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Face aux énormités d’Éric Zemmour, il faut lire le fact-checking de Laurent Joly

[#Médias]

Énormités. Éric Zemmour sévit au micro de France Culture, avec le crédit de ceux qui le lui tendent. Mise au point salutaire par Laurent Joly, historien, directeur de recherche au CNRS, auteur de « L’Etat contre les Juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944) » (Ed. Grasset). 

 

Petite liste (non exhaustive) des énormités proférées par Éric Zemmour sur France Culture, le 17 novembre 2018.

Passons sur la honte qui consiste à avoir offert une tribune à un tel personnage sur une radio de service public dédiée au savoir et à la culture.

Passons aussi sur les confusions délibérées, les parallèles absurdes, les insultes (« Ça c’est du sous-Paxton »), le ton de cuistre hargneux (« Il faut se remettre tout ça dans le contexte quand même ») de l’invité vedette, qui font de cette émission un moment éprouvant – y compris pour celui qui en est l’instigateur (« La moutarde me monte au nez », « Vous foutez pas de moi », s’énerve Finkielkraut).

Passons enfin sur le dispositif de l’émission (il y aurait tant à dire).

Vidéo. Voir l’émission de Finkielkraut avec Zemmour :

 

Podcast. Écoutez la réponse de Laurent Joly sur France culture : 

Juste quelques faits :

  • Zemmour prétend qu’avant Paxton tous les historiens « disaient le contraire de lui ». En vérité, les historiens qui ont travaillé sur Vichy et les juifs à partir d’archives avant Paxton concluaient dans le même sens (les trois volumes de Joseph Billig sur le commissariat général aux Questions juives, parus entre 1955 et 1960, « La Grande Rafle du Vel d’Hiv » de Claude Lévy et Paul Tillard en 1967). Le mythe du « glaive et du bouclier » a été démoli avant Paxton par Billig, Henri Michel et Eberhard Jäckel.

 

  • Tous les historiens contemporains « sont aux ordres de Paxton », décrète Zemmour. En fait, depuis une vingtaine d’années, et la thèse de Barbara Lambauer sur Otto Abetz, l’œuvre fondatrice de Robert Paxton n’a cessé d’être critiquée, discutée, amendée. Moi-même, dans mon récent livre, j’exprime plusieurs désaccords d’interprétation – certains sur des points cruciaux (les origines du statut des juifs d’octobre 1940, le rôle de Bousquet). Mais c’est le propre de la discipline historique, qui n’est pas ce relativisme circulaire et idéologique qu’elle devient entre les mains d’un Zemmour.

 

  • Pétain aurait pleuré de rage le 11 novembre 1918 car il voulait poursuivre jusqu’à Berlin ; son livre de chevet était une étude sur Iéna. C’est une double légende. Voir la biographie, récente et très complète, de Bénédicte Vergez-Chaignon.

 

  • « 90 % » des résistants accourus à Londres en 1940 étaient de l’Action française ! Autre légende (et vieux cliché de l’extrême droite) colportée par Zemmour. En vérité, s’il y avait des maurrassiens et des camelots du roi à Londres (le cas de Daniel Cordier est devenu célèbre), ils ne formaient qu’un petit groupe au sein d’une population émigrée hétéroclite, dominée par les républicains (voir « La France Libre » de Jean-Louis Crémieux-Brilhac).

 

  • Vichy a persécuté les protestants, au même titre que les juifs et les francs-maçons ! Sans commentaire, si ce n’est qu’Alain Finkielkraut et Paul Thibaud (le contradicteur choisi pour discuter Zemmour) ont brodé sur le même thème, aiguillonnés par leur docte ignorance.

 

  • La presse collaborationniste de Paris n’avait pas de « mots assez durs » contre Pétain. C’est faux. Sauf exception, la presse collaborationniste ménageait le chef de l’État, trop populaire pour être attaqué frontalement, se focalisant sur Laval et ses ministres.

 

  • Les vainqueurs « ont le droit de vie et de mort » sur les populations occupées. Zemmour ignore visiblement la convention de La Haye (1907) et la convention d’armistice, qui ne permettaient pas tout… Et les Allemands le savaient. C’est pour cela qu’il leur fallait attirer Vichy dans le piège de la collaboration.

 

  • Zemmour annonce fièrement qu’il a eu entre les mains un document capital : les instructions données à la police parisienne à la veille de la rafle. Et, conclut-il de cet examen, c’est « exactement la même procédure que pour l’expulsion des étrangers irréguliers » !

On touche là ce que le révisionnisme zemmourien a de plus insupportable : relativiser la politique antijuive de l’été 1942 et l’entreprise nazie d’extermination des juifs. La République des années 1930 raflait-elle des milliers d’étrangers dont les enfants étaient Français et scolarisés ?

Les instructions données aux policiers qui procédaient au refoulement d’étrangers irréguliers précisaient-elles, dans le menu détail, les effets et ustensiles dont les intéressés devaient se munir avant leur départ ? Ces derniers étaient-ils refoulés dans des wagons à bestiaux ?

Le parallèle est évidemment absurde, indécent. Et, dans mes recherches sur les commissaires du Vel d’Hiv, je n’en ai trouvé qu’un, le très antisémite commissaire du 19e arrondissement, à oser un tel rapprochement : « L’opération m’est apparue alors comme l’exercice du droit d’expulsion d’individus étrangers ».

Tous – ou presque – avaient conscience qu’ils accomplissaient-là une besogne anormale et exceptionnelle.

  • Si, un « sondage » avait été organisé en 1942, « il n’est pas sûr que les Français auraient défendu le droit d’asile », avance Zemmour. A nouveau, il ignore les travaux des historiens (Serge Klarsfeld, Pierre Laborie, Jacques Semelin), qui ont montré que l’opinion a été majoritairement indignée par les opérations de l’été 1942, notamment en zone libre. Et à nouveau il relativise la politique Laval-Bousquet, choquante et transgressive aux yeux de la plupart des Français.

 

  • En 1943, le maréchal Pétain a refusé la dénaturalisation des juifs devenus français dans les années 1930.

En vérité, Vichy a signé en juin 1943 ce fameux décret de dénaturalisation. Mais les Allemands ont alors mis leur veto à sa publication au « Journal officiel », car ils craignaient que les juifs concernés leur échappent.

Mauvais calcul : un mois plus tard, le renversement de Mussolini est un tournant de la guerre ; Vichy fait machine arrière. Pétain n’a fait que valider une décision prise par Laval…
Je n’ai pris que dix exemples. Il y en aurait vingt autres.

Certains collègues assurent qu’il ne faut pas répondre à Zemmour.

Je crois pour ma part qu’il faut le faire. Bien sûr, c’est coûteux en temps. Cela demande du travail. Mais il n’est pas possible de laisser se propager des mensonges et des manipulations sans réagir. Comme disait Karl Marx, « ne pas réfuter une erreur, c’est encourager la malhonnêteté intellectuelle ».

 

Par Laurent Joly

Raconter, analyser, avancer.

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