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De l’antisémitisme à l’islamophobie: l’ironie française

A Sisco, il n’y avait pas de burkini, il n’y avait pas de hachette, il n’y avait pas de harpon. L’esprit de Magritte y planait : ceci n’était pas une provocation islamique.

Mais il y a eu le cri de la horde  » arabi fora «  et il y a eu le dit emballement médiatique. Emballés en effet certains médias par ce fait divers : emballé, c’est pesé, diagnostic d’une provocation ostentatoire à l’aide d’un burkini allogène, fin de la partie.

Puis l’embrasement burkiniesque a enflammé toute les côtes, jusqu’à que le Conseil d’Etat vienne y mettre le holà. Jusqu’au ridicule international.

Et jusqu’à l’écœurement d’apprendre qu’un candidat à la présidentielle avait de façon peu ostensible appelé des maires de son parti pour les encourager à prendre des arrêtés anti-burkinis, Néron gaulois allant jouer ensuite de la lyre dans les médias.

Embrasez, embrasez, il en restera bien quelque chose. Des cendres peut-être, celles du tissu social français.

Posons une hypothèse, une simple hypothèse : et si l’islamophobie actuelle était une réactivation de l’antisémitisme ?

Une formulation de délires, obsessions anciennes mais avec pour seule différence, le repoussoir qui unit dans la détestation, l’Autre contre lequel «  on s’aime de haïr ensemble « , selon le mot d’Albert Cohen, ou pour emprunter au lexique religieux le «  bouc-émissaire « .

L’Arabe (pardon le Musulman), au lieu du Juif donc. Une redite du sacrifice dit d’Abraham, où le fils ligaturé Isaac, aurait été remplacé, non par un mouton (dans la baignoire ou pas), mais par Yishmaël.

Des jumeaux inversés

Cette hypothèse, qui n’a rien de nouveau, s’est d’abord murmurée, et s’énonce désormais de plus en plus clairement et fortement. Que ce soit par la voix de l’historien israélien Shlomo Sand qui pose que désormais en France, » l’islamophobie a remplacé la judéophobie « .

Ou encore par celle d’Emmanuel Todd, habitué au rôle de Cassandre et qui ne cesse depuis son livre coup d’éclat «  Qui est Charlie «  d’alerter sur un constat : «  Le développement de n’importe quelle passion religieuse ou antireligieuse aboutira au développement de toutes les passions antireligieuses. Toute croissance de l’islamophobie va mener à plus d’antisémitisme « .

Ce quasi axiome avait alors valu à son auteur une volée de bois vert administrée de toute part, des médias au Premier ministre Manuel Valls.

Qu’avait-il dit donc, Emmanuel Todd, pour déclencher une telle désapprobation ? A quel sacré séculier avait-il touché pour que tous les gardiens du Temple républicains en frémissent d’horreur ?

Alors, dans un contexte de crise économique, de valeurs et religieuse, l’islamophobie serait-elle la continuation de vieux réflexes français par les mêmes moyens : les mêmes mots, les mêmes peurs, mais pas les mêmes cibles ?

Certes comparaison n’est pas raison, et d’aucuns lèveront sans doute les yeux au ciel (républicain ou historique) en invoquant le tragique de l’histoire, celle qui fit 6 millions de morts, évaporés dans l’ultime brasier du nazisme.

Mais avant ce brasier, n’a-t-il pas fallu des incendiaires, les mots avant les coups, une préparation lente mais sûre qui s’est faite à coup d’imprécations, d’anathèmes contre les Juifs d’Europe ? Dans une Europe post-Auschwitz posant désormais le tabou absolu de l’antisémitisme d’Etat, l’islamophobie est-elle devenue le seul racisme acceptable, pour reprendre l’expression de Saïd Bouamama ?

Et tout comme l’antisémitisme a pu être qualifié de  » socialisme des imbéciles « , moyen aisé d’attiser puis canaliser haine et peurs, l’islamophobie est-elle devenue   » l’Etat-providence des idiots  » ?  » Dieu boiteux « , selon la formule de Hobbes, l’Etat est en effet rendu encore plus claudiquant par une mondialisation, une Europe aussi, qui diluent sa fonction première de protection des citoyens.

Plus encore, son rôle de créateur des principales normes économiques, sociales est aussi sensiblement grignoté.

Dès lors, Le délire islamophobe de certains hommes politiques ne traduit-il pas leur impuissance au final, et le désir perdu de le cacher ? Ne reste-t-il donc à ces politiciens, pour faire «  œuvre «  de politique qu’à gérer la longueur du voile ou la tenue adéquate pour se baigner.

L’obsession de l’islam comme aveux d’impuissance de la chose publique, la Res publica, la République donc. Et l’obsession de l’Islam est-elle pour les hommes politiques l’ultime moyen de «  faire peuple « , alors que leur discours est de moins en moins audible, compréhensible par l’électeur ?

Prenez cette remarque de Durkheim, «  L’antisémitisme est la conséquence et le symptôme d’un état de malaise social « . Ne sonne-t-elle pas aussi juste si on remplaçait simplement antisémitisme par islamophobie ? Et puis cette remarque aussi d’Adorno, « L’antisémitisme, c’ est la rumeur qui court à propos des juifs « .

A quoi assistons-nous désormais sinon à une multiplication des rumeurs sur les musulmans de France: Burkini introuvable à Sisco, bataille rangée autour d’un short inexistant à Toulon, autour d’un bikini à Reims si petit qu’il en était de fait invisible, interdiction par arrêtés municipaux de chichah, de Kebabs, de linges au balcon, d’ouvertures de commerce après 22h, de menus de substitutions, de youyou et klaxons dans un mariage…(liste à compléter).

Mots d’antan, maux d’aujourd’hui

Alors observons les mots d’antan et ceux d’aujourd’hui, regardons-les avec minutie pour noter leur étrange résonnance, comme s’ils se parlaient à plus de 80 ans de distance.

Ces mots des années 30 qui accusaient le Juif, dans un antisémitisme bien républicain, de tout et de rien, et ceux actuels qui accusent le Musulman, de rien et de tout.

Car si l’histoire, selon Marx citant Hegel, se produit deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce, on peut vraiment douter qu’on rira beaucoup.

D’abord posons le cadre, celui d’un pessimisme ambiant, d’un déclinisme crépusculaire qui suinte de tous les succès en librairie, de Zemmour à Houellebecq, en passant par Richard Millet.

Spengler ou Toynbee s’y étaient essayé avec succès et avaient tenté de démontrer que les civilisations, comme un être organique, naissent, vivent et finissent par mourir.

Seulement, voilà, elles déclinent avant de mourir. Actuellement, en France, ce déclin prend l’aspect d’un dangereux pourrissement, et commence, comme pour le poisson, par la tête. Par l’intellectuel donc, l’organique, celui qui «  sait «  forcément.

Pensent-ils vraiment ces auteurs que leur pessimisme porté en bandoulière sur tous les plateaux, vision glauque d’un présent qui leur échappe et qui participe peut-être plus d’une mélancolie personnelle que d’une réalité clairement jaugée, pensent-ils donc vraiment qu’ils sont si clairvoyants?

Honneur donc à Hannah Arendt : «  leur philosophie du pessimisme et leur délectation devant un monde condamné furent les premiers signes de l’effondrement imminent de l’intelligentsia européenne «  (les origines de l’antisémitisme, p 356).

La philosophe allemande fustigeait ainsi (déjà) certains écrivains (Daudet fils, Maurras, Barrès…) précurseurs et accompagnateurs de l’antisémitisme d’Etat. Pessimisme proactif, procréatif, auto-réalisé dans un assemblage de mots assenés plutôt que démontrés.

Les fameux  » c’est évident «  » c’est comme ça «  d’Éric Zemmour en guise de preuve à chaque questionnement de ces affirmations en est une illustration presque caricaturale.

Et puis cette fameuse civilisation prétendument « judéo-chrétienne » convoquée pour exclure le non Juif, et le non Chrétien, donc en priorité le Musulman, pense-t-elle sérieusement Nadine Morano que d’autres avant elles n’ont pas eu recours à cette grosse ficelle pendante ?

Sauf que sous la Troisième République, on ne disait pas «  judéo-chrétienne « , puisque pardi, il fallait exclure les Juifs du corps national, mais  » gallo-romain « .

Quand Nadine Morano énonce «  Nous sommes un pays judéo-chrétien « , Xavier Vallat, vice-président du groupe parlementaire de la Fédération républicaine, déclarait, quant à lui, lors de l’arrivée de Léon Blum au pouvoir:  » Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un Juif « .

Voilà pour le petit rappel historique. Et quand Shlomo Sand constate, avec ironie, que «  [ses] grand-père et ma grand-mère, gazés en Pologne, ignoraient qu’ils vivaient dans une civilisation judéo-chrétienne. Quand j’entends ce concept, je suis effrayé et en colère car c’est une négation totale de l’Histoire « , il rappelle simplement le passé judéophobe de l’Europe très chrétienne.

Mais quoi de commun avec l’antisémitisme en France ? Autant qu’il y en a entre  » Saint « –Louis qui imposa la rouelle distinctive aux Juifs et Vichy qui leur imposa l’étoile jaune.

Sauf que là où l’antisémitisme avait l’obsession que le Juif soit clairement distingué, reconnaissable par des signes distinctifs, l’islamophobie s’obstine à vouloir effacer les signes distinctifs du Musulman.

Ce qu’il y a en commun est la désignation constante, le marquage par la distinction pour l’un et par l’effacement pour l’autre. Lors du quatrième Concile de Latran au 13eme siècle, Juifs et  » Sarrazins «  furent toutefois «  unis «  dans la même désignation et détestation par l’Eglise catholique qui leur imposa le port de signes ostentatoires afin d’éviter « un degré de confusion » avec les chrétiens.

Justement parlons-en des signes distinctifs dans l’espace public moderne. Evidemment on n’interdit pas les Musulmans dans cet espace public ; trop voyant comme mesure.

Mais on impulse l’effacement de ce qu’on pense être leurs «  caractéristiques «  (vêtements, nourriture, habitudes), on aseptise l’espace public, le neutralise. Tendrait-on vers une zone de «  muslimfrei «  ?

Oui évidemment, ces mesures juridiques coercitives ne sont pas le fait que de l’Etat mais aussi d’édiles municipaux. Mais de microdécisions en arrêtés circonscrits géographiquement à une commune, se crée quand même un ordre juridique de l’effacement au maillage de plus en plus serré.

De Maurras à Zemmour, retournement du racisme

Et puis ces mêmes accusations de duplicité contre les Juifs et désormais contre les Musulmans. Est-il bien utile de revenir à la littérature antisémite nauséabonde?

Cette obsession du Juif qui se cache, qui cache ses appétits de conquête, de pouvoir, de domination, de la cinquième colonne juive, qu’elle soit au service de la Prusse, de la Russie soviétique, du Capital ou des Francs-Maçons, au gré des délires des uns et des guerres des autres.

Rappelons-nous la terrible phrase de Barrès au moment de l’affaire Dreyfus : «  Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race « .

Comment tout cela est-il réactivé et dit autrement, avec les mots policés de l’islamophobie ? Par référence à la Taqiya par exemple, cette prétendue invitation à la dissimulation contenue dans le Coran qui autoriserait le musulman à taire sa religion.

De principe protecteur pour le Musulman ne vivant pas en terre d’Islam, la Taqiya est devenue la preuve pour certains de la duplicité intrinsèque des Musulmans.

Car c’est bien connu l’Arabe est fourbe ! Et le Juif avant lui, évidemment. Car, au plus fort de la paranoïa antisémite, n’est-ce as le Talmud qui était ainsi accusé d’encourager duplicité et dissimulation chez les Juifs de France ou d’Europe ?

Quoi encore pour ces jumeaux de la haine que sont l’antisémitisme et l’islamophobie. Tellement. Cette histoire de prénom aussi.

Éric Zemmour, encore lui, estimant récemment que «  donner un prénom qui n’est pas un prénom français à ses enfants, c’est ne pas se détacher de l’islam. C’est vouloir continuer l’identité islamique en France « .

Se souvient-il, ou l’a-t-il jamais su, que Pierre Mendès France lors de son procès pour désertion en 1941 par la France vichyste fut ostensiblement appelé par son prénom hébraïque «  Isaac « , tout au long de ce jugement inique par la presse antisémite ?

Oublie-t-il que dans l’Allemagne nazie, les Juifs ayant un prénom d’origine « non- juive » devaient ajouter «  Israël «  et  » Sara » à leur identité ?

Encore une fois ces jumeaux inversés, antisémitisme ou islamophobie, souligner ou effacer le marqueur supposé d’identité, d’extranéité.

Mais continuons ce modeste tour d’horizon. Mettons ainsi en contraste quelques phrases : « Le juif trafique de toutes choses, et quand il n’a pas autre chose à vendre, il vend sa patrie « , le député Théodore DENIS, 1895.

«  La plupart des trafiquants sont noirs et arabes ! C’est comme ça, c’est un fait, ben si, ben si… », dixit Eric Zemmour.

Maurras : “ Notre antisémitisme d’État consiste à leur reprendre et à leur interdire ce qu’ils ont pris de trop et en premier lieu, la nationalité française « . Puisse cette phrase éclairer les débats portant sur la déchéance de la nationalité dans une France post-attentats.

Exclusion par la distinction normative pour les Juifs, par l’effacement normatif pour les Musulmans, les jumeaux idéologiques que sont antisémitisme et islamophobie hantent l’inconscient français. Et si l’histoire se répète effectivement, ce n’est en rien une farce.

Hassina Mechaï

Raconter, analyser, avancer.

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