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A propos du rapport de Terra Nova « L’émancipation de l’islam de France »

Le dernier rapport du think tank progressiste Terra Nova porte sur « l’émancipation de l’Islam de France ». Vaste sujet ! Mehdi-Thomas Allal, haut fonctionnaire au ministère de la Justice et maître de conférence à Sciences Po, réagit à cette étude. En tant que responsable du pôle vivre-ensemble du think tank Le jour d’après (JDA), il dresse une analyse personnelle du rapport.

Mehdi Thomas Allal

Mehdi-Thomas Allal

Ce rapport commence cependant modestement par un bref rappel de la loi de 1905, qui n’a en réalité pas vocation à se focaliser sur l’islam.

En effet, l’islam ne faisait pas partie des religions reconnues sous le Concordat de 1802 et qui furent par la suite concernées par la loi de 1905.

Il est de même essentiel de garder à l’esprit que la question de l’articulation entre islam et laïcité ne date pas de l’émergence de la violence terroriste.

Ce rappel constitue un préalable indispensable à tout débat cohérent et efficace sur le sujet, car il convient de déconnecter la réflexion des postures passionnées liées à l’actualité.

Par ailleurs, le rapport ne souhaite pas s’étendre sur les polémiques vaines du burkini ou du voile, jugeant la loi de 1905 suffisamment claire (à l’instar du Conseil d’Etat) pour répondre à ces questions, formulées par nos dirigeants politiques en des termes propres à enflammer le débat public.


Le Conseil d’État suspend l’arrêté « anti-burkini »

Pour comprendre la difficulté que rencontre l’intégration et l’acceptation de l’islam en France, les auteurs souhaitent privilégier deux axes : le contexte géopolitique d’une part, mais aussi et surtout l’importante diversité de l’islam.

De fait, l’islam ne possède aucune autorité centrale, pas plus qu’il n’obéit à un leader ou chef spirituel désigné.

Aussi l’État se trouve-t-il confronté à l’absence d’interlocuteur clairement identifié, et donc de tout contrôle sur le développement et l’organisation de l’islam au regard des grands principes républicains.

La loi de 1905 est-elle adaptée à l’islam? Le rapport pose alors la question suivante.

Claire et précise, en peu de mots, la loi de 1905 avait pour objectif d’affaiblir l’influence sociale de l’Église catholique à une époque où les penseurs laïques envisageaient la disparition progressive et proche des croyances religieuses, notamment en raison de l’accélération du progrès économique.

Elle visait également à mettre fin au régime sélectif des cultes pouvant bénéficier d’une consécration légale.

Or, nous constatons les limites de cette sécularisation et que se sont, au contraire, développées de nouvelles spiritualités jadis souvent considérées comme des mouvements sectaires (bouddhisme, mouvement pentecôtiste, etc.). Aussi ne faut-il pas confondre le recul de la pratique catholique avec un affaiblissement général des croyances religieuses.

Par ailleurs, la loi de 1905 n’a pas et n’a jamais eu vocation à supprimer la visibilité des religions dans l’espace public : le port de la soutane, par exemple, ne souffre d’aucune interdiction.

« Aucune religion ne se réduit à son culte ».
Emile Poulat (1920-2014), historien des religions, spécialiste de la laïcité
(interview exclusive/MeltingBook)

En ce sens, la difficulté d’adaptation à l’islam ne vient pas de ce que dit la loi, mais d’un ressenti : les croyants musulmans s’envisagent comme une minorité religieuse en terre « chrétienne ».

Ils ne sont certes pas les seuls. Mais l’adaptation du cadre laïc à l’islam est systématiquement débattue au gré d’affaires médiatiques et non de façon raisonnée. Car, si tel était le cas, nous nous apercevrions qu’il est plus facile pour tous les fidèles d’adapter les contingences de leur foi au cadre commun.

Cette absence de raison tient au fait que la France (et l’Europe en général) prend conscience de l’installation durable de l’islam sur son territoire…

S’agissant de l’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis de l’islam, celle-ci peut se décrire en trois phases.

En premier lieu, des années 60 aux années 90, l’État français délègue la gestion du culte musulman à des États étrangers désireux de maintenir des liens avec leurs ressortissants, qui assurent le service minimum en envoyant des imams.

La pratique religieuse demeure ainsi principalement un moyen de rester connecté au pays d’origine, tout en se révélant discrète, dans un souci de ne pas se faire remarquer.

C’est à partir des années 80 que l’islam joint le malaise identitaire des enfants d’immigrés musulmans nés en France, auquel s’ajoutent des difficultés pour les régimes autoritaires du Maghreb et du Moyen-Orient à contrôler les revendications islamistes en leur sein : la France comprend qu’elle ne peut plus se contenter de transférer hors de son sol la gestion de l’islam.

C’est à la même époque que s’affirme la ligue islamique mondiale, d’obédience wahhabite, par le financement d’une série de mosquées.

C’est cette troisième phase qui voit émerger le souci de l’État d’organiser l’islam de façon hiérarchique. Ce n’est qu’après un long et difficile cheminement qu’apparaît le Conseil de Réflexion sur l’Islam de France (CORIF) en 1988, puis le Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003.

Selon Terra Nova, nous assistons aujourd’hui à une nouvelle phase issue de la violence terroriste, qui pousse les responsables publics à repenser entièrement leur rapport avec l’islam.

Leur constat est sans appel : le culte musulman souffre d’un manque de normes et d’un manque d’acteurs : il n’y a pas suffisamment d’aumôneries, de charte commune de certification hallal ou d’imams formés en France.

Or, il s’agit moins pour l’État d’assurer l’organisation du culte que d’affirmer son autorité, faute de quoi les fidèles musulmans voient leur loyauté à la République sans cesse mise en doute, voire en déroute.

Le rapport de Terra Nova milite donc pour un engagement des Français musulmans en faveur du développement de leur culte, notamment financier, et un véritable effort d’organisation sur le modèle des autres religions.

Rappelons que le judaïsme, également très divers, s’est organisé en un Consistoire, qui ne représente certes pas tous les courants religieux, mais s’attache à représenter au mieux la communauté juive.

L’engagement des Français musulmans, parce qu’il est aussi un signe de confiance de la communauté nationale à leur égard, est une condition sine qua non à l’émancipation de l’islam de France.


Nilüfer Göle, sociologue spécialiste de l’islam européen

Ce rapport insiste bien évidemment aussi sur la nécessité d’un traitement égal des diverses religions, pour en finir avec la neutralité ambiguë de l’État français.

Cela nécessite la création, au même titre que Noël, de deux jours fériés correspondants à Kippour (fête juive) et l’Aïd El-Kebir (fête musulmane), ainsi qu’un réajustement des effectifs d’aumôniers musulmans entre les différentes aumôneries et la création d’une faculté de théologie musulmane à l’université de Strasbourg.

Jours de fête

Jours de fête de Jacqueline Lalouette (Ed. Tallandier)

Afin de permettre l’émergence d’imams formés en France et sensibilisés au cadre laïc, le rapport propose enfin de soutenir des formations civiles et civiques portant sur la laïcité et les religions, ouvertes aux imams, et donnant lieu à un diplôme reconnu par l’État.

De plus, outre un soutien plus appuyé aux centres de recherche à l’enseignement de l’arabe et de l’histoire du monde musulman, il convient de prendre en compte la dimension locale de l’organisation de l’islam et de favoriser la création d’associations destinées à aider au financement des lieux de culte.

En conclusion, si aucune des propositions formulées par ce texte n’est véritablement novatrice, en ce qu’elles ont déjà été exprimées auparavant, ces revendications en faveur d’un islam intégré et laïc ont le mérite du bon sens.

Le think tank Terra Nova s’est maladroitement fait connaître pour ses propositions en faveur d’un renouvellement de la stratégie électorale des partis de gauche, ouvertement favorable aux minorités et délaissant les classes populaires…

Or, entre les lignes, il est possible de constater que ce texte s’adresse aussi aux modestes classes moyennes musulmanes avec lesquelles il tente de réconcilier l’action des pouvoirs publics. En bref, il force à renouer une expertise conjointe entre question sociale et question ethnique…

Surtout, la volonté des auteurs de dépassionner le débat, en élaborant des règles et des outils partagés, devrait susciter un grand respect chez tous ceux qui souhaitent extraire l’islam de la propagande politique, qui se joue notamment sur les réseaux sociaux.

Il n’y a plus un jour où la religion musulmane ne fait l’actualité et n’est répercutée dans les médias par les candidats aux élections.

Le rapport de Terra Nova a donc vocation à mettre un terme aux polémiques stériles et nuisibles pour notre démocratie, tout en décomplexant l’action des pouvoirs publics vis-à-vis de l’islam.

Cette décrispation n’est pas de refus en ces temps de surenchère victimaire et/ou de stigmatisation des minorités.

Mehdi-Thomas Allal Maître de conférences à Sciences Po
Responsable du pôle « Vivre ensemble » pour le think tank Le jour d’après (JDA)

 

Raconter, analyser, avancer.

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