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Karim Amellal: « J’imagine ce que pourrait faire l’extrême droite à des gens comme nous »

Quinceanera DressesDix ans après “Cités à comparaître”, l’écrivain franco-algérien revient avec un deuxième roman, “Bleu Blanc Noir” (Ed. de l’Aube), qui dépeint une France exsangue, gouvernée par l’extrême droite arrivée démocratiquement au pouvoir.

Cet enseignant à Sciences-Po avait déjà publié un essai remarqué, “Discriminez-moi! Enquête sur nos inégalités” (2005).  Il persiste et signe : les jeunes issus de l’immigration ont le rôle à jouer dans l’histoire de France.

Quel est le point de départ du roman ?

Les débats autour de la déchéance de nationalité. Je voulais dénoncer la banalisation des idées populistes, y compris à gauche. Au départ, j’avais un autre titre en tête, les Années trente.

Cette période rappelle un moment peu glorieux, la montée des populismes, etc. Puis on a opté pour Bleu Blanc Noir, les couleurs du drapeau et le noir pour le fascisme.

Certains personnages politiques sont très reconnaissables, notamment Martin Luxembourg, Jean-Pierre Elenchon, François Cramoizy…

Effectivement, il y en a qui peuvent se reconnaître facilement et j’ai voulu qu’il en soit ainsi.

Certains sont un peu plus subtils, d’autres pas du tout… La question des noms est un vrai sujet. J’hésitais entre mettre les véritables identités, au risque d’être parfois en difficulté sur certains passages, ou utiliser des noms fictifs mais reconnaissables derrière un écran de fumée.

Je suis parfois assez virulent avec mes personnages, et certaines attaques peuvent être perçues comme ad hominem (adressées à la personne même, ndlr). J’ai choisi la deuxième option en me disant “poussons la fiction jusqu’au bout, après tout, c’est un roman, pas un essai ou un documentaire”. Evidemment, cela s’inspire de la réalité. C’est une galerie de personnages. Certains sont faux, d’autres un peu vrais mais je les atténue derrière la fiction…

Mais vos personnages tiennent des propos qu’on imagine réels, en tout cas proches de ce que ceux qu’ils représentent peuvent dire habituellement…

Oui et cela, en revanche, j’y tenais.

Aucun n’a tenu les propos précis qu’on retrouve dans le livre, mais je souhaitais qu’ils soient reconnaissables par leurs discours, leurs éléments de discours.

On identifie bien la teneur et la rhétorique des propos de Martin Luxembourg, alias François Hollande. Il en va de même avec Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls.

Karim Amellal, Grand angle/TV5 Monde
13/09/2016
 

Vous dites que c’est un roman de politique-fiction. Mais les pistes sont brouillées entre le réel et la fiction, comme le comportement du personnage de Valls qui est vraiment très proche de la réalité dès qu’il s’agit d’islam.

Je préfère le terme de roman d’anticipation. C’est de la fiction dans la mesure où des personnages sont reconnaissables par leurs discours, leurs noms ou encore leurs mimiques.

Et par la trame du livre également, la victoire de l’extrême droite et la manière dont elle met en œuvre son programme. Ce que j’ai voulu mettre en scène, c’est cette brume entre des éléments de sociologie qui sont là, comme la banalisation des idées d’extrême droite, et le comportement des personnages, y compris au sein des élites, et y compris au sein de la gauche.

Je prolonge des courbes qui existent, j’imagine par exemple ce que Manuel Valls pourrait dire le jour où il y a des enfants qui se font mitrailler dans une école. J’imagine ce que pourrait faire l’extrême droite à des gens comme nous, c’est-à-dire issus de l’immigration, le jour où elle aura le pouvoir.

Sur le même sujet sont déjà sortis une BD, “la Présidente”, de François Durpaire et Farid Boudjellal, et un autre roman de Michel Wieviorka, “le Séisme”. Est-ce une manière de dompter la peur que cela arrive ? De l’exorciser ?

Oui, c’est une inquiétude qui est commune à certains intellectuels et artistes qui sont plutôt à gauche ou issus de ce qu’on appelle les minorités. Et il y a aussi un aspect catharsis dans tout cela. Cela peut servir d’avertissement.

Il faut, avec des romans ou des films, alerter l’opinion publique sur un risque qui est devant nous et dont on se rapproche chaque jour. L’indifférence me sidère également. Depuis les émeutes de 2005, et cela s’est aggravé depuis, on banalise les idées du FN.

On parlait d’envoyer l’armée dans les quartiers populaires, de déporter des gens parce qu’on les soupçonne d’être des terroristes.

On parle de déporter des gens ! La circulaire Guéant pour les Roms, c’est déjà cela ! Mais cela ne suscite plus de réflexion, de débats, de controverses. Cette indifférence par rapport aux idées de l’extrême droite me rend dingue !

Mais le narrateur est aussi comme cela au départ, indifférent !

Oui, au début, il balaye tout cela d’un revers de main. C’est la peur de regarder la vérité en face. Mais il prend conscience au fur et à mesure de son erreur.

Ce que je pointe, c’est l’indifférence de la société française dans son ensemble. J’ai assisté à des conversations surréalistes avec des hauts fonctionnaires ou des hauts cadres qui t’expliquent que le principal danger aujourd’hui c’est l’islam, qu’une femme voilée, c’est l’ennemi de la République, que les cités devraient être rayées de la carte, etc.

Le narrateur est très virulent au sujet de la gauche, on aurait pu penser que sa cible serait plus à droite ? Est-ce que ce n’est pas finalement le Parti socialiste qui a le plus trahi les binationaux ?

Je suis plutôt de gauche et effectivement il y a nombreuses trahisons du PS et de la gauche en général et cela depuis presque trente ans : les récupérations, les instrumentalisations, la création d’un SOS Racisme par exemple.

La gauche en France se veut morale, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, en Angleterre. Elle donne des leçons : la droite, c’est le mal, les libéraux sont des mauvaises gens. Mais eux incarnent le parti du bien. Le parti qui porte les vraies valeurs de la République.

Propos recueillis par Nadia Hathroubi Saf Saf

BLEU BLANC NOIR Karim Amellal, Editions de l’Aube, 406 p, 23 €.

Photo/www.karimamellal.net

 

Raconter, analyser, avancer.

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