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Législatives UK. « On peut donner à la Gauche de bons résultats en se battant avec ses valeurs »

Philippe Marlière, politiste et professeur à l’Université Collège de Londres, revient sur les résultats des élections législatives en Grande-Bretagne. Un retournement pour Theresa May, tenante d’un « hard Brexit ». Et quelques leçons pour la situation politique en France.

MeltingBook : Theresa May vient de faire amende honorable auprès des députés conservateurs, affirmant avoir voulu « les sortir du pétrin ». Après sa défaite aux élections législatives, comment Theresa May peut-elle sauver la face ?

Philippe Marlière

Philippe Marlière

Philippe Marlière : La priorité est de trouver une majorité. Elle va probablement la trouver avec le parti unioniste de l’Irlande du Nord un ou deux sièges. L’autre chose qu’elle aura à gérer est le mécontentement à l’intérieur même du parti conservateur. Et pour deux qui restent, c’est très troublant. Elle avait mené toute sa campagne sur la base de la compétence de la force et de la stabilité. Elle avait présidentialisé l’élection. C’est le terme qui est revenu beaucoup en Grande-Bretagne.

Elle avait dit vouloir régler la sortie compliquée liée au Brexit. Elle s’est présentée comme une personne compétente, simple et forte. Et c’est moi par opposition au dirigeant de l’opposition, Jeremy Corbyn. On voit sur cette thématique n’a pas pris. Elle est justement apparue l’inverse de cela. Elle a manqué toutes ses interventions médiatiques. Elle a, dans certains cas, refusé des débats télévisés, ce qui est incroyable. Elle a mené une très mauvaise campagne et devra répondre aux critiques de son parti. Difficile pour elle de finir son mandat….

Sur les conservateurs, je suis très pessimiste sur la capacité de Theresa May à rester à la tête du parti. Elle est très affaiblie. Peut-être restera-t-elle le temps de faire « le sale boulot », c’est-à-dire, de négocier la sortie de l’Union européenne. Rappelons que personne ne veut le faire. Mais je ne la vois pas terminer ses cinq années de législature.

Les travaillistes, emmenés par Jeremy Corbyn, ont de leur côté créé la surprise…

P. M. : Concernant les travaillistes, on attendait une débâcle totale. Au contraire, ils ont fait une très bonne campagne, menée par Jeremy Corbyn. Il a évité la personnalisation en axant ses propositions sur les questions sociales et économiques, dont les services publics.

Par exemple, il a parlé de rationaliser certains services clés. Il a su toucher les électeurs grâce à des propositions populaires. Finalement, il a remobilisé autour de lui des électeurs traditionnels mais aussi les jeunes.

Son parti a même réussi à gagner des sièges dans le Sud de l’Angleterre sur des terrains plutôt conservateurs. Son parti a obtenu des sièges là où personne ne l’attendait. En parallèle, Jeremy Corbyn, tant moqué, est parvenu à mener une campagne simple, directe capable de parler des attentes des électeurs.

Jusqu’à maintenant, c’était un parti très désuni qui ne voulait pas de Jeremy Corbyn comme leader. A l’inverse des conservateurs, derrière Theresa May.

Après les résultats des élections, ce parti devrait s’unir davantage en rassemblant toutes les personnalités des travaillistes. Si elles se tenaient à l’écart jusqu’ici, il est probable de les voir rejoindre ce fameux « shadow cabinet ».

Si Corbyn n’est pas mauvais et qu’il parvient à unir ces tendances, le parti travailliste sera enfin une force d’opposition, ce qu’il n’était pas avant.

Vous expliquez que Theresa May a présidentialisé sa campagne. Son échec ne tient-il qu’à sa campagne ?

P. M. : Lorsqu’elle est arrivée dans les conditions particulières, il y a un an, elle a été élue au sein d’un vote interne des militants. Donc, sans être passée devant les électeurs.

Comme vous le savez, en Grande-Bretagne, le chef du parti élu devient Premier ministre si son parti gagne l’élection.

Au début, il y a eu un moment sympathique. Sur la forme, c’est une femme avec un profil sérieux, en apparence arrogante mais plutôt prudente. Ce n’est pas une figure à la Thatcher. Elle est plus sobre, plus effacé.

Or, pendant la campagne, elle a révélé une grande incertitude, pas très à l’aise avec les caméras, avec les électeurs. Tout cela a été perçu comme une forme de dédain, de distance.

Et il y a le fond…

P. M. : Oui. Sur le fond, cela fait sept ans que les conservateurs sont au pouvoir. Sept ans d’austérité très dure, de gel des salaires. Les services publics sont au bord de l’asphyxie et les Britanniques s’en rendent compte.

En quoi Theresa May a pâti de la question du Brexit pendant la campagne ?

P. M. : Le Brexit est l’autre point de l’échec de May. La sortie de l’UE, dont on nous avait dit, que la campagne des législatives serait l’occasion de débattre du fond, de clarifier cette question.

Mais au bout de cette campagne, personne n’en savait plus finalement des conditions de la sortie.

La raison est claire. Les négociations n’ont pas vraiment commencé avec Bruxelles. Il y a donc incertitude totale.

Tous ces doutes se sont donc projetés sur Theresa May…

P. M. : Sa personnalité est, aujourd’hui vue de manière moins positive. Sa ligne dure sur le Brexit et l’austérité de sa politique sont venues inquiéter le public. D’autant qu’elle était pour le maintien dans l’UE pendant la campagne référendaire. Mais depuis qu’elle est passée Premier ministre, elle a adopté une ligne dure sur le Brexit.

Les incertitudes, liées au maintien ou non de la Grande-Bretagne dans le marché unique, le débat sur l’immigration, ont clairement influé sur les législatives.

D’ailleurs, ceux qui préconisaient la sortie de l’UE pour mieux contrôler les flux migratoires reconnaissent aujourd’hui que ce n’est pas aussi simple que cela.

Les Britanniques ont-ils accepté cette sortie de l’UE ?

P. M. : Il y a davantage une résignation générale sur le fait que la Grande-Bretagne va sortir de l’UE plutôt qu’une joie collective. Les gens, du fait de l’incertitude, commencent à s’inquiéter du Brexit. Toutes ces raisons mises ensemble, la personnalité de Theresa May, la politique d’austérité, sa ligne très dure sur le Brexit expliquent les résultats des élections.

Au fur et à mesure, les conservateurs ont perdu du terrain tandis que les travaillistes ont gagné des électeurs.

La Grande-Bretagne peut-elle se passer de l’Europe ?

P. M. : C’est le pari fait par les conservateurs mais aussi UKIP qui s’est depuis effondré. Pour eux, la sortie de l’UE, c’était « reprendre notre indépendance économique et politique, notre souveraineté, gérer les flux migratoires ». Mais au plan des négociations, tout est en suspens.

Comment cela va-t-il se passer au plan économique surtout si les négociations se passent mal ?

P. M. : La Grande-Bretagne peut-elle se passer ou non des marchés européens ? Beaucoup d’experts économiques pensent qu’elle s’est tirée une balle dans le pied…

Et puis l’avenir de la City pose question. Il s’agit d’un poumon, non pas pour Londres, mais pour l’Angleterre. Certaines banques comptent déjà partir. On a promis des choses aux Britanniques, il y a un an. Mais peut-être que rien ne va se passer comme prévu…

Comment les récents attentats en Grande-Bretagne ont impacté la campagne ?

P. M. : Je ne dirais pas qu’ils ont influé sur le scrutin. Sinon, les conservateurs en auraient bénéficié. May, ex-ministre de l’Intérieur à poigne, a dit tout ce qu’elle pouvait dire. Elle a eu des mots très durs sur l’islamisme, créant des tensions avec les associations musulmanes.

À l’issue des attentats de Londres, elle a tenu des propos inquiétants parlant de prendre des mesures exceptionnelles sur les libertés publiques. Dès qu’un politique commence à s’aventurer sur ce terrain, c’est inquiétant.

Un peu comme la France a fait avec les perquisitions administratives, attentatoires aux libertés publiques. Il y a eu des abus qui sont passés à la trappe.

Elle a fait tout ce qu’elle pouvait. Jeremy Corbyn a répondu de manière convaincante en disant il faut combattre les terroristes mais pas à n’importe quel prix rappelant l’existence de lois. Surtout, il a souligné l’importance de lutter contre l’austérité.  Cette même austérité qui a conduit à la suppression de plusieurs milliers de postes de policiers.

Jeremy Corbyn a gagné en assumant son positionnement à Gauche. En France, la question du clivage a volé en éclats avec l’élection d’Emmanuel Macron, ni à gauche, ni à droite. Que disent ces deux scenarii, l’un anglais, l’autre français ?

P. M. : Je suis content que vous posiez cette excellente question. Dans un article sur le blog Médiapart, je montre, effectivement, que l’on peut donner à la Gauche de bons résultats en se battant avec ses valeurs (1).

À l’inverse d’une figure comme Jean-Luc Mélenchon, Jeremy Corbyn a gagné en prenant appui sur le grand parti social-démocrate européen, le Labour soutenu par les mouvements ouvriers.

Selon moi, le discours français relatif à la fin du clivage Droite/Gauche est une illusion. Nous sommes dans une transition, dans une phase de réalignement de champ politique.

De nouveaux partis émergent, on ne sait pas si le Parti Socialiste va perdurer ou pas. Il y a des périodes comme ça. Je ne crois pas que la Droite et la Gauche, ce soit fini.

La Gauche et la Droite, ce sont deux notions en France très utiles pour départager les camps. En Grande-Bretagne, les deux grands partis ont recueilli plus de 80% des voix. Ce n’est pas rien.

En France, il y a toujours eu plus de partis du fait du mode de scrutin. En Grande-Bretagne, le Labour c’est un regroupement de pleins de partis de Gauche… En France, on a un émiettement du fait du système électoral à deux tours.

Cette fin des clivages a pu prendre le temps d’une élection de désarroi après cinq années de parti socialiste qui a totalement désorienté son électorat.

Selon vous, la posture Macron n’est donc pas tenable…

P. M. : Nous en reparlerons d’ici quelque temps quand Macron redeviendra impopulaire du fait de ses mesures. Il y aura des repositionnements à Droite et à Gauche.

La position centriste pure de d’Emmanuel Macron volera en éclats. S’il prend des décisions trop néolibérales, il sera repoussé vers la droite. Il y a une espèce de respiration naturelle en politique. Les Britanniques le montrent même si leur histoire politique est différente.

En France, certains sont trop rapides à vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain sans vouloir construire quelque chose de pérenne et durable.

Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï

(1) À noter, en Grande-Bretagne, on parle de Labour/Tories pour désigner le clivage Gauche/Droite.

 

Raconter, analyser, avancer.

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