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Lionel Zinsou : « Non, la France n’est pas en retard en Afrique »

Ancien ministre de l’économie du Bénin, Lionel Zinsou a fondé Managing Partner de SouthBridge, société de conseil financier et stratégique dédiée au continent africain. S’il sera absent de la prochaine édition d’Ambitions Africa, qui se tiennent les 22 et 23 octobre prochains à Paris, il reste néanmoins convaincu du potentiel de la France sur le continent. 

Q: Paris accueille Ambitions Africa, organisées par Business France les 22 et 23 octobre 2018. Pourquoi un nouveau rendez-vous quelques semaines après les Rencontres Africa ? 

R: Ambitions Africa est un peu dans la lignée de ce que nous avons fait les années précédentes avec Africa France. Nous avions créé un premier forum avec une participation active de Business France alors qu’auparavant c’était plutôt les administrations centrales, le ministère des affaires étrangères qui s’en chargeaient.

C’est la même logique qui est celle de rencontres directes et de networking entre les entreprises, dans le même esprit de ce qu’on a initié il y a trois, quatre ans et qui nous semble donner pas mal de résultats si on en juge par la participation.

Il y a quand même un certain engouement de la part des deux parties, un besoin de prendre contact. En réalité, la première chose contre laquelle il faut lutter en matière de relations entre les pays, c’est l’ignorance du contexte.

L’ignorance des partenariats possibles, l’ignorance des besoins et de la demande des autres, ce sont donc des forums qui me paraissent très utiles et qui n’existaient pas systématiquement avant notre premier.

Q: Un Forum très appuyé par le président Macron lui-même et qui intervient donc dans un nouveau contexte. Lequel ?    

Il y a beaucoup de changements par rapport à la première rencontre. Les initiatives de ce type ont été prises par un sommet assez fondateur, celui de l’Elysée sur la paix la sécurité et le développement qui s’est tenu en décembre 2013.

C’était une volonté de François Hollande et des chefs d’états africains de mettre l’accent sur l’entreprise, les secteurs privés, les partenariats, un regard d’égal à égal, un petit peu comme si tout d’un coup on s’apercevait que le secteur privé était le vrai moteur du développement des deux côtés du monde.

Aujourd’hui, nous sommes cinq années plus tard, il y a eu pas mal de développement à cet égard mais surtout le contexte a changé. D’abord, la mobilisation est beaucoup plus forte sur le climat, sur les énergies renouvelables, sur l’agriculture soutenable.

Deuxièmement, la numérisation et le développement en commun d’activités numériques, ce sont des avancées considérables, quand on regarde les domaines des télécoms, un champ de coopération très active entre l’Afrique et la France. Regardez ce que fait le groupe Orange sur le continent, avec la multiplication des incubateurs, de start-up…

C’est une révolution numérique aussi en termes de digital banking, de transfert de fonds, de couplage micro-crédit-Télécom, de Fin Tech.

Il y a énormément d’applications qui viennent d’Afrique et qui contournent les relatives faiblesses des systèmes financiers traditionnels, cela change complètement. Il est important que les gens connaissent ces évolutions depuis 2015 et la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement.

Il y a beaucoup d’idées acceptées comme le développement des systèmes de garantie, la coopération entre financiers privés et la banque mondiale ou l’Agence Française de Développement, et donc les bailleurs de fonds, alors qu’avant, ces mondes s’ignoraient complètement.

Q: Il y a eu également de nombreuses variations, en terme de croissance pour un certain nombre de pays du continent mais aussi en France…

R: L’Afrique a dû faire face à une épreuve très difficile, la chute des cours des matières premières. Nous avons eu deux années entre 2015 et 2017, où l’on a assisté à une crise conjoncturelle dans plusieurs pays, et donc vous avez eu certaines locomotives comme le Nigéria, l’Angola, l’Egypte, l’Afrique du sud qui ont en particulièrement souffert. En revanche, nous avons vu émerger des pays dont l’économie est plus diversifiée comme la Cote d’Ivoire, le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya. L’évolution de la croissance, de la démographie… Beaucoup de facteurs qui contribuent au développement des entreprises sont assez nouveaux, c’est cela qui fait que chaque année, c’est un renouvellement intéressant.

Q: Vu le contexte actuel justement, selon vous, quelle sont les attentes, les objectifs des deux côtés ?   

R: Les entreprises ne vivent pas dans un monde clos, elles ont toujours besoin de quatre ou cinq contributeurs à leur croissance, des clients. Donc il s’agit clairement de connaître les demandes pour les produits et les services disponibles.

Le grand avantage c’est qu’au lieu d’aller organiser des visites dans 25 pays, vous les réunissez au même endroit et vous avez les 25 voire 40 pays à disposition. Il y a un côté forum comme les grandes foires médiévales qui ont été les premières formes de mondialisation.

La rencontre directe est plus que nécessaire d’autant plus qu’on a encore des préjugés sur nos économies. Certains peuvent voir l’économie française comme moins moderne et moins dynamique qu’elle n’ait vraiment.

Elle est devenue en matière d’innovation, de start-up, peut-être un des cinq pays les plus dynamiques au monde. Il y a eu énormément d’avancées, on a un gouvernement très tourné vers cela. Nous avons un président qui en a donné une priorité très frappante.

Côté africain, je pense qu’il est très important que les entreprises françaises ne restent pas en arrêt sur image sur une espèce d’Afrique qui a des besoins technologiques d’avant-hier. Elle a besoin de technologies, de service et de produits qui sont innovants. Mais pour cela il faut que les dépassent surmontent les préjugés et les ignorances.

Q: Est-ce qu’il n’y aurait pas aussi un retard à rattraper côté français, vis-à-vis de concurrents déjà bien implantés en Afrique ?

R: Il faut faire attention à bien observer la situation française. La France a des parts de marché qui ont baissé et c’est assez normal. C’est le cas de toute l’Europe et des Etats-Unis, cela est lié à l’apparition des grands pays émergents.

On ne pouvait pas dans les dix, vingt dernières années faire leur place à la Chine, l’Inde, la Turquie, la Malaisie, l’Afrique du sud, le Brésil et nous attendre à ce que ce soit les mêmes pourcentages qui soient maintenus par tout le monde.

Ces pays qui n’étaient rien à cette période, qui représentaient 3 ou 4% des besoins de l’Afrique en importation, on ne pouvait pas imaginer qu’ils prendraient tout d’un coup, à eux tous, 40 %. En revanche, la France se redresse, elle a investi en direct en Afrique. Des investissements très importants de Total, Lafarge qui sont parmi les plus grands, à Danone, Sanofi, L’Oréal et les télécoms…

Il y a beaucoup de biens qu’elle produit en Afrique : des biens de consommation, d’équipements, des biens intermédiaires… Donc ce n’est pas une question de retard à rattraper en matière d’échanges. Sur l’investissement, la France est très forte. Pour maintenir ces positions il est vrai qu’elle a besoin de ce genre de manifestations.

Plus vous produisez sur place, moins vous avez besoin d’exporter les mêmes produits donc il faut bien prendre en compte cette dualité française : un leader de l’investissement avec des parts de marché qui s’érodent un peu. Mais il ne faut pas tout peindre en noir car les exportations n’ont pas cessé d’augmenter. Et l’Afrique progresse très vite.

Il y a des gens qui pensent parfois que l’Afrique est immobile, lente. Non, l’Afrique est le contient qui a progressé le plus en termes d’ouvertures internationales sur les 20 dernières années. La question est, est-ce qu’on est capable de suivre la dynamique africaine.

C’est tellement nouveau comme idée, que certains nombres de gens n’y croient pas encore. Il se trouve que l’Afrique est globalement en excédent sur tout, pas en déficit, et ils se trouve qu’elle a des progressions à deux chiffres de ses exportations et de ses importations. Difficile à comprendre sans multiplier les rencontres directes.

Q: Vous allez donc, et c’est une première, être absent de ce forum organisé par Business France ?   

R: Les hasards de la vie font que tous les ans à cette même date, je suis à Lagos avec la fondation Tony Elumelu, qui délivre le plus de bourses en Afrique a destination de jeunes entrepreneurs. On réunit les 1000 boursiers de l’année entre les 22 et 24 octobre.

Je ne serai donc physiquement pas là mais notre structure, Managing Partner de SouthBridge (ndlr : société de conseil financier et stratégique dédiée au continent africain) accompagne beaucoup d’entreprises africaines, car notre spécialité est le conseil financier, aider les afro-champions.

Ils sont partout, sur scène parmi les intervenants. Ambitions Africa est un événement important pour nous. C’est bien la seule conférence de ce type à laquelle je ne serai pas présent. Cela ne veut pas dire que je n’approuve pas, au contraire, j’approuve entièrement le projet.

Propos recueillis par Mérième Alaoui 

Une interview publiée sur AfricaNewsAgency

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