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Est-ce que la morale a déserté la politique?

Comment Fillon, Le Pen et les autres m’ont poussée à relire Tzvetan Todorov. Hommage à l’observateur engagé de nos sociétés. Disons le sans ambages T.Todorov nous offre des dizaines de raisons de le  lire. Et  de le relire.

Samia Hathroubi

Samia Hathroubi

L’historien, critique littéraire et essayiste né à Sophia en 1939 qui nous a quittés et nous a laissés orphelins de sa pensée unique et éclairante le 7 février dernier est une immense figure de la pensée du 20ème siècle et de cette première partie du 21ème siècle.

Todorov c’est pour moi et beaucoup d’autres cette voix venue de l’ancien bloc communiste ( il a quitté sa Bulgarie natale pour rejoindre la France à l’age de 24 ans) devenu français en 1973 qui guidait et me permettait de voir l’actualité loin de « l’écume des choses » avec finesse et éloquence.

Sa dernière sortie aux cotés de Cyrilnuk dans le Monde daté du 30 décembre 2016 en est un exemple probant et nous permet d’explorer un de ses sujets récurrents et à travers lequel  je l’avais découvert : le concept de barbarie.

La peur des barbares

La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Tzvetan Todorov (Robert Laffont)

Dans une oeuvre magistrale La peur des barbares, au delà du choc des civilisations, Tzvetan Todorov nous rappelle que « la barbarie n’est jamais l’état primitif de l’humanité » et que le choix de ce terme par certains n’est qu’in fine « le refus de la pleine humanité » de celui que l’on désigne comme barbare.

Les insoumis, morale et politique

Depuis sa mort, ses œuvres ont retrouvé les gondoles de mon libraire aux cotés des nouveautés. Pour mon plus grand bien. Je mets sur un ouvrage que je ne connaissais pas et dont le titre et la couverture m’intriguent. Les insoumis. En feuilletant cet essai et son introduction, je tombe sur l’objet de la réflexion articulée autour de la morale et de la politique.

Les insoumis

Les insoumis, Tzvetan Todorov (Robert Laffont)

Autant dire à quel point ce livre paru en 2015 fait écho à notre actualité politique.

Un peu plus loin dans son introduction, Todorov convoque la figure du Général de Gaulle en expliquant que sa popularité encore aujourd’hui tient davantage à sa stature d’homme d’état agissant au nom d’un idéal, d’un bien commun situé au-dessus de ses intérêts personnels qu’à toutes ses initiatives politiques et à son bilan politique.

On a tous en mémoire un ancien candidat à la primaire de droite fustiger et rire de son adversaire en disant « Imagine t-on un De Gaulle inculpé? » devant une foule hilare. Ce même candidat qui aujourd’hui est poursuivi par ses nombreuses affaires où son action politique était toute tournée vers la préservation et l’appétit de ses intérêts personnels au détriment d’une morale.

Parcours d’insoumis 

Dans cet essai, Todorov nous fournit huit exemples. Huit exemples de femmes et d’hommes morts ou vivants aux destins admirables qui sont parvenus à articuler et porter au plus haut degré de leur action politique la morale.

A l’aune de nos démocraties libérales où les « affaires » de détournement d’argent, de blanchiment, d’emploi fictifs sont devenues partis intégrantes de notre système, Todorov nous offre une étude complète de parcours de ces huit personnages politiques qui parviennent à tenir la morale comme boussole de leur action politique tout en résistant ici au nazisme, au totalitarisme de Staline, à la politique d’apartheid de l’Afrique du Sud, à la politique de négation des libertés et des droits de l’Homme en Israël ou aux Etats-Unis avec les exemples de Edward Snowden et David Shulman.

Parmi ces vies et parcours, on touche au plus près de la complexité de ces insoumis qu’on a souvent tendance à présenter dans une radicalité pure, presque abstraite.

De Nelson Mandela qui occupe une place de choix dans cet essai, on découvre les étapes et ruptures dans sa vie qui ont mené le militant de l’ANC emprisonné pendant 27 années à ne jamais haïr « les Blancs ».

Il va même jusqu’à déclarer dans son autobiographie que la prison a apaisé sa colère contre les Blancs mais a accru sa haine du système.

De Mandela, résonne une phrase telle que « J’aime mes ennemis tout en haïssant le système qui a fait naître notre affrontement ».

Germaine Tillion l’insoumission comme boussole

Parmi les choix de Todorov, on retrouve Germaine Tillion que l’auteur avait déjà rencontrée et qui l’a beaucoup fasciné et inspiré.

Résistante de la première heure contre le nazisme, elle a notamment été parmi les rares résistants à voir la puissance soviétique à travers son totalitarisme là où beaucoup pouvaient être aveuglés par leur idéologie.

Germaine Tillion, résistante, femme de lettres et ethnologue française.

Germaine Tillion, résistante, femme de lettres et ethnologue française.

Germaine Tillion c’est aussi cette auteure capable d’écrire ces phrases pendant la Guerre d’Algérie  à propos de la torture « Ce que nous avons stigmatisé quelques années auparavant chez les Nazis, la France libérale, démocratique et socialiste l’applique à son tour et à sa manière. Preuve qu’aucun peuple n’est à l’abri d’une infection par ce mal absolu ».

Des paroles qui aujourd’hui pourraient paraître subversives et porteuses de controverses que cette résistante prononce dans les années 1950….

En retraçant le parcours de Germaine Tillion, de Nelson Mandela, de Malcom X, de Snowden pour ne prendre que quelques exemples décrits dans ce livre, on retrouve un paradigme structurant à ces hommes et femmes d’exception c’est cette substantifique moelle qui leur fait dire d’une manière ou d’une autre qu’il ne faut jamais transgresser sur le vrai et le juste, qu’il n’est pas possible de récuser ses principes même si pour cela on doit s’éloigner de son groupe ou de la « meute ».

Germaine Tillion comme Malcom X partagent cette même idée que la famille humaine n’a ni drapeau, ni couleur, ni religion.

Des enseignements d’une grande qualité et nécessité aujourd’hui.

Samia Hathroubi

 

Raconter, analyser, avancer.

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