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Des sondages et des hommes

« 63 % des Français estiment que les musulmans mettent leurs croyances au-dessus des lois de la République ». Mercredi 28 septembre, le nouveau programme de M6, Dossier tabou, consacré à l’islam en France, débute avec ce chiffre. Une façon de donner une dimension factuelle au sujet, présenté par Bernard de la Villardière.

Selon un sondage M6 Harris interactive, présenté en ouverture de Dossier tabou diffusé le 28 septembre dernier,  » 63% des Français estiment que les musulmans mettent leurs croyances au-dessus des lois de la République « .

Or, nous n’avons pas retrouvé de trace d’un sondage M6 Harris interactive sur l’islam, ce qui peut tout à fait correspondre à une commande privée, en ce cas non vérifiable. En revanche, il existe bien un sondage Harris interactive commandé pour l’émission «Place aux idées» sur LCP.

Cette étude, publiée le 16 avril 2013, intitulée «Le regard des Français sur la religion musulmane» montre non pas que « 63 % des Français considèrent que les musulmans mettent leurs croyances au-dessus de la République » mais que « 63 % des Français ne jugent pas que «La pratique de l’islam est compatible avec les lois de la République française». Autrement dit qu’ils ne sont pas d’accord avec cette affirmation.

La nuance est de taille car dans le premier cas on attribue aux Français ce qu’ils présument quand à ce que serait une intention des musulmans, présomption par définition non fondée sur des faits. Dans le second cas, on donne son opinion personnelle selon sa propre vision du sujet.

Précisons que le même sondage stipule que « 33 % des Français reconnaissent ne pas connaître ou connaître peu l’islam », ce qui donne une idée du niveau de fragilité, sur le fond, du jugement d’opinion émis par les sondés.

1/3 des musulmanes porteraient le voile

Ce chiffre existe bien et il émane de l’étude de l’Institut Montaigne d’après un sondage Ifop. Sauf que l’enquête a fait l’objet de nombreuses critiques sur sa méthodologie. Dans un article publié par Le Monde, le socio-démographe de l’Ined, co-auteur d’une vaste enquête démographique intitulée Trajectoires et Origines, regrette l’absence du questionnaire (de l’étude de l’institut Montaigne, ndlr) et la pauvreté des annexes.

« Contrairement à ce qui est annoncé, il n’est pas possible de retrouver la façon dont les typologies ont été construites, ni de reproduire les résultats pour en vérifier la solidité (…) Les questions qui sont évoquées se montrent très hétérogènes. Leur formulation ambiguë conduit à différentes interprétations », poursuit-il.

Une amplification chiffrée de la pratique du port du voile n’est donc pas à exclure dans ce contexte, d’autant qu’un sondage est insuffisant pour déterminer des statistiques structurelles que seule une enquête approfondie, accomplie sur plusieurs mois ou années, peut fournir.

2000 femmes porteraient le niqab en France

Sur le niqab, Dossier Tabou évoque le chiffre de 2000 femmes le portant en France. Il n’existe pas de source publique confirmant cette donnée qui reste, au demeurant, statistiquement insignifiante rapportée aux 4 ou 5 millions de musulmans en France (0,05 % !).

La seule source est un article du Figaro qui mentionne une note confidentielle du ministère de l’Intérieur sur les réseaux salafistes, note inaccessible.

Il cite également le chiffre de 24 % qui correspond au pourcentage de musulmans qui seraient favorables au port du niqab.

L’émission omet cependant de préciser que 10 de ces 24 % n’y sont pas favorables mais n’y sont pas opposés, ce qui est différent, si l’on se rattache au respect du choix individuel.

«63 % des Français opposés au port du voile ou du foulard pour les musulmanes qui le souhaitent»

Cet autre chiffre est tiré d’un sondage Ifop publié en avril 2016 pour le Figaro. Il montre le niveau de résistance de la pratique du voile dans la société française quel que soit le sens que lui prêtent les femmes qui le porte.

Il faut néanmoins souligner que ce chiffre est stable depuis quatre ans, alors qu’il était passé de 59% à 63 % entre décembre 2010 et octobre 2012.

«32 % des musulmans considèrent que la loi islamique est au-dessus de la loi de la République»

Ce chiffre est un vrai mystère. Annoncé comme l’un des chiffres produit par l’enquête d’opinion d’Ipsos-Institut Montaigne, il ne figure pourtant pas dans l’étude !

Le seul chiffre qui s’en rapproche est celui de 28 % mais il ne désigne pas les musulmans qui considéreraient que la loi islamique serait au-dessus de la loi de la République mais les musulmans dont les valeurs seraient opposées aux valeurs de la République.

La seule source accréditant ce chiffre de 32 % est une infographie du JDD qui ne précise pas en légende la source des informations publiées. Signe du flou manifeste de ce chiffre, Le Figaro parle lui… de 29 % !

20 à 30 % du financement de l’islam provient de l’étranger

Pourcentage qui serait déduit d’un chiffre présent dans le rapport d’étude sénatorial sur l’islam publié  en juin 2016. Le rapport ne mentionne pas à proprement parler un financement étranger à hauteur de 20 à 30 %.

Que dit le rapport? « Il ressort de l’ensemble des auditions et des déplacements de votre mission d’information que la communauté musulmane française finance ses lieux de culte principalement sur ses propres ressources, à travers les dons des fidèles (…)

A cet égard, le financement du culte musulman se rapproche de celui des autres cultes, notamment du culte catholique, qui provient à 80 % des dons des fidèles (…) Le rôle des États étrangers dans le financement de la construction et l’entretien des mosquées est marginal par rapport au financement par la communauté elle-même

Si 80 % des montants viennent des fidèles, le reste provient en partie de subventions octroyées aux associations loi 1901 qui fournissent aussi des services culturelles (enseignement de la langue arabe, cours de civilisation islamique, soutien scolaire) mais aussi bien évidemment de financements étrangers ».

Le rapport mentionne le montant de 12 millions d’euros versés annuellement par le Maroc (6 millions), l’Arabie saoudite (4 millions) et l’Algérie (2 millions).

Rapportée à l’ensemble de la communauté musulmane (estimée entre 4 et 5 millions de fidèles), il s’agit d’une somme modique, soit deux à trois euros par fidèle et par année.

Une palette de chiffres, des sources invérifiables et des fantasmes largement nourris. Dossier tabou, diffusé le 28 septembre dernier sur M6, illustre bien le positionnement de la presse sensationnaliste.

L’islam a rejoint au panthéon des sujets trash, la prostitution ou plus globalement l’économie parallèle. Et si les Franco-musulmans et le vivre-ensemble pâtissent de cette approche peu rigoureuse, ce genre de méthode pose la question du rôle des médias, garant eux aussi de la démocratie. Dans le climat actuel, la responsabilité de M6 est dorénavant engagée.

Fouad Bahri

Raconter, analyser, avancer.

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