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Rapport Clavreul sur la laïcité : l’offensive d’un préfet-militant

Un rapport administratif d’une quarantaine de pages commandé en septembre 2017 par le ministre de l’Intérieur fait état de “nombreuses dérives identitaires et de remises en cause de la laïcité” et préconise “des mesures fortes.” Son auteur : Gilles Clavreul, préfet et ancien directeur interministériel de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie (Dilcrah).

Ce rapport a pour objet de faire des propositions pour “améliorer la coordination des administrations publiques en matière de laïcité”, comme le recommandait l’Observatoire de la laïcité.
Le contenu de rapport a entraîné une réaction très sèche de Jean-Louis Bianco, le directeur de l’Observatoire de la laïcité.

Dans un communiqué, Bianco, en gardien sourcilleux de la loi de 1905, a estimé que ce travail “méconnaît plusieurs actions déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics”.

Communiqué OL clavreul

 

À l’appui de cette rebuffade, il cite plusieurs propositions contenues dans le rapport tels la création d’un site internet gouvernemental sur la laïcité, le renforcement de la formation à la laïcité pour les candidats au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) ou la formation des agents publics.

Toutes ces prescriptions n’ont pas lieu d’être car elles ont déjà été mises en oeuvre… par l’Observatoire de la laïcité.

Jean-louis Blanco conclut ainsi : “Au final, si quelques propositions sont de bon sens, je regrette le manque de rigueur méthodologique de ce rapport qui ne repose que sur “des dizaines de témoignages” dans neuf départements.”

Le propos est sobre et poli, mais sa portée est dévastatrice : en gros, Bianco sous-entend que le rapport a été bâclé. Il ne repose sur aucune enquête de terrain sérieuse et tangible. Il est par conséquent, méthodologiquement, orienté et ses conclusions ne peuvent donc être prises au sérieux.

Un professeur aurait écrit sur la copie : “élève distrait et paresseux, travail médiocre à refaire”. En effet, ce qui frappe à la lecture de ces recommandations parfois redondantes et parfois bizarres, c’est l’amateurisme de la démarche de son rédacteur.

Quelques rapides vérifications sur internet lui aurait évité de telles bévues. Il sera encore plus difficile, après cela, de prendre au sérieux les prises de position de Gilles Clavreul dans le domaine de la laïcité.

Le problème est que Gilles Clavreul n’est pas n’importe quel préfet. C’est un préfet-militant. Proche de Manuel Valls, membre fondateur du Printemps républicain, il est particulièrement actif sur les réseaux sociaux, et y défend “sa” conception de la laïcité.

Rejetant la notion même d’islamophobie, ce haut fonctionnaire partisan a une obsession : l’islamisme, quand il ne s’agit pas de l’islam tout court, tant, dans ses propos, les deux notions s’entrecroisent et se confondent. Dans un passage de son rapport, Clavreul regrette d’ailleurs l’absence “de consensus sur la définition et la portée de la laïcité.”

Le rapport s’appuie sur un maigre travail de terrain (interviews avec des représentants des administrations publiques, des cultes, des élu.e.s, des formateur.rice.s dans neuf départements, mais curieusement les associations antiracistes n’ont pas été conviées).

Les conclusions sont alarmistes et globales : “dérives religieuses identitaires”, “contestation de la laïcité et des principes de la république.” À la lecture de passages du rapport, on pourrait croire que la France est un État multiconfessionnel au bord de la guerre civile.

Mais le préfet-militant ne s’arrête pas là. Comme il peine à rassembler des preuves objectives et tangibles de ce qu’il affirme, il décrète que la “laïcité dans les têtes” recule.

Il révèle ensuite l’objet de son offensive idéologique : “dans les lieux où la population de confession musulmane est présente, parfois de façon très majoritaire, le rapport à la République se tend sous l’effet d’une foi de plus en plus ouvertement revendiquée.”

Dit autrement, les musulman.e.s de France – qui sont dans leur écrasante majorité des citoyen.ne.s de la république française – ne sont pas de bons républicain.e.s, ce qui revient à dire : ce ne sont pas de bon.ne.s et loyaux.les Francais.es.

Les grandes lignes du rapport ébauchent une “laïcité” qui n’est plus conçue comme un principe de liberté et de neutralité (selon la lettre et l’esprit de la loi de 1905), mais comme une religion civile qu’il faut inculquer de force à tou.tes les citoyen.ne.s. Des “gardiens de la foi laïque” (les fonctionnaires) veilleront à ce que personne ne s’écarte du dogme.

C’est un véritable travail de flicage orwellien des comportements et des consciences que propose Clavreul. Relevons quelques exemples particulièrement saisissants

Il suggère par exemple de “conditionner l’examen de subvention ou d’un emploi aidé à l’engagement de suivre une formation sur les valeurs de la République et la laïcité”.

Connaissant l’agenda anti-Islam du préfet, on imagine qui feront les frais d’une telle mise en conformité avec la nouvelle doctrine étatique.

Il entend instaurer “une formation laïcité pour tous les agents de l’État d’ici à 2020”. Une chose est la neutralité des agents de l’État en matière religieuse et politique conformément à la loi de 1905, une autre est de demander à ces agents de se conduire en auxiliaires d’un embryon de police politique aux ordres du gouvernement.

Afin d’assurer une meilleure “transmission des valeurs de la République”, Clavreul propose de “renforcer les exigences de formation à la laïcité et aux valeurs de la République du brevet d’aptitude à la fonction d’animateur (Bafa)”. À quand la création d’une épreuve de laïcité pour l’obtention du permis de conduire ou du permis de chasse ?

 

Il propose enfin d’établir un “corps de doctrine” sur les “atteintes à la laïcité” en transformant les Comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (CORA) en “comités départementaux pour la laïcité pour la promotion de la laïcité et des valeurs de la République”, qui seront présidés par des magistrats de l’ordre administratif ! Le glissement n’est pas simplement d’ordre sémantique ou technique.

Il s’agit, ni plus ni moins, que d’abandonner l’objectif premier des CORA, c’est-à-dire la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Clavreul souhaite lui donner une nouvelle mission qui promeut sa version partisane et liberticide de la laïcité.

Au même moment, Mediapart a rendu public un compte-rendu de réunion des “Sages de la laïcité” qui confirme l’agenda antireligieux et l’obsession anti-hijab de ses membres.

[pullquote]Notons qu’au sein de ce comité siègent des amis de Clavreul, certains issus du Printemps républicain. Cet agenda est totalement incompatible avec l’esprit et la loi laïques.[/pullquote]

Ces idéologues de la droite dure présentent un danger pour les libertés individuelles. Il s’agit d’une offensive générale d’individus qui, motivés par leur islamophobie, veulent restreindre la portée libérale de la loi de 1905.

Leurs objectifs politiques sont très clairs, et le danger qu’ils représentent pour nos libertés ne l’est pas moins.

Philippe Marlière, Professeur de sciences politiques à University College London

1. Hanan Ben Rhouma, “Ce que reproche l’Observatoire de la laïcité au rapport de Gilles Clavreul”, L’Obs, 23 février 2018, https://www.saphirnews.com/Ce-que-reproche-l-Observatoire-de-la-laicite-au-rapport-de-Gilles-Clavreul_a24930.html

2. Philippe Marlière, “Le Printemps républicain : le rappel à l’ordre de la bourgeoisie jacobine” , Contretemps, 4 avril 2016, https://www.contretemps.eu/printemps-republicain-le-rappel-a-lordre-de-la-bourgeoisie-jacobine/

3. Ellen Salvi, Faïza Zarouala, “Les échanges hors-sol des Sages de la laïcité”, Mediapart, 22 février 2018, https://www.mediapart.fr/journal/france/220218/les-echanges-hors-sol-des-sages-de-la-laicite

Raconter, analyser, avancer.

Comments (1)

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    Poupougne

    C’est drole il n’y a jamais de dérive dans l’autre sens. Comme le coup du saucisson mis dans la poche du gendarme maghrébin. C’est drole.

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