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Israël: « La Politique du Bulldozer »

Il est architecte, écrivain, rédacteur en chef du magazine The Funambulist, monteur et podcasteur basé à Paris et New York. Dans La Politique du Bulldozer (Collection Territoires, Éditions B2), Léopold Lambert théorise la ruine palestinienne comme projet israélien.

 

Histoire vraie. Ambiance terreur.

“Nous sommes le 23 juillet 2014, à Gaza, dans la maison du beau-père de l’auteur palestinien Atef Abou Saef où vivent désormais 14 personnes de la famille dans seulement 2 pièces. Une explosion terrifiante se fait soudain entendre. Personne ne peut s’habituer à la peur que la prochaine frappe plus près encore. ‘La pooooooorte !’crie Jaffa, la fille de 19 mois d’Abou Saef. En effet, personne n’a su lui expliquer l’horrible réalité du bruit terrorisant des explosions.” C’est ainsi que s’ouvre l’argumentaire La Politique du Bulldozer.

 

Ce livre constitue une brève exploration de 5 moments de ces 67 dernières années (ndlr: le livre a été publié en 2015). Il illustre la manière frappante dont l’armée israélienne n’a cessé (et ne cesse) de produire des ruines palestiniennes, selon une stratégie nette et précise contrastant d’autant avec le chaos des débris créés.

Contrôle vs émancipation des corps

 

L’architecte Léopold Lambert y décortique la politique du gouvernement israélien. Un projet : celui de « la ruine palestinienne ». Au travers d’exemples bien précis et d’une approche architecturale, il montre comment l’ensemble des interventions menées en Palestine par l’armée israélienne suit en réalité un processus méthodique de ruination.

 

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Son approche est avant tout celle d’un professionnel de l’architecture, du bâti. Il reconnaît que la discipline, qu’il aime pourtant, comporte un certain nombre de caractéristiques la rendant à même de matérialiser des dispositifs spatiaux de contrôle militarisés, mais aussi de procurer des conditions d’émancipation pour les corps qui s’y trouvent.

 

La manière dont le gouvernement israélien et son armée se servent de l’architecture comme arme d’occupation à Jérusalem et en Cisjordanie et à Gaza est particulièrement révélatrice du pouvoir dont dispose l’architecture pour contrôler les corps.

 

Checkpoints, murs, routes, délimitation des terres, explosions, bulldozer D9… Tout est pensé afin d’utiliser l’architecture comme outil de stratégie militaire ou quasi-carcérale. Il s’agit bien là de cloisonner les espaces et répartir les corps de chaque côté.

 

« L’idée de penser la ruine comme processus production paradoxalement constructiviste n’est pour autant pas neuve », rappelle l’auteur.

 

Un exemple : lors de la Commune de Paris en 1871. La démolition d’un certain nombre d’architecture des deux empires napoléoniens a été le moyen de repenser la ville selon ses propres manifestes politique.

 

Evolution of the “No-Go Zone” during the 2014 siege on Gaza / Map by Léopold Lambert (2014).

Evolution of the “No-Go Zone” during the 2014 siege on Gaza / Map by Léopold Lambert (2014).

 

Ariel Sharon surnommé « le bulldozer »

Cet ouvrage s’attache à décrire la manière dont les ruines palestiniennes sont produites voir complètement annihilées. Au coeur de cette oeuvre de “ruination” : un instrument principal le bulldozer D9 Caterpillar.

Schéma du bulldozer D9, extrait de la La Politique du Bulldozer (Collection Territoires, Éditions B2), Léopold Lambert.

Schéma du bulldozer D9, extrait de la La Politique du Bulldozer (Collection Territoires, Éditions B2), par Léopold Lambert.

Surnommée par les soldats israéliens : “la Faucheuse”, cette machine destruction a été particulièrement utilisée durant la 2e Intifada en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pour sectionner l’infrastructure palestinienne (routes, alimentation en eau et égouts) sous prétexte de délimiter le terrain.

 

Cette affirmation a aisément été discréditée par Human Rights Watch, en 2004. L’organisation a bien entendu faire remarquer que la lame était située à l’arrière du véhicule et ne pouvait donc pas délimiter un terrain sur lequel le bulldozer était lui-même passer.

Logique de punition collective

 

Au centre de ce processus une logique d’application de la punition collective. C’est évidemment le cas dans les bombardements de Gaza, mais également dans d’autres opérations de police à Jérusalem. Plusieurs quartiers palestiniens occupés de l’Est de la ville, scène de manifestation. Des camions y sont envoyés pour projeter sur les murs le “Skunk” : une solution chimique pestilentielle.

 

Ici, ce n’est pas la structure des habitations qui est visée. Mais cette sanction collective s’apparente à “des procédés d’habitude réservés à des cohortes d’espèces animales nocives tels que les rats où les insectes”, souligne l’auteur. Son but ultime ? Faire fuir ces espèces de leurs habitats en rendant toxique l’atmosphère respirable. Elle présente l’avantage de son invisibilité au contraire de la démolition effective du même habitat.

90 tonnes de béton coulé dans la maison

 

Une autre méthode de ruination utilisée par la police de Jérusalem est illustrée dans un rapport de Jacob Burns pour Amnesty International.

Après l’attaque d’une synagogue, en novembre 2004, qui tue six israéliens, la police a démoli la maison de l’un de ces auteurs, laissant sa femme et ses trois enfants sans foyer. L’autre responsable de cette attaque vivait chez son grand-père également à Jérusalem-Est.

Dans son cas, les policiers israéliens utilisent une autre technique en coulant 90 tonnes de béton dans les pièces au sein desquels celui-ci vivait ne laissant qu’environ un mètre entre le béton et le plafond de chaque pièce. « À la vue des photographies prises par Burns, nous pourrions croire qu’il s’agit d’une œuvre d’art à la manière de Rachel Whiteread ou de Gianni Pettena (Clay House), » relève l’auteur.

La maison ne tarda pas à s’effondrer dans la ravine adjacente sous le poids du béton ainsi coulé.

“Le processus de rumination est d’abord dissimuler puisque contenu à l’intérieur de l’habitation (à l’exception de la fenêtre brisée pour couler le béton) et son aspect spectaculaire et laisser à plus tard après le retrait le propriétaire est ainsi face au dilemme d’évacuer sa maison avant que celle-ci ne s’écroule ou bien de risquer sa vie à continuer en y restant.”

 

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Ruination stratégique du bâti palestinien

“La ruine contient en elle-même le récit de son existence passée ainsi que celui des forces qui l’ont partiellement démolie,” explique l’auteur.

 

Aussi à l’inverse l’absence de ruines peut également s’avérer l’incarnation manifeste d’une politique particulièrement radicale. C’est le cas, par exemple, des destructions d’artefacts et de ruines antiques, par le groupe armé Daech, en 2005 en Irak et en Syrie et mausolée de Tombouctou en 2012.

 

 

Cet argumentaire ne remet en rien en cause la légitimité d’une présence juive  (à l’instar de la grande majorité de la population palestinienne) ou de tout autre présence en Palestine.

 

Ariel Sharon, “le Bulldozer”

 

Bien que n’étant pas architecte à proprement parler, Ariel Sharon surnommé “le Bulldozer” montre bien la convergence de la production militaire architecturale et politique. Les gravats chaotiques de la ruine, de même que leur absence, questionne les événements passés, et théoriser la ruine palestinienne comme projet israélien.

Political Cartography of Rafah / Map by Léopold Lambert (2015)

Political Cartography of Rafah / Map by Léopold Lambert (2015)

Léopold Lambert montre l’opposition binaire destruction/construction. Elle amène à penser les deux dans leur production de forcer de mécanismes de pouvoir :

 

“Il n’est pas innocent que le bulldozer soit à la fois utilisé comme armement militaire et comme véhicule de chantier sa capacité à transformer radicalement son environnement constitue la qualité rechercher dans cet outil par les militaires comme par les architectes.”

 

En toile de fond de cette analyse, un message aussi. Celle de la nécessité de détruire les conditions de l’apartheid en Palestine pour (enfin) réussir à bâtir (un jour) un nouvel ordre fondé sur l’égalité des droits pour toutes et tous.

 

Il ne passera que par l’abolition d’un régime d’apartheid colonial, qui caractérise aujourd’hui, la coexistence des populations de Palestine, rappelle l’auteur. Et ne peut se construire que sur la base du droit, pour environ 5 millions de Palestiniens, de pouvoir revenir sur leurs terres ou celle de leur famille.

Sarah Hamdi

 

En savoir plus : 

Léopold Lambert est un architecte basé à Paris et le rédacteur en chef de The Funambulist.

Lambert-LeopoldDepuis 2007, il tente de poser des questions autour de la politique de l’environnement bâti par rapport aux corps.

Il est l’auteur de Architecture Imposée: L’Impossibilité de l’Innocence  (dpr-barcelona, 2012), Topie Impitoyable : La Politique Corporelle du Tissu, du Mur et de la Rue (punctum, 2016) et La Politique du Bulldozer: La ruine palestinienne comme projet israélien  (B2, 2016).

SITE WEB :
– http://leopoldlambert.net

Raconter, analyser, avancer.

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