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« Qu’est-ce que ça veut dire être Africain » par Imad Mesdoua | TEDx Euston Salon

Être Africain, qu’est-ce que cela signifie ? Imad Mesdoua, consultant en risques politiques spécialisé en Afrique du Nord et de l’Ouest, nous donne sa vision. En vidéo, retrouvez son intervention lors du TEDxEustonSalon, sous-titrée en français. En exclusivité pour MeltingBook. 

« Bonsoir,

Je suis un algérien fier.

Et je suis un Africain fier.

Qu’est ce que cela veut dire être Africain ?

VOIR LA VIDÉO :

Pour moi, pour vous tous,

Est-ce que cela renvoie à notre origine géographique ou là où nous résidons ?

Est-ce que nous portons, ce que nous mangeons ?

Est-ce le genre de musique que nous écoutons ?

Est-ce que c’est sur la base de la couleur de notre peau ?

Pour chacun d’entre nous ayant un lien avec l’Afrique.

S’identifier au continent ou s’identifier à notre identité sera intimement lié à nos expériences personnelles.

Cette expérience sera très nuancée très complexe.

Et en aucun cas nous pourrons la standardiser.

Aujourd’hui, je veux partager avec vous comment je perçois mon identité africaine.

Ce n’est pas un exercice facile,

Je souhaite le faire en partageant mon histoire personnelle,

Ça aussi ce n’est pas facile à faire.

J’ai eu l’incroyable opportunité de grandir en Afrique de l’Ouest, en tant qu’Africain du Nord.

Le métier de mes parent impliquait de se déplacer d’un pays à un autre,

Et j’ai eu à les suivre,

Je n’avais pas vraiment le choix.

Avant de poursuivre,

Permettez-moi de vérifier mon appartenance…

Je sais que mon histoire est unique.

Je suis née dans un milieu qui offre de grandes opportunités et des privilèges qui ne sont pas à la portée de tout le monde.

Aussi, je souhaite anticiper sur tout ce que je suis sur le point de dire.

Ça ne va pas nécessairement vous parler ou s’appliquer à vous.

Mais je suis persuadé que cette vie m’a donné un avantage original et unique  pour comprendre le sens d’être Africain.

Donc, imaginez ceci :

A la fin des années 1990s, début 2000s, un petit enfant algérien squelettique et ringard pointe à Lagos au Nigeria le premier jour de l’école à Victoria Island.

Si vous pouvez me croire, j’étais déjà ringard même à l’époque,

J’étais à ce moment prêt à tout pour m’intégrer dans cet environnement.

Certains d’entre vous ont sans doute connu ça au lycée.

Mais quand je suis arrivé à l’école

Très vite, la réalité m’a frappée très fort.

Les élèves occidentaux de l’école ne m’ont jamais considéré comme l’un d’entre eux.

Je leur ressemblais, j’étais blanc.

Mais je n’ai jamais pu m’intégrer.

J’ai eu des questions du genre :

Comment ça se fait que vous ne mangiez pas du porc ?

Pourquoi votre mère porte le hidjab ?

Est-ce qu’elle porte le hidjab ?

Et ce fossé s’est creusé immédiatement,

Nous étions issus de deux mondes complètement différents.

Premier obstacle : la religion.

Dans la même école il y avait beaucoup d’élèves Arabes et Libanais

J’en étais heureux,

Je me disais ça sera mon groupe,

Ils n’étaient pas mon groupe,

Il se moquait de moi et se moquait de la manière avec laquelle je m’exprimais.

Nous étions assurément des arabes avec plus ou moins des liens.

Mais mon dialecte, l’arabe d’Afrique du nord, appelé Daredja faisait l’objet de moqueries car il était différent de leurs dialectes.

Je n’ai donc pas pu m’intégrer à ce groupe d’Arabes du Moyen-Orient.

Deuxième obstacle : la langue.

Et puis il y avait ce groupe incroyable qui représentait la majorité : les Africains de l’Ouest.

Des Nigérians, des Ghanéens, des Sénégalais, Maliens…

Et bien sûr les ivoiriens qui étaient toujours heureux et bruyants,

J’espère qu’il n’y a pas d’Ivoiriens dans la salle.

En réalité, j’espère qu’il y ait des ivoiriens dans la salle.

C’est à ce groupe que je voulais m’intégrer,

Ils étaient drôles, authentiques, amusants,

Nos centres d’intérêt se rejoignaient,

J’étais prêt à tout pour faire partie de ce groupe dans mon école.

Cette fois-ci j’ai été accepté : rejoins-nous, tu es l’un d’entre nous.

Mais même ainsi, allez-vous me croire quand je vous dis qu’il me manquait quelque chose.

Il y avait un obstacle et on me le rappelait souvent : il s’agit de la couleur de ma peau.

Je n’étais pas noir.

Et si vous n’êtes pas noir, vous n’êtes pas Africain.

Il m’arrivait la même chose lorsque j’allais en Algérie pour les vacances d’été et dans d’autres régions d’Afrique du Nord.

Après presque six mois au Nigeria,

J’ai commencé à parler, à marcher et à me comporter comme un Nigga boy.

C’était vraiment étrange pour mes amis d’enfance qui m’avait vu partir vers le Nigeria.

Pour eux, je devenais un Africain,

Comme s’ils n’étaient pas, eux-mêmes, Africains.

Comme s’ils étaient des Suisses ou des Saoudiens.

Vous êtes Africains,

Ce que j’essaye d’expliquer à travers cette histoire vécue et cette expérience d’enfance.

Ce que j’ai connu à cette époque, je continué à le vivre tout au long de ma vie jusqu’à présent.

Ce déchirement entre mon identité nord-Africaine et l’identité africaine qui est plus étendue.

Là où j’allais, les gens essayaient de définir ce qu’est l’identité africaine pour moi.

Il ne me voyait pas pour ce que j’étais ou voulais être, mais comme ils me percevaient et comme ils se considéraient entre eux.

A ce jour, et ma vie professionnelle,

Mes collègues Africains viennent me voir et me colle des étiquettes : tu es arabe, tu es méditerranéen, tu es francophone, tu es musulman, tu es ibbo (ça veut dire tu es blanc en argo).

Qu’est ce que j’aurais pu faire,

Ça a poussé l’enfant que j’étais à lire sur ma culture et sur mon héritage et sur celui des autres peuples parce que je devais être en contact avec eux et je me devais de faire l’effort d’être intéressant pour eux.

J’en suis arrivé à cette conclusion et je souhaite la partager avec vous, je m’excuse si vous en êtes déjà au courant : la dichotomie, l’opposition qui a été créée entre les arabes d’Afrique du nord  et les noirs subsahariens d’Afrique est fausse.

Les liens entre nous sont tellement importants si profonds que nous ne pouvons les effacer juste comme ça.

Nous ne pouvons pas nous définir par nos religions respectives, la géographie, la langue, tous ces obstacles que j’ai mentionné tout à l’heure.

Nous nous définissons collectivement, nord-Africains et le reste du continent, par trois éléments :

Nous nous définissons par une histoire commune, par des valeurs constantes et par une destinée commune.

Ça peut paraître comme de grands mots mais je promets de les expliquer.

Premièrement, permettez-moi de dire quelques mots sur notre histoire commune et nos valeurs constantes communes.

 

Les générations de nos parents et de nos grands-parents, et certains d’entre vous ont d’ores et déjà réalisé ça et ce n’est peut être pas nouveau pour vous, étaient pour une union transfrontalière plus que nous pourtant ils avaient moins de technologie, ils étaient moins connectés,  ils ne tweetaient pas.

 

Ils étaient plus connectés et plus unis que nous actuellement.

Pourquoi ?

De un, ils étaient façonnés par une seule lutte : la résistance anticolonialiste, ça les a unis.

La deuxième chose qui les a unis : les valeurs constantes c’est-à-dire  la résistance, la solidarité et le sacrifice.

Ce n’est pas juste des mots creux.

C’est des valeurs qui unissent les générations et en travers les frontières.

Ils le font même aujourd’hui mais pas assez.

Je vous donne un exemple : lors des mouvements de libération et d’indépendance durant les 1950s  1960s, des géants de notre continent, des gens comme Nelson Mandela, Amilcar Cabral ont combattus et ont soutenu le mouvement de libération nationale en Algérie, le FLN qui était lui-même accueilli par les pays voisins, Tunisie Maroc

L’ANC quand il luttait contre l’apartheid a reçu le soutien de tout le continent, de Libye , Algérie, Maroc.

 

Les gens donnaient de l’argent à ces mouvements, non pas parce que c’était sympa mais parce qu’ils étaient frères et sœurs d’arme. Ils avaient un seul but et des valeurs communes.

 

Quand je rentre chez mois en Algérie, j’entends de temps à autres des personnes de l’ancienne génération évoquer le festival culturel panAfricain qui s’est tenu en Algérie en 1969.

Si vous n’en avez jamais entendu parler, je vous recommande de faire des recherches là-dessus.

Ils me parlent de cet évènement avec une grandeur difficile à décrire de nos jours.

Imaginez : des acteurs, des chanteurs, des philosophes, des penseurs avaient tous afflué vers l’Algérie en 1969 partageant leur culture, mangeant et faisant la fête ensemble.

On ne verra pas ce genre d’effervescence panAfricaine qu’on n’a pas vu depuis.

Quand j’entends ce genre d’histoires et que je lis sur notre histoire (vous devriez d’ailleurs lire sur la votre), j’ai le sentiment que nous avons tous une part dans ce musée Africain où nous avons des souvenirs partagés, une culture partagée et des pensées partagées.

Mais chacun d’entre nous a décidé de s’en tenir à sa région soit l’Afrique de l’Ouest, soit l’Afrique de l’Est, etc.

Ne faites pas ça, ce n’est pas logique.

Tout cet héritage qui est en notre disposition nous appartiens à tous.

Comment raviver la flamme.

Je pense que nous devons d’abord revendiquer cet héritage  en corrigeant l’histoire à nous même et à ceux qui nous entourent.

Lisez Leopold Sedar Senghor,

Lisez Naguib Mahfouz,

Lisez  Kateb Yacine,

Écoutez Salif Keita,

Jam to Fela Kuti,

Ils n’appartiennent à personne. Ils ne sont pas Nigérian, Égyptien, Algérien…

Ils appartiennent à nous tous.

Si vous avez tout ça à votre disposition, pourquoi vous ne l’utilisez pas, pourquoi vous ne le partagez pas ?

Si nous ne nous approprions pas cette culture, si nous ne la disséminons pas, comment allons nous avancer.

Je ne vais pas m’en tenir au passé, maintenant, je vais vous parler du futur.

J’ai mentionné l’histoire commune, les valeurs constantes maintenant je vous parle du futur et c’est encore plus difficile.

Nous vivons dans une période trouble actuellement.

C’est une période qui offre beaucoup d’opportunités aux Africains, nous pouvons faire un grand saut en avant mais finalement dans ce 21e siècle les défis auxquels nous faisons face ne respectent pas les frontières : terrorisme, le changement climatique, l’éducation, l’immigration, l’évolution technologique, etc.

Pensez vous que ces problèmes considèrent le Sahara comme un mur ? Non, ils traversent les frontières et ont un impact sur nous tous.

Les jeunes en Afrique du Nord ont les mêmes problèmes que ceux au Sud du Sahara.

C’est problématique pour nous car nous devons comprendre pourquoi et qu’est-ce qu’on peut faire sur ça?

C’est problématique, car selon ce que je constate, ont est, en ce 21ème siècle, immédiatement  mis de côté en tant qu’Africains sur la scène mondiale rien que parce que nous sommes Africains.

Nous avons à nous justifier, à expliquer, à décrire et à trouver une voix.

Devons nous chacun de son côté chercher notre voix ?

Non assurément car l’union est importante car elle détruit ces murs et ces dispositifs car ce n’est que de cette manière que nous allons solutionner ces problèmes collectifs.

C’est ainsi que nous ferons entendre notre voix.

Dans toutes les conférences où je vais nous sommes présentés comme étant le continent désespéré et actuellement l’Afrique qui s’éveille.

Ces récits ne sont pas les nôtres,

Donc si nous n’avons pas une voix forte et unie, c’est les autres qui parleront pour nous.

Et on se retrouver à réexpliquer, à se justifier et corriger les faits.

Comment changer ça dans la vie de tous les jours.

En plus de ce que j’ai mentionné tout à l’heure, c’est-à-dire revendiquer notre identité commune et notre héritage partagé ainsi que les valeurs constantes, nous devons lutter contre ces idées fausses qui existent entre nous et la perception erronée qu’ont les autres de nous quotidiennement.

Il faut réussir, être le meilleur,

Je ne suis pas un conférencier motivationnel en vous disant cela.

Mais c’est important : si vous êtes attiré par les affaires, devenez entrepreneur, si vous êtes attiré par la politique, soyez impliqué, ne restez pas dans votre coin à vous plaindre, si vous êtes attiré par les sciences, innovez et créez.

Il faut défier ceux qui vous disent que vous ne pouvez pas car vous êtes Africain, il faut changer les récits qui sont relayés sur vous et votre continent.

Défier-les intelligemment  avec vos valeurs, la résistance que nos aînés ont mis à profit avec éloquence et qui leur ont permis de réussir.

Ne laissez pas les autres vous définir, nous définir comme on l’a fait pour moi lorsque j’étais petit.

Faites vous entendre.

Quand nous revendiquerons notre héritage, quand on va, j’espère, raviver ces valeurs constantes et qu’on commence à refaçonner les récits qui nous concernent, ça voudra dire qu’on a commencé à faire du progrès.

D’habitude, je n’aime pas les citations inspirantes de grands penseurs mais je veux vous citer celle-là car c’est un penseur et une citation qui ont influencé ma vision sur mon pays, comment je vois mon continent.

Cette citation est du grand penseur Africain Franz Fanon que certains d’entre vous doivent connaître.

Il a dit : « Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».

Je voudrais clore avec ce qui suit :

S’il vous plaît laissez nous remplir notre mission qui consiste à revendiquer notre héritage, raviver les valeurs constantes et refaçonner les récits pour nous et pour les générations futures.

Merci. »

Par Imad Mesdoua


VOIR LA VIDÉO EN ANGLAIS

Imad MESDOUA est un consultant en risques politiques spécialisé au Maghreb (Afrique du Nord) et en Afrique de l’Ouest. Il surveille les risques politiques, commerciaux et de sécurité dans ces régions. Il fournit régulièrement des analyses à l’antenne en tant que commentateur invité pour la BBC, Al Jazeera et France 24. Il a également été interviewé sur des sujets d’actualité dans le Financial Times, Newsweek, Reuters, Bloomberg et l’AFP.

Il a précédemment travaillé comme consultant politique indépendant dans la région MENA, conseillant des responsables politiques, des candidats aux élections et des organisations internationales, sur la politique, la stratégie de relations publiques et la communication politique.

Interrogé en tant qu’expert devant plusieurs auditions parlementaires, il assiste régulièrement à des conférences comme qu’orateur. Il est titulaire d’une maîtrise en politique publique internationale de l’University College London (UCL) et parle couramment l’arabe, le français, l’anglais et l’espagnol.

 

Raconter, analyser, avancer.

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