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Malaise à Argenteuil après l’exclusion d’une élue des quartiers

Le conseil municipal d’Argenteuil a voté mardi 11 octobre l’exclusion de Samia Anzagh, maire-adjointe. Le motif ? Une infraction à la charte éthique signée par les élus, si l’on en croit le maire Georges Mothron (Les Républicains). MeltingBook a voulu en savoir plus. Reportage. 

 

Argenteuil : Georges Mothron exclut une élue des quartiers. Lorsqu’elle a accepté de rejoindre l’équipe du maire d’Argenteuil Georges Mothron (LR) en mars 2014, Samia Anzagh, adjointe au maire pour le quartier Val d’Argent Sud, était loin d’imaginer ce qui l’attendrait deux ans et demi plus tard.

 

Mardi 11 octobre, le maire a fait voter son exclusion du conseil municipal. 24 voix pour, 6 voix contre, 1 abstention. 18 élus n’ont pas participé au vote, dont 5 de la majorité Les Républicains.

 

Le motif de cette exclusion ? Pour Georges Mothron, Samia Anzagh aurait violé un règlement. «Tout le monde dans ma liste avant les municipales avaient signé une charte d’éthique et dans cette charte il était dit notamment qu’il fallait une bonne entente entre chaque colistiers. Elle (Samia Anzagh, ndlr) a enfreint les règles dans Facebook cet été, début juillet. Je l’avais déjà averti au mois de juin».

 

Deux poids, deux mesures

L’édile fait référence à un échange croisé de posts Facebook en juin et juillet dernier entre Samia Anzagh et la conseillère municipale LR, Stéphanie Henry.

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Le message de Jacqueline Eustache-Brinio, maire de Saint Gratien le 5 juin

Cette dernière avait partagé une publication Facebook de Jacqueline Eustache-Brinio, maire de Saint-Gratien, une commune voisine, dans laquelle l’élue de droite appelait au boycott d’un magasin de l’enseigne La Grande Récré situé à Argenteuil en raison du fait qu’y travaillait une employée… voilée.

 

« Tout a commencé avec cette affaire », confie Myriam, une proche de Samia qui ajoute que la maire adjointe, une élue issue des quartiers populaires, ne pouvait se taire sur ce premier « dérapage ».

 

La sortie d’Eustache-Brinion, qui tombe doublement sous le coup de la loi (appel public à la discrimination- le port du voile n’étant pas interdit en entreprise- et appel au boycott d’une enseigne), a en effet été relayée par Stéphanie Henry qui a également commenté son soutien total au propos du maire de Saint Gratien.

Samia Anzagh avait dénoncé pour sa part un propos qui « dépasse la limite de la tolérance et du respect ».

Peu de temps après, Stéphanie Henry publie un nouveau post dénonçant un clientélisme communautaire de la gauche à la suite du refus de certains élus de la ville de voter la fermeture d’une vingtaine de mosquées présentées comme « salafistes » d’après cette sarkozyste pur jus.

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Capture d’écran Facebook de Stéphanie Henry

 « Je ne suis pas dans une cour de maternelle, je suis le patron d’une équipe qui est là pour reconstruire Argenteuil. Il y a des choses qui ne sont pas tolérables », a tranché Georges Mothron.

 

Omerta à la mairie d’Argenteuil

 

Dans l’entourage de Samia Anzagh, on dénonce une décision injuste et partiale du maire qui n’a pas sanctionné sa conseillère municipale, toute aussi engagée dans ses positions.

 

« Je trouve que c’est injuste. Je me retrouve moi sanctionnée pour des faits alors que ma collègue n’est pas inquiétée. Elle a pourtant tenu des propos racistes et islamophobes sur Facebook que j’ai condamnés », dit-elle en précisant assumer ses propos.

 

Du côté de l’équipe du maire, le malaise est perceptible. Malgré nos multiples prises de contact, aucun membre n’a souhaité commenter l’exclusion de Samia, certains nous appelant à prendre nos informations… sur les réseaux sociaux.

 

Une omerta qui accentue les questionnements sur la gestion interne des rapports entre élus de l’administration Mothron.

 

D’autant plus que sur le plan juridique, l’ex maire-adjointe n’aurait enfreint aucune législation.
« Il n’y a aucune faute administrative, ajoute Mme Anzagh. Quand je l’ai interpellé sur le cas de Stéphanie Henry, lors d’un bureau municipal en présence des élus de la majorité, le maire m’a répondu que c’était entre elle et lui, que cela ne me regardait pas« .

 

Plongée dans les mirages d’une casuistique incertaine

Le maire s’est appuyé sur une charte éthique pour fonder sa décision d’introduire au conseil municipal le vote pour la levée de la délégation de Samia Enzagh.

MeltingBook s’est procuré ce document constitué de 14 articles (ci-dessous) et d’un préambule qui ne mentionne pas expressément de code restrictif de bonne conduite entre élus.

On peut y lire en préambule que les élus d’Argenteuil sont tenus par leur statut et les responsabilités qu’il implique à « davantage d’exemplarité ».

La quasi-totalité des 14 articles de cette charte ne concerne pas le type de situation présent dans cette affaire. Seul deux articles peuvent être convoqués.

Le maire s’est peut-être appuyé sur l’article 13 qui stipule que « les élus s’engagent à ne jamais exercer une quelconque pression sur le personnel municipal et les associations en fonction de leurs options politiques, religieuses ou philosophiques ».

article-13
Il ne s’agit d’une interprétation relativement incertaine ou excessive au vu des termes exprimés par l’ex maire-adjointe qui n’a pas, semble-t-il, usé d’une rhétorique agressive ou violente.

L’article 7, en revanche, peut être mobilisé par l’ancienne élue écartée du conseil municipal.

article-7

Cet article stipule que « les élus s’engagent à ne jamais faire entrave ou mettre en péril un fonctionnaire de la Ville ou de la Communauté d’Agglomération qui souhaite faire état de dysfonctionnements graves dont il aurait été le témoin, même si ceux-ci impliquent un ou plusieurs élus ».

La condamnation du soutien à un appel public exprimé en faveur du boycott par nature discriminatoire d’un magasin situé sur la commune des élus semble correspondre à cette règle.

Mais dans les deux cas, outre le fait qu’il s’agisse d’interprétations, la charte éthique d’Argenteuil n’a aucune valeur juridique. Elle ne peut donc fonder administrativement une décision d’exclusion d’une élue.

Mothron « a pris Samia pour avoir les voix des quartiers. Il les a eu »

Rachida connaît bien le parcours de Samia Anzagh qu’elle a accompagné et observé ces dernières années à Argenteuil. Elle reconstitue la trame initiale, lorsque le maire a proposé à l’ancienne élue de rejoindre son équipe municipale.

« Quand Georges Mothron a rencontré Samia, il savait très bien qu’elle n’était pas encartée mais faisait partie d’une liste citoyenne. Il a pris Samia au début pour avoir les voix des quartiers. Il les a eu sans problèmes. Mais il savait aussi qu’il pouvait s’attendre à ce que Samia exprime ses convictions même au sein de son parti. Quand certaines personnes du bord des Républicains tiennent des propos racistes et islamophobes, forcément Samia ne peut pas être d’accord avec ça ».

Faut-il donc voir une forme de clientélisme dans cette alliance entre une militante des quartiers populaires et un maire actuel d’Argenteuil, futur candidat LR pour les législatives ?


Le passif Doucet

Pour le savoir, il faut remonter quelques années en arrière, durant la dernière période de la mandature de Philippe Doucet, aujourd’hui député d’Argenteuil-Bezons.

Ancien maire d'Argenteuil, député PS

L’ancien maire d’Argenteuil, Philippe Doucet, aujourd’hui député PS

 

A cette époque, Conjugue, un centre social indépendant d’Argenteuil est au cœur d’un affrontement entre les habitants des quartiers et Philippe Doucet.

« Ce centre fait un énorme travail auprès des jeunes alors même qu’il est indépendant de la municipalité. Leurs locaux étaient dans des caves. Après une longue bataille, ils avaient obtenu que l’ancien maire Philippe Doucet (député socialiste de la circonscription, ndlr) leur accorde des locaux décents. Il y a eu des rénovations et des constructions. Il y a eu des subventions accordées à hauteur de 1 million d’euros. Sauf qu’une fois, les locaux construits, sans rien dire à personne, Doucet y a installé les agents de sa municipalité. Il leur a volé les locaux », raconte Rachida.

 

Défendre les intérêts des quartiers…

Samia Anzagh, engagée aux côtés de Conjugue tout au long de cette bataille, aurait été alors approchée par l’actuel maire d’Argenteuil.

« Mothron a joué là-dessus en leur disant : moi si je suis élu, vos locaux vous les récupérez ! ». Au bout d’une année de combat politique, les locaux ont été restitués à Conjugue conformément aux engagements administratifs qui avaient été pris avec l’ancien maire.

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Georges Mothron devant son QG de campagne à Argenteuil , élections municipales de 2014
(photo/ La gazette du Val d’Oise)

 

D’après le témoignage de Rachida, cette bataille a marqué les esprits à Argenteuil. « Au moment de la période électorale, Samia et son équipe sont allées voir les habitants des quartiers (quartier Val Nord, Les Musiciens) en parvenant à les convaincre d’aller voter ce qui n’était pas gagné parce qu’à la base ce ne sont pas des gens qui votent, mais en plus de voter à droite (Les Républicains, le parti de Georges Mothron, ndlr) ».

Rachida y voit plutôt une démarche légitime de défense des droits des quartiers.

 

« Beaucoup de gens des quartiers ont voté à droite mais pas pour la droite, mais pour ce que ça représentait en terme d’intérêt pour les quartiers ».

Dans l’entourage de Samia, on estime que le fait de ne pas être encartée ne lui a pas offert de protection politique locale et faisait d’elle, en outre, un électron libre et populaire, deux raisons de l’écarter.

 

Une épilogue en dents-de-scie

Si le vote de son exclusion n’était pas une surprise, le fait que certains élus, notamment Fatiha Bacha, maire adjointe déléguée à l’enfance, aient voté pour la levée de sa délégation, a choqué.
fatima-bacha

Selon les dires de Samia Enzagh, Fatiha Bacha est une amie personnelle qu’elle a défendue lorsque cette dernière était conseillère municipale au moment où elle était attaquée en raison de son port du voile. Contactée par MeltingBook, Fatiha Bacha a refusé de s’exprimer.

 

Lorsqu’on l’interroge sur son bilan politique, l’intéressée le juge « positif ». « Dans certains quartiers, la section jeunesse avait été un peu abandonnée. On a fait un projet avec les jeunes qui s’appelle chantier-jeunes. On a aussi mis en place des repas-seniors dans les quartiers du Val sud, ce qui n’existait pas. On a travaillé avec les bailleurs sociaux qui ont subventionné ces projets ».

Samia Anzagh confie néanmoins que le soutien du maire Georges Mothron (LR) aux positions islamophobes de sa conseillère municipale a provoqué une rupture.

Elle ne souhaitait plus poursuivre sa délégation avant même l’issue du vote mais attend néanmoins toujours des explications du maire sur les motifs de cette partialité en faveur de Stéphanie Henry.

Fouad Bahri

Photo de Une: de gauche à droite
Fatima
Bacha, Samia Anzagh, Georges Mothron, Stéphanie Henry

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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