine Le Pen, et non l’inverse.

Cerise sur le gâteau, Le Pen est le célèbre enfant du népotisme politique, ce qui ne disqualifie pas complètement ses mérites dans la société française, mais a tout de même pour effet de ternir son image. Surtout en tant que femme.

Le Front national est un business familial, avec le père, la fille et maintenant la nièce qui se passent le micro.

Alors que l’homme d’affaires prospère, symbole du rêve américain a fait le succès de Donald Trump, la fille de Jean-Marie Le Pen n’incarne pas le rêve français.

Évidemment, cela n’est pas forcément nécessaire. Il y a d’autres façons de gagner une élection. Celle de Le Pen serait différente de celle de Trump.

Donald Trump: un candidat anti-système ?

Si Donald est nouveau, son administration ne l’est pas. Il est et reste le candidat du parti républicain. Résultat, les membres de son administration sont membres du parti —avec des exceptions notables comme Gary Cohn—, des gens avec des liens idéologiques et souvent un rapport personnel à la majorité au Congrès. Un gouvernement Le Pen n’aurait pas cette chance.

Supposons que le Front national parvienne à l’Elysée, il y a très peu de chances qu’il obtienne une majorité au Parlement (ce parti tient actuellement deux sièges à l’Assemblée et compte deux sénateurs), précipitant le mandat présidentiel dans l’instabilité d’une cohabitation, composée on imagine de la droite et de l’extrême-droite présidentielle.

John Oliver, l’animateur de « Last Week Tonight » sur HBO implore la France de ne pas voter Marine Le Pen dans un sketch aussi hilarant que pertinent.
(17 avril 2017)

Étant donné le manque de compromis qui caractérise le parti en question, il en faudra beaucoup pour que cette cohabitation soit opérationnelle.

Et même si elle arrivait par miracle à obtenir une majorité à l’une des chambres, son gouvernement se composerait essentiellement voire entièrement de nouveaux visages puisés dans le parti, sans aucune expérience gouvernementale.

Si la présidence de Trump marquera certainement un changement dans la façon de présider, une victoire de Le Pen serait, elle, une véritable révolution.

De prime abord, ils apparaissent donc comme deux loups solitaires, partis à la chasse aux conseillers. Mais si Trump est anti-système dans son approche, il n’est pas, contrairement à Le Pen hors de ce système, et s’y intégrera sans gêne pendant son mandat.

En tant que chef d’un parti indépendant, l’approche de Marine n’est pas anti-système et ses efforts ont été au contraire de normaliser le Front national et faire qu’il se tienne aux côtés des autres partis.

Si Marine n’est pas Donald, qui est-elle ?

Remarquons cependant qu’elle possède des qualités que le candidat républicain n’avait pas. Le Pen n’a peut-être pas « the best words », mais elle est éloquente et parle d’une voix grave, peu féminine, qui lui sert bien.

À côté de la doctrine classique d’extrême-droite qui veut rendre à un pays sa force et son indépendance, elle a une remarquable capacité à dépoussiérer les outils traditionnels du nationalisme : le récit national et les figures de la Nation (de Marianne à Jeanne d’Arc).

Et pendant que l’image de m. Trump doit beaucoup à  une impression de spontanéité- ses électeurs parlant de lui comme d’un homme qui dit ce qu’il pense- le double discours du Front national est dénoncé. Ses caciques  disant selon ses détracteurs, une chose à leurs membres (leur assurant que la ligne dure sera conservée de père en fille) et une autre aux électeurs potentiels (les persuadant du contraire).

Les électeurs eux-mêmes sont dans une forme de double jeu : ils cachent leurs intentions de vote pour les révéler en famille et dans l’isoloir, uniquement. La honte des sympathisants FN ne connaît pas d’égal dans l’Amérique de Trump qui porte fièrement les couleurs, les casquettes et tous les produits dérivés du fameux slogan de la campagne «Make America Great Again».

La honte de l’électeur de Marine fait face à l’angoisse de l’objecteur de conscience. L’élite américaine a été « fusillée » pour avoir ignoré Trump tout au long de la campagne. Mais en France, la haine et la peur, plutôt que le mépris, semblent être et avoir toujours été les réactions dissidentes face à Marine Le Pen.

Pour ces raisons, l’inquiétude ici se porte moins sur l’erreur de sondage, que sur l’issue des dernières élections régionales, pour lesquelles le FN a terminé premier au premier tour.

Ces résultats ont mis à nu le danger qu’il y avait à sous-estimer Le Pen à l’époque où Trump n’était encore qu’un homme d’affaires.

Pourtant, ces résultats-mêmes ne présagent en rien d’une victoire du Front national. Au second tour, selon la tradition, les Français ont voté massivement contre l’extrême-droite, l’empêchant de mettre la main sur une région.

Et si les premiers résultats ont choqué l’opinion, cela ne parait pas vraiment justifié. Le vrai pouvoir du Front national réside justement au niveau local, notamment en raison de l’abstention traditionnellement élevée dont il profite. Les présidentielles, elles, attirent toujours plus de votants que les autres. Un constat défavorable au FN.

D’ailleurs, rappelons que dans la France multi-partisane, le vote protestataire sera divisé, bien qu’inégalement, entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche de Jean-Luc Mélenchon.

Enfin, nous ne pouvons oublier ce qui a mené l’actuel président des Etats-Unis à la victoire: le collège électoral, et non le vote direct du peuple américain. Rien de similaire n’existe en France pour faciliter une victoire de Le Pen.

L’autre événement qui sert avec insistance de grille de lecture pour les élections est le Brexit, comme pour rapprocher un peu plus l’analogie des côtes françaises. Cependant, un référendum oui/non est différent d’une élection, surtout d’une présidentielle.

Nous avons des exemples où l’échec de référendums menés par le gouvernement n’a pas fait se retourner l’opinion publique contre le parti en place.

Un pic de populisme ?

Depuis, l’Autriche a fait preuve de fermeté face au populiste Norbert Hofer, l’UKIP n’a pas réussi à traduire son triomphe du Brexit en succès partisan aux récentes élections partielles, et les Néerlandais ont évincé Geert Wilders, faisant sortir une gauche écologiste de l’ombre.

Cela en amène certains à parler d’un pic de populisme (‘peak populism’), atteint par l’avènement de Donald Trump, en déclin depuis. Plus optimiste que la première, cette approche n’en reste pas moins une compréhension de la politique comme phénomène global, et ne permet pas l’acception différenciée que chaque Etat a des mêmes facteurs.

Au risque d’en faire sourciller plus d’un, nous devrions être sensibles au fait que l’Amérique puisse vouloir être « grande à nouveau » sans que l’Europe se précipite à sa suite.

Nous devons certainement aux démocraties des pays européens de croire que leurs peuples puissent agir différemment dans leurs propres intérêts.

Ce qui ne veut pas dire que les liens entre Trump et Le Pen ne sont rien de plus qu’un cas classique d’américano-centrisme.

Mais nous ferions bien de regarder de plus près le contexte français avant de faire un portrait expéditif d’un monde virant populiste, dans lequel la France viendrait continuer le travail commencé par les Etats-Unis.

Nous pouvons à la fois reconnaître la montée du Front national, certainement due à la tendance occidentale anti-mondialisation et immigration, et accepter que son issue en France puisse varier de l’exemple américain. Y a t-il sans doute une forme d’« effet Trump ».

Les journaux étrangers parlent presque exclusivement de Marine Le Pen, manquant de remarquer l’ascendance fulgurante du candidat Emmanuel Macron et de son tout jeune parti « En Marche ! ».

De la même façon, nous manquons cruellement du même commentaire et de la même spéculation concernant cet autre phénomène politique, la montée des jeunes gauches libérales, écolos et europhiles en Europe et au Canada.

Mais c’est un fait avéré. A force, de prodigalité de scénarios catastrophes,  on les rend possibles. La surestimation peut être aussi mauvaise que la sous-estimation.

Si l’écho de la presse étrangère résonne  en France, la surexposition de Marine Le Pen pourrait amener les électeurs à cesser leur pratique usuelle de choisir au premier tour, et commencer à l’éliminer dès maintenant.

Non seulement cela rendra plus difficile l’analyse des résultats, mais au lieu de représenter les aspirations du peuple, elles refléteront leur peur. Une peur légitime, pour sûr, mais la peur est loin d’être le meilleur point de départ au mandat présidentiel.

 Ibtissem Guenfoud

Ibtissem Guenfoud est diplômée de Paris II Assas et de la Humboldt-Universität de Berlin. Elle prépare actuellement un LLM à King’s College London. Elle commente régulièrement le traitement des droits fondamentaux en Europe pour le Verfassungsblog: On Matters Constitutional et elle est stagiaire pour la plateforme journalistique Tremr. Elle a créé LeBinational en janvier 2017. Ce blog dédié à l’actualité politique française et algérienne, fait pour et par des binationaux

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Pour en savoir plus, consultez nos contenus sur Présidentielle 2017.

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Comments (1)

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    Franchement si ça les médias alternatifs je préfère lire les mêmes platitudes sur le monde. Pour une arabe et de plus vivant à l’étranger pas un mot sur la Syrie ou le fait que le FN est le SEUL parti de France quia défendu 3 pays arabes … dans l’ordre l’Irak, la Libye et La Syrie.

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