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« Marlène Schiappa, au Grand Orient de France, vous avez tout mélangé »

 

Asif Arif est avocat au Barreau de Paris. Auteur spécialisé sur les questions d’islam et de laïcité, il s’étonne des propos tenus par la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa. Vendredi 8 décembre, le Grand Orient lui remettait un prix de la laïcité. 

 

Marlène Schiappa a été honorée par le Grand Orient de France pour son militantisme en faveur de la laïcité et de la promotion du droit des femmes. Elle s’est vue décerner un prix pour la laïcité, à cette occasion.

Le quotidien Marianne révèle une drôle d’information.

Alors qu’on attendait le discours du Président de la république pour janvier sur la laïcité, voilà que Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, aurait brisé le supposé tabou qui régnait autour de l’exécutif concernant la laïcité.

Plusieurs éléments appellent des remarques de notre part, en raison soit de leur incohérence soit de la nécessité de rappeler qu’ils sont en réalité hors de propos.

Le Président Macron a toujours été clair sur la laïcité.

Il suffit de se rappeler, un tant soit peu, les discussions et débats houleux auxquels avaient dû faire face le candidat Macron pour savoir qu’il a toujours été très clair dans son approche de la laïcité.

Il avait, en effet, déjà mentionné sur RTL ou encore sur BEUR FM, qu’il n’entendait pas légiférer sur le voile à l’université, qu’il était contre les polémiques futiles autour du principe de laïcité.

En d’autres termes, il s’agissait de revenir à cette construction législative et prétorienne de la laïcité qui permet aujourd’hui de construire ensemble.

Par ailleurs, ceux qui crient aux scandales et à la violation de la laïcité dans tous les sens, ne représentent qu’une vision hystérisée de celle-ci, sans en avoir une approche historique et concrète.

Car dans son raisonnement, Marlène Schiappa, qui aimerait qu’on la confronte plus souvent sur le fond que sur taille de ses cheveux, doit admettre qu’il y a quelque chose de vicier, voire inexacte.

La laïcité n’a rien à voir avec le droit des femmes

Cette confusion commence d’abord au niveau du Grand Orient de France qui décerne un prix de la laïcité « en honneur de l’action qu’elle est en train d’initier en faveur de l’émancipation humaine par la défense des droits de la femme.»

Il est en effet étrange qu’un prix de la laïcité – et non pas un prix pour la défense des droits de la femme ou de son émancipation – soit décerné alors que le combat de Marlène Schiappa ne porte pas réellement sur la laïcité, mais bel et bien sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

Quoiqu’il en soit, on pourrait accorder le bénéfice du doute au Grand Orient, dont le prix serait remis à une personnalité prolixe et active de l’Etat. Pourquoi pas.

En revanche, on comprend moins le fond du discours de Marlène Schiappa, notamment lorsqu’elle avance cette douce phrase :

« Les institutions religieuses ne doivent obliger aucune femme, nulle part, jamais, à rien ».

D’abord, de la part d’une personnalité de l’Etat, d’imposer un code de conduite à une institution religieuse, pourrait être considéré comme une atteinte à la laïcité.

Prenons l’exemple de cette Eglise qui pour réparer une bâtisse a besoin de fonds et qu’elle sollicite quelques paroissiennes.

Que va-t-on dire au niveau de l’Etat ? Que cette dernière, en tant que femme, a été contrainte ?

Ce raisonnement ne semble pas aller de soi. Parfois, dans plusieurs religions, on est contraint de jeûner, hommes comme femmes en bonne santé.

L’Etat doit-il interdire cette contrainte d’une institution religieuse alors que les hommes et les femmes s’y plient par religion ?

C’est précisément ici que l’Etat ne peut plus intervenir dans la sphère religieuse et il y a raisonnement compliqué à décliner.

Les mutilations, les actes de barbarie reflètent la République laïque !

Se défendant en appelant à respecter la « laïcité point », Marlène Schiappa fait de drôle de parallèle entre laïcité et droits des femmes, deux éléments qui sont juridiquement distincts et qui philosophiquement sont complexes à rapprocher.

En effet, Marlène Schiappa soutient que :

« C’est parce que la République française est laïque qu’elle affirme que l’excision est une mutilation gravissime, jamais une coutume ni une tradition, et qu’il est impossible de pratiquer quelque acte que ce soit sur le corps des femmes en dehors de leur consentement, partout dans le monde, sans relativisme culturel ou religieux » !

Désormais, le mariage forcé, la violence faite aux femmes, l’excision ne sont plus des délits pénaux réprimés par plusieurs textes de loi, non, ils sont les reflets d’une République laïque.

A titre de rappel, les actes de mutilation, les actes de barbarie sont des délits et des circonstances aggravantes.

D’ailleurs, soutenir que c’est parce que la République est laïque que de tels actes ne sont pas autorisés c’est d’emblée porter un jugement de valeur sur les religions qui elles entretiendraient de telles mutilations et actes de barbarie.

Or, sauf une infime minorité d’extrémistes, les religions monothéistes sont généralement contre ces pratiques, qui, d’ailleurs, préexistaient avant que les religions monothéistes n’apparaissent.

L’idée selon laquelle le voile serait un acte de soumission, est très largement induit par les propos de Schiappa

La secrétaire d’Etat, ainsi, rappelle que:

« Nous devons empêcher qu’au nom de la religion, on interdise dans la République française, à des garçons et des filles de se tenir la main à l’école, qu’on arrange des mariages, qu’on empêche des femmes de disposer librement de leur corps en culpabilisant le recours à l’IVG, qu’on séquestre des jeunes filles, qu’on enferme des corps dans des grilles de tissus ».

Encore une fois, la question est simple : quel rapport avec le principe de laïcité ?

Il n’existe aucune communication possible entre les contraintes faites aux femmes et la laïcité puisque les contraintes relèvent d’un délit pénal répréhensible par le Code pénal, on pense notamment à la séquestration.

Par ailleurs, induire qu’on enferme certaines jeunes filles dans des grilles de tissus en France c’est méconnaitre le terrain : déjà lors de l’adoption de la loi relative à la dissimulation du visage on avançait le nombre dérisoire de femmes concernées par le voile intégral.

Par ailleurs, aujourd’hui, ce nombre s’est davantage atténué.

En réalité, Marlène Schiappa n’a pas voulu parler de laïcité.

Sinon, elle aurait évoqué le principe de la liberté de conscience, de l’intérêt pour l’Etat de promouvoir l’œcuménisme, qui n’est qu’un dialogue interreligieux.

Mais ce discours vient s’inscrire et se poser sur une ligne qu’Elisabeth Badinter avait déjà avancer.

Et il ne sied pas à la laïcité, grand principe de droit et de liberté, de lui rattacher des discours avant aussi peu de rapport concret avec la séparation des Eglises et de l’Etat. C’est à mon sens, l’hommage que je pouvais rendre, à ce jour, à la laïcité, ma laïcité et la laïcité de tous les Français.

Asif Arif

 

Asif Arif vient de publier aux éditions La Boîte à Pandore ses « Outils pour maîtriser la laïcité », octobre 2017.

Raconter, analyser, avancer.

Comments (3)

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    selene

    La laïcité c’est la liberté de conscience, c’est à dire le droit à croire, à ne pas croire , à changer de religion, mais aussi à critiquer toutes les religions.

    La liberté religieuse est consentie sous condition de respect de la loi républicaine.

    Et régulièrement, des frontières sont franchies au nom de la religion, en particulier lorsque l’on voit des petites filles porter un voile…Sont elles librement et légalement consentantes? Je pense que comme en matière de consentement sexuel, aucun voile ne peut être autorisé avant l’âge de 15 ans, si c’est cet âge qui est retenu par la loi comme l’âge du consentement légal.

    l’emprise religieuse est telle que vous ne vous rendez plus compte des anomalies induites.

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    VALDIMIR

    Principe premier de la laïcité, l’état ne reconnaît aucune loi « divine » au dessus de la sienne.
    En cela il se garde le DROIT d’intervenir sur les cultes, quand cela est nécessaire… Vous semblez prendre le juridique comme quelque chose d’immuable, or qui fait le droit dans un pays laïque si.ce n’est L’ETAT !?

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    Poupougne

    Je suis d’accord. Je pense que madame Schiappa a du vouloir aborder les thèmes sur lesquels travaillent les maçons et qu’elle a du énumérer les choses sans prendre garde à la justesse. Ou bien alors il était question d’aborder la laicité mais aussi d’autres thèmes. Je ne vois que ça.
    L’Etat s’immiscant dans la vie privée des citoyens je n’y crois pas. Quoiqu’il faille s’attendre à tout.

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