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Naïla Banian, anthropologie et actualité


Après 3 ans à Istanbul, Naïla Banian, consultante anthropologue et coordinatrice de projets culturels, revient en France en 2015. Si les crispations de la société française lui sautent aux yeux, elle fourmille de projets pour détendre l’atmosphère.

Dans son agenda, la création d’une association autour de la diversité et la participation à un programme dédié à la spiritualité et à l’engagement. Spécialiste de l’interculturalité et de l’identité, elle livre, également, un regard analytique sur la question des réfugiés.

« Les questions de société et d’actualité m’ont toujours passionnées », lance Naïla Banian. A 29 ans, cette consultante en anthropologie et rédactrice « coordonne de nombreux projets culturels et éducatifs depuis plusieurs années ».

Et pour faire vivre sa vocation, Naïla Banian s’est outillée comme il fallait ! Entre école de journalisme, faculté de sociologie ou formation d’éducateur, son cœur a balancé. Au final, elle obtient une licence en sociologie-anthropologie à l’université Paris V-Descartes-Sorbonne.

« J’ai pu saisir les différents sens de notre société, notamment sur les questions d’immigration, d’intégration, de diversité culturelle. Je me suis ensuite spécialisée sur les questions identitaires et culturelles ». Suivront un master 1 et deux masters 2.

Le premier, en « migrations et relations interethniques », l’amènera à rejoindre le pôle Femmes migrantes de l’association Sida Info Service. Le second, en « expertise ethnologique en projets culturels et touristiques », lui ouvrira les portes de l’association des amis du musée du Quai Branly.

Istanbul, à la croisée des civilisations

Après ces expériences, elle s’envole pour Istanbul. Elle y passera 3 années à encadrer, « entre autres, un programme éducatif proposant des ateliers culturels aux enfants francophones ». Elle en parle comme sa « ville de cœur, foisonnante à bien des égards, pleine d’énergie et d’initiatives ».

Propice à l’action, faut-il comprendre. Elle, qui s’y sent chez elle, pointe « cette proximité culturelle qu’elle ressent ». Probablement dû au fait que la ville est au carrefour de l’Asie et des provinces du nord de l’Inde dont sont originaires ses arrière-grands-parents.

« Je reste très attachée à la Turquie, je suis de près son actualité, malheureusement de plus en plus agitée ces dernières semaines… ». En 2015, Naïla Banian est de retour à Paris avec une envie bouillonnante de poursuivre ses projets. Pour autant, elle est en phase de réadaptation.

Le combat est en France

« Le retour en France était souhaité. Je suis heureuse de retrouver mes différents projets, cercles d’amis, ma famille. Mais après 3 ans dans une ville aussi énergique, cela tranche un peu avec l’aspect parfois figé de nos villes françaises… », confie-t-elle. Des craintes qui ne stoppent pas ses ardeurs professionnelles et militantes.

« Ce retour me motive pour m’engager davantage auprès d’initiatives citoyennes. Après les événements de janvier, il me paraît urgent, par exemple, de renouer avec les valeurs républicaines de vivre-ensemble, d’accorder une meilleure visibilité à la diversité, aujourd’hui malmenée, et d’arrêter de brandir la laïcité à des fins de manipulations politiques ou médiatiques », analyse-t-elle.

Ajoutons à cela « le contexte socio-médiatique qui amplifie les peurs et les représentations » et vous obtenez une situation tendue. « Tout cela explique l’urgence de prendre la parole, d’agir, de réparer et de forcer notre société dans son ensemble à un regard plus juste sur elle-même », poursuit l’anthropologue.

Le spirituel, un atout pour l’engagement citoyen

Naïla Banian s’implique, donc, dans « un programme de formation axé sur les thématiques d’éveil spirituel et de citoyenneté française, souvent mis en opposition », selon elle. Tout l’enjeu de ce cycle est de « montrer que la spiritualité ne vient pas gêner les principes et valeurs républicains. Au contraire, il peut renforcer, enrichir et sublimer l’engagement citoyen », insiste-t-elle.

Ce programme devrait être mis en place à travers des interventions et des tables rondes au Forum 104, espace de rencontre culturel et inter-spirituel parisien, dès janvier 2016. Et comme la tâche est titanesque, en matière de vivre-ensemble, Naïla Banian prévoit de fonder une association « pour mettre la lumière et valoriser les richesses culturelles de la diversité française », résume-t-elle.

Parmi les pistes de travail envisagées, « des cycles thématiques pluridisciplinaires, des ateliers participatifs dans les grandes villes, en province mais aussi dans le milieu rural, qui souffre d’une vraie relégation sociale et culturelle », pointe-t-elle.

Et si la question de la diversité, Naïla Banian la porte chevillée au corps, c’est qu’elle en est une incarnation lumineuse. Elle nait à La Réunion de parents indo-musulman.

« Je suis issue d’une société créole, j’ai évolué à Paris, une capitale multiculturelle puis à Istanbul ces 3 dernières années ». Pas étonnant qu’elle vive « sa citoyenneté et son identité à travers toute ces influences culturelles hybrides », insiste-t-elle.

Aylan et la « société du spectacle »

Une citoyenne du monde qui croit en la France malgré tout. Surtout qui veut agir. D’autant qu’avec la globalisation, le problème des uns et aussi le problème de l’autre.

Pour preuve la question des réfugiés syriens qui domine l’actualité la préoccupe. Après la diffusion de la photo du petit Aylan, mort noyé et échoué sur une plage turque en septembre 2015, le combat de Naïla Banian prend encore plus de sens.

Ce cliché qui avait choqué le monde entier concentre à lui seule tout l’effroi que représente cette guerre dont Alep est aujourd’hui le théâtre. « Cette photo effroyable du corps d’un enfant rejeté par la mer témoigne d’une double violence : réelle car palpable et symbolique ».

Le choc vient du contraste entre ce que « Aylan représente, l’innocence, l’insouciance, la fragilité et les violences auxquelles il renvoie à savoir les persécutions, les agressions subies… », expliquait-elle avec son œil d’anthropologue.

Mais Naïla Banian va plus loin. « Aylan n’est malheureusement pas le premier enfant qui s’échoue». Pourtant cette agitation médiatique interpelle. « Nous évoluons dans une société riche en actualités mises en spectacle, mises en images. Tout cela nous enferme dans des postures d’indignations sélectives », constate-t-elle.

Et de poursuivre, « les milliers de migrants et d’exilés-hommes, femmes, enfants- qui au quotidien meurent en tentant d’échapper aux violences ne nous indignent que tièdement ».

Naïla Banian évoque même « ce rapport préférentiel et partial à l’actualité ». En d’autres termes, « il faut attendre que cette actualité vienne nous déranger, bouscule nos représentations, nos pratiques pour susciter notre prise de conscience. Cette réalité-également notable après les attentats de 2015-révèle un rapport biaisé et déshumanisé dans lequel nous nous enfermons ». Cruel mais bien ancré dans le réel.

Nadia Henni-Moulaï

Raconter, analyser, avancer.

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