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Hanane Karimi, « à contre-voix »


Engagée. Hanane Karimi est doctorante au laboratoire « Dynamiques européennes » de l’université de Strasbourg (Bas-Rhin) et spécialisée en éthique. Au delà de son expertise scientifique, elle fait figure de leader dans ce que l’on appelle le « féminisme musulman » en France.

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Elle participe à l’ouvrage collectif Voiles et préjugés, publié aux Editions MeltingBook. Porte-parole du collectif Les femmes dans la mosquée, elle instille de la complexité dans les questions liées aux femmes et à la religion. Avec un but : bouger les lignes.

Hanane Karimi n’a pas froid aux yeux. A 38 ans, cette chercheuse en sociologie, éthicienne, à l’université de Strasbourg est aussi un leader. Diplômée de l’université d’été du Yale Bioethics center, la jeune femme cumule de multiples compétences et diplômes.

Son bagage universitaire, son expertise scientifique et son engagement militant en font une consultante de premier plan, très sollicitée. Rien ne semble l’arrêter: elle décroche un contrat doctoral avec l’université de Strasbourg et défend son projet de thèse avec brio.

Son sujet de thèse? Les femmes musulmanes françaises et leur « agency » ou pouvoir d’agir. Pour elle, « les inégalités hommes/femmes sont, à tort, attribuées à la religion alors même que les arguments sont culturels comme dans la majorité des sociétés dans le monde ».

A qui appartient le féminisme?

Egalement porte-parole du mouvement Les femmes dans la mosquée, créé spontanément le 21 octobre 2013. « Ce collectif a été lancé lorsque la mosquée de Paris a décidé de délocaliser la salle de prières des femmes au sous-sol », rappelle t-elle.  Une décision interprétée comme un affront fait aux croyantes.

Et qui marque le début concret de son engagement en faveur du féminisme islamique. Si la formule est loin d’être acquise, tant en intra qu’en extra-communautaire, la jeune femme n’en démord pas.

« La ségrégation sexuelle dans certaines mosquées que j’ai fréquenté et les discours misogynes, ne m’ont jamais semblée religieusement valables », confie t-elle, sans ambages.


Elle qui déclare, en riant  « être née avec le sens de la justice et une préoccupation éthique pendant que d’autres naissent avec le sens artistique ou esthétique » est bien consciente de déranger.

Et après la polémique liée au salon du musulman déroulé à Pontoise, le 12 septembre 2015, elle se retrouve disons-le, à la croisée des attaques.

En finir avec les visions binaires

« Sur les réseaux sociaux, j’ai été attaquée à la fois par la fachosphère pour mon positionnement en faveur du voile et par certains hommes musulmans pour qui critiquer un salon dédié à la femme avec des prédicateurs littéralistes n’est pas possible… », constate t-elle.

Ecouter « Ne nous libérez, on s’en charge », documentaire de France Culture avec Hanane Karimi

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Crédits/Favianna Rodriguez


Un double combat qui pousse Hanane Karimi à « rester vigilante à la récupération islamophobe tout en conservant un avis critique sur les pratiques discriminantes en intra-communautaire », nuance t-elle. Mais comme la bêtise, la nuance est la chose la moins partagée en France doit-on croire.

D’ailleurs, quand une journaliste mainstream lui demande si dénoncer un tel salon est islamophobe, Hanane Karimi est claire. « Si le sexisme chez certains musulmans est plus intolérable que le sexisme chez les politiques, par exemple, alors oui on est dans du racisme ».

Implacablement logique. Et de rappeler qu’en France, « tout le monde a un avis sur la tenue des femmes (ndlr : et des musulmanes voilées). Le corps de la femme est politique est pas seulement chez les musulmans! ». Ramener les défenseurs des femmes à leurs propres contradictions donc.

Féminisme inclusif

Si cet exercice d’équilibriste, Hanane Karimi le réussit plutôt bien, c’est aussi que l’existence du féminisme musulman ne peut plus être balayé d’un revers de manche. Les choses se structurent sur le terrain.

« Le féminisme islamique n’a jamais été aussi audible qu’aujourd’hui. Même s’il reste minoritaire, il est légitime. La preuve, les leviers d’actions commencent à fonctionner.

C’est vrai que  la critique reste mal perçue, mais quand il y a des événements, on arrive à rendre les organisateurs plus vigilants dans l’élaboration d’un panel paritaire », affirme t-elle. Un constat encourageant pour cette optimiste de nature.

Un trait de caractère que la doctorante conjugue avec cette résilience qui lui permet de s’accrocher à ses objectifs. A 29 ans, les mots de son ex-belle mère teintés de regrets sur sa propre vie, sonnent comme un déclic.

Elle s’inscrit en licence de sciences sociales par correspondance. Son troisième enfant vient de voir le jour et avec lui ses ambitions refleurissent. A l’origine, Hanane voulait faire médecine. « Mais mon père ne voulait pas me voir quitter le foyer familial ».

Il changera d’avis l’année suivante. Hanane aussi. « J’y ai renoncé pour suivre des études de biotechnologies. Le monde cellulaire et moléculaire en plus de la blouse blanche et des pipettes me passionnaient », s’amuse t-elle.

Mais le voile vient compliquer ses plans. « J’y ai renoncé pour ne pas souffrir d’un conseil de disciplines qui me semblait injuste vu mon niveau ». De biotechnicienne, elle devient maman et épouse. « J’étais très amoureuse de mon ex mari et je me suis trouvée une vocation de maman ».

Mais la vie de housewife ne l’épanouit pas, de lectures en lectures-« je lisais beaucoup de romans historiques et des penseurs musulmans »– elle s’interroge sur l’histoire coloniale et ses conséquences sur les descendants d’ex-colonies.

« Pour pouvoir enquêter, je me suis inscrite en sociologie ». Un parcours académique construit au grès des étapes de la vie mais qui au final est bien celui d’une doctorante également monitrice de travaux dirigées et consultante.

Et si ses combats ne plaisent pas à tous, aux féministes « blanches », notamment, Hanane Karimi suit ses convictions. « Je refuse que d’une position de femme blanche, on me définisse. Je m’auto-définis moi-même ! ».

Un discours qui bouleverse les lignes tant les femmes voilées restent, selon elle, limitées à ce qu’elle arbore sur la tête et assimilées à des personnes « sans vie, sans idées, sans existence… ».

Nadia Henni-Moulaï

Raconter, analyser, avancer.

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