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Shlomo Sand: « Le nationalisme pervers est apparu dans cette campagne »

Il est l’un des « nouveaux historiens » israéliens les plus percutants et innovants.

Shlomo Sand livre à MeltingBook quelques unes de ses observations sur une campagne présidentielle français qui l’inquiète visiblement, notamment en raison du nationalisme et culte de la personnalité qu’il note à regret.

En tant qu’observateur et citoyen israélien qui connaît bien la France, comment jugez-vous cette campagne française  des élections présidentielles?

Shlomo Sand: La campagne électorale m’attriste beaucoup car elle a été l’expression extrême de la société ou de la culture du spectacle. Cela confirme avec force la vision de Guy Debord. Ce spectacle est devenu extrême et s’est concentré sur des personnalités.

Je ne pensais pas assister, surtout dans ce pays à la culture si riche qu’est la France, à ce théâtre si personnalisé. Autre chose qui m’a attristé est que la campagne a été construite autour de thèmes très nationalistes, et ceci chez presque tous les candidats.

Pensez-vous que le FN a donc déjà gagné la bataille de l’hégémonie culturelle ?

Sh.S: Je ne crois pas que le FN ait gagné en ce sens. Mais je constate qu’il y a un nationalisme très fort, tant à Gauche qu’à Droite. Beaucoup de candidats ont adopté un discours qui me semble national-populiste.

Mais n’est-ce pas là une tendance générale, qui n’est pas propre à la France ?

Sh.S: Oui c’est vrai. Mais j’espérais trouver en France des freins plus grands à cette tendance qu’aux Etats-Unis ou qu’ailleurs. De fait, je suis très déçu par cette campagne. Ce n’est pas une renaissance de l’idée nationaliste ; c’est plutôt une sorte de nationalisme pervers qui surgit partout. Dans le monde et aussi en France.

Ce spectacle debordien, où l’observez-vous ?

Sh.S: La campagne est très personnalisée et s’exprime surtout dans la télévision et dans les clips. Tout est spectacle, comédie, tragédie aussi, avec des discours qui m’étonnent réellement. Où est la politique là ? Les phrases chocs prononcées par les candidats, leurs images construites, est un théâtre politique. J’ai l’impression qu’on est revenu à une sorte de populisme national de la fin du 19eme siècle.

Cette élection  est-elle très observée en Israël ?

Sh.S: Oui, elle l’est. D’autant plus que ce phénomène de repli sur soi qui se généralise trouve un écho en Israël. C’est comme si la société israélienne disait, « voilà, voyez, nous avons eu raison avant tout le monde, tout le monde fait comme nous désormais et devient nationaliste, Tout le monde nous imite ».

Surtout que la France, à travers ce spectacle, se présente aussi toujours comme une victime. On la menace de partout. C’est une victimisation du discours politique qu’on retrouve chez Trump, par exemple aussi.

Que constatez-vous chez les candidats ?

Sh.S: Celui qui m’intéresse le moins est François Fillon. Il est tellement standardisé, rien de nouveau en lui. Mais trois autres retiennent mon attention : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Ils sont comme un livre ouvert qui me permet de déchiffrer l’avenir du 21ème siècle.

Et qu’y lisez-vous ?

Sh.S: On y lit une idée nationale perverse qui apparait. Je n’ai jamais vu autant de drapeaux français déployés dans une campagne électorale. Je suis européen dans mon approche du politique dans le sens où je ne suis pas nationaliste.

Et je rejette aussi le culte de la personnalité. Ces deux choses se retrouvent là. Le moins qui appelle ce culte est peut-être Benoît Hamon. Comme historien, deux choses m’inquiètent : le nationalisme et le culte de la personnalité. Certains se présentent comme des sauveurs, et c’est très dangereux.

Comment en Israël a-t-on accueilli la phrase de Marine Le Pen sur la non responsabilité de la France dans la rafle des Français Juifs ?

Sh.S: On n’a pas été étonné. Mais il y a aussi des nuances face à Le Pen désormais. Il y a des Français juifs qui soutiennent Le Pen, cela a jeté un trouble. On avait pensé que Marine Le Pen avait totalement intégré les Juifs dans la Nation, contrairement à son père.

II ne faut pas oublier que le pays qui a salué le plus la victoire de Donald Trump en Occident a été Israël.  Notamment les classes politiques israéliennes qui ont aussi été contentes du Brexit. Pour Israël, on croit que la distance qui la sépare de son père est très forte. Il me semble que la classe politique israélienne préfère plutôt Macron, qui leur semble encore plus modéré que François Hollande sur la question palestinienne.

Et Jean-Luc Mélenchon ?

Sh.S: Il y a en Israël une très forte réticence envers lui. Il y a même l’expression d’une crainte avec l’idée qu’un Chavez français viendrait au pouvoir.

Hassina Mechaï

Raconter, analyser, avancer.

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