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« L’éducation aux médias sociaux est un levier dans la lutte contre la radicalisation violente »

Hasna Hussein, sociologue, travaille sur la question de la propagande des groupes djihadistes, particulièrement Daesh. Elle analyse toutes sortes de productions médiatiques- audios, vidéos et images de propagande, textes, revues numériques, chants djihadistes ou anasheed- en trois langues –arabe français et anglais- pour essayer de déconstruire l’imaginaire véhiculée par cette idéologie. INTERVIEW.

Sarah Hamdi : Quelles sont les stratégies de recrutement via le numérique mises en place par Daesh ?

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Hasna Hussein

Hasna Hussein : Sur la base de mon travail de recherche que je mène depuis plus de 2 ans sur la question de la propagande en 3 langues, arabe français et anglais, j’ai pu repérer plusieurs stratégies de recrutement notamment par le numérique par les groupes djihadistes violents.

D’abord, ces stratégies se caractérisent par un niveau de professionnalisme assez important. Elles se basent sur des techniques de manipulations courantes et véhiculent un discours qui répondent aux besoins et aux attentes des jeunes et des adultes d’aujourd’hui afin d’assurer une adhésion.

Contrairement à ce qu’on peut imaginer –que ce sont assez souvent des vidéos bricoler à partir d’images et de séquences de video games– non, c’est beaucoup plus compliqué que cela.

On voit dans les effets spéciaux utilisés, la qualité d’image, l’esthétique, le cadrage et même le discours, qu’on est vraiment face à un arsenal médiatique bien construit.

Et cela ne doit pas nous étonner puisqu’on sait que cette idéologie-là attire, et attire du monde à l’échelle internationale, si on se base sur les statistiques des personnes signalées comme radicalisées ou en voie de radicalisation, publiées en février 2017, par l’unité de coordination et de lutte anti-terroriste UCLAT.

ÉCOUTEZ LE PODCAST DE CET ENTRETIEN :

 

S.H. : Dans leur communication, comment ces groupes extrémistes justifient-ils leur appel criminel et la violence auprès de leur public ?

H. H. : Les groupes djihadistes violents puisent dans des sources, notamment dans des textes religieux qui datent du Moyen-Âge parmi les plus extrémistes et violents afin de justifier le recours à la violence.

Cette « légitimation » par le religieux vise à assurer l’adhésion des sympathisants. Le discours radical violent utilise principalement des arguments d’autorité (Dieu, le prophète, “tel savant a dit” ou “a ordonné de”…) afin de neutraliser toute forme de doute ou de critique chez les cibles.

Pour situer le rôle du numérique dans ce phénomène : Internet vient tout simplement comme support pour circuler cette idéologie.

Le numérique n’invente pas l’idéologie, l’idéologie existe déjà. Le numérique ne fait que rendre cette idéologie plus accessible en lui assurant une visibilité à l’échelle internationale.

S.H. : Quels outils du numérique Daesh utilise-t-il pour rendre son discours attractif ?

H. H. : Il y a plusieurs dispositifs déployés par les groupes terroristes notamment les vidéos de propagande parce qu’on sait que c’est un outil qui très largement consommé par les jeunes et par les adultes.

Il y a aussi bien évidemment les images et les textes et un autre qui est central dans la stratégie de recrutement : le chant, appelé nachîds ou nasheeds (ndrl : en arabe نشيد ; au pluriel anachîd , أناشيد Ici, on parle, en particulier, des chants djihadiste).

Cette stratégie communicationnelle est ultra ciblée : à travers les vidéos, ils vont s’adresser aux jeunes et mineurs qui ne sont pas forcément à la recherche des arguments très bien construits. Les textes, notamment les magazines numériques s’adressent à un public qui demande plus d’arguments pour adhérer à cette idéologie-là.

L’objectif principal est d’attirer des sympathisants et d’assurer un niveau de recrutement.

S.H. : À combien estime-t-on ces contenus et leurs rythmes de publication ?

H.H. : On est face à une propagande qui est très toujours active malgré l’accentuation des frappes sur le territoire dudit califat. Le rythme varie selon les supports. Daesh publie de 2 à 3 vidéos de propagande chaque jour.

Le bulletin arabophone d’information hebdomadaire al-Naba (l’information, en arabe) continue à sortir chaque semaine alors que le magazine francophone Dar al islam a cessé de sortir après 10 numéros. Le magazine Rumiyah vient remplacer Dabiq la célèbre revue anglophone de l’État islamique.

Il y a aussi les chants djihadistes (anasheed, en arabe), c’est un outil qui est largement déployé par ces groupes. Il existe plusieurs centaines d’anasheed rien que pour Daesh. Ils sont produits en plusieurs langues (cette propagande est traduite en 32 langues).

S.H. : Que peut-on entendre dans ces chants ?

 

H.H. : Les anasheed de Daesh couvrent une variété de thématiques. La thématique centrale est autour de la notion de « jihad de conquête », tel qu’il est conçu par cette idéologie violente. Et non pas le jihad contre l’âme. Ces chants constituent un outil d’initiation au jihad principalement au moment de l’embrigadement et qui renforce l’adhésion à cette idéologie

On sait que la consommation de ce genre médiatique est très importante et peut atteindre parfois jusqu’à 8h par jour.


S.H. : Par quels canaux de communication ces groupes terroristes diffusent-ils leur propagande ?

 

H.H. : Cela passe souvent par les réseaux sociaux en tant qu’outils de diffusion et de communication pour les adhérents et les sympathisants des groupes djihadistes.

La stratégie communicationnelle des groupes djihadistes évoluent afin de s’adapter aux nouvelles situations.

Les groupes djihadistes contemporains tels que Daesh utilisent moins les sites djihadistes du fait qu’ils sont faciles à repérer. Ces groupes utilisent de plus en plus ce qu’on appelle le dark web ou le web invisible afin de contourner les mesures de contrôle et de sécurité.

Ces groupes développent aussi de nouvelles stratégies communicationnelles afin de contourner certaines mesures prises par les grandes sociétés du numérique comme Google, Facebook ou Twitter contre le discours de haine.

Ceci étant, internet demeure un espace presque incontrôlable ce qui complique la situation.

S.H. : Dans la stratégie de ces groupes terroristes, la dimension marketing est frappante. En quoi est-elle essentielle pour Daesh ?

 

H.H. : Nous sommes face à un phénomène qui s’inscrit dans la postmodernité.

La stratégie communicationnelle des groupes djihadistes violents se basent sur les techniques les plus contemporaines de marketing de propagande (logiques d’attraction et techniques de manipulation).

Le recours au numérique par ces groupes en est le meilleur exemple.

C’est pour cela qu’il est primordial de sensibiliser les jeunes d’autant plus que les parents au fonctionnement des nouveaux médias et aux conséquences parfois néfastes de certains usages des réseaux sociaux .

Il s’agit de travailler avec les jeunes sur l’importance de vérifier l’information et la manière de le faire (comment on détecte une fausse information ou fake news ou fake images), etc. sans pour autant les effrayer des réseaux sociaux ou d’Internet.

Car Internet n’est pas coupable de la radicalisation mais plutôt responsable du fait de son rôle dans la diffusion des idéologies radicales.

L’éducation aux médias sociaux constitue ainsi un levier important dans la lutte contre la radicalisation violente.

Il est aussi nécessaire de renforcer l’esprit critique chez les jeunes à travers des ateliers pratiques qui peuvent toucher de loin ou de près la question de la radicalisation violente.

Ce sont des principaux leviers qui s’inscrivent dans le cadre de la prévention des jeunes de toutes formes de radicalisation violente et de délinquance.

S.H. : Daesh semble sur une « pente de descendante” et essuie un certain affaiblissement. Avec « la chute » de Daesh, peut-on espérer un mieux concernant la radicalisation en France ?

 

H.H. : Je pense que la lutte ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Il est nécessaire de savoir que les idéologies violentes se nourrissent souvent de la peur et de la frustration.

Ces adhérents misent sur ces sentiments à travers un discours victimaire pour attirer des sympathisants. Les dernières vidéos de propagande de Daesh par exemple mobilisent largement des images de destruction des batailles de Mossoul et de Raqqa afin de renforcer son argument de « persécution ».

Propos recueillis par Sarah Hamdi




En savoir plus :

Depuis février 2016, Hasna Hussein a créé son carnet de recherche en ligne intitulé Contre-discours radical, sur la plate-forme académique Hypothèses.org.

Elle y publie la plupart de ses résultats et republie d’autres travaux de recherche sur la question de la radicalisation violente. Hasna Hussein participe aussi à la coordination un projet de recherche européen PRACTICIES sur la prévention de la radicalisation à l’Université de Toulouse 2 Jean Jaurès.

L’objectif principal de ce projet est la création d’un réseau à l’échelle européenne autour des questions de la radicalisation numérique, la production d’un discours alternatifs notamment à travers des outils pédagogiques numériques destinés aux jeunes dans le cadre de la prévention de la radicalisation menant à la violence.

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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