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Interreligieux: dialoguer contre « la société du clash »

15 organisations du dialogue interculturel, interreligieux, interconvictionnel vont se réunir à Paris les 7 et 8 juin 2018 pour construire la Coalition des organisations européennes. Son but ?  Renforcer le domaine du dialogue en Europe et accroître leur impact. Rafael Tyszblat est médiateur, formateur, expert en dialogue interculturel, à la tête de Connecting Actions. Interview.

Sarah Hamdi : Pour avoir quelques éléments de contexte, sur le terrain, aujourd’hui, où en est-on du dialogue interreligieux en France ? On parle d’un vrai péril de la cohésion sociale et du « vivre ensemble ». Qu’en pensez-vous ? 

Rafael Tyszblat : Pas besoin de rappeler le tableau, effectivement, on est dans une société où l’escalade inter-identitaire, y compris inter-religieuse, semble exponentielle. Vous vous rappelez d’une journée ces derniers temps où on n’a pas entendu un fait divers, une déclaration, un tweet, une photo perçus comme de la provocation sur une communauté voire du racisme, de la discrimination raciale, ethnique, religieuse, culturelle ou de genre ? Ça ne semble pas s’arrêter.

Il y a des gens qui font des choses pour aller à contre-courant mais quel courant ! Les médias et les commentateurs de tous horizons sont toujours plus friands de ce qui peut clasher, de ce qui peut attiser les haines et les suspicions.

Je ne dis pas que les médias et les intervenants divers inventent les faits, mais l’effet de loupe sur ce qui va mal empêche de voir les efforts qui se font dans le sens du rapprochement. On en vient à penser que l’affrontement est inévitable mais il existe des solutions. Sur le dialogue interreligieux, il y en a, que ce soit les échanges de théologiens, les rencontres citoyennes ou les interventions dans les écoles.

Mais c’est vrai qu’on a l’impression que le soufflet retombe un peu depuis la belle réaction qu’on a observé après le début de la série d’attentats que nous vivons. Je pense qu’il faut que les acteurs du rapprochement réinventent sans cesse non seulement leurs missions, leurs activités mais aussi leur manière de faire passer leur culture du vivre ensemble au plus grand nombre. Et ils le font !

 

S.H. : Racontez la genèse de cette initiative ? (quels constats avez-vous fait)

R. T. : Le constat était que nous sommes nombreux à soutenir ou à faire vivre ce champ d’action du dialogue interreligieux, interconvictionnel, interculturel, etc. mais que nous faisons trop peu et de manière trop isolée par rapport aux enjeux. Les organisations en Europe qui partagent la même mission de rapprochement par le dialogue ne se connaissent pas ou simplement ne trouvent pas les moyens de travailler ensemble.

Aujourd’hui, étant donné l’état des relations entre groupes identitaires, nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas tout faire pour accomplir notre vision d’une société sereine qui sait traiter ses différences avec éthique et intelligence. Donc l’idée est de se donner collectivement les moyens de nos ambitions en étant plus fort ensemble que chacun de son côté.

S.H. : Qu’attendez-vous de ce 3e symposium organisé par Connecting Actions, les 7 et 8 juin au FIAP à Paris ?

R. T. : L’objectif de cette réunion est tout simplement de terminer le consensus que nous avions commencé à construire, en novembre 2016 et en décembre 2017, lors de notre dernier symposium (cf. le rapport) et d’adopter la charte et les statuts de cette Coalition qui prendra la forme d’une association.

S.H. : Quels rôles jouera cette coalition européenne ? 

R. T. : Le rôle premier de la Coalition, c’est de se renforcer mutuellement en tant qu’organisations de société civile, en partageant nos connaissances, nos expériences, en apprenant de nos échecs et en se soutenant dans nos actions collectives. Il s’agit aussi de donner plus de visibilité à ce travail afin de renverser le discours apparemment dominant d’un clash permanent.

S.H. : Dans le contexte français actuel, on a l’impression que médias et politiques se sont emparés de la question du fait religieux ? En témoigne la sortie du manifeste des 300 personnalités « Contre le nouvel antisémitisme », par exemple. 

R. T. : Effectivement, la France est un pays d’idées, pour le meilleur et pour le pire ! Les gens les plus influents se relaient pour signer des tribunes plutôt malvenues qui contribuent à creuser un fossé sous prétexte de rechercher la vérité. Ils ont le droit de dire ce qu’ils disent, mais si seulement les premiers concernés étaient aussi plus entendus… Et si seulement on faisait ce travail de dialogue dans la durée, en face à face, plutôt que par indignation écrite interposée.

S.H. : Ces débats passionnés (bien plus que passionnants) ne semblent pourtant pas représenter la réalité au quotidien des relations au sein de la société civile vis-à-vis des religions ou irréligions. Est-ce le cas ?

R. T. : Effectivement, la preuve, c’est que toutes les injonctions faites envers une communauté de condamner ses extrêmes ne tiennent pas compte que de très nombreuses voix se font entendre au sein de ces communautés pour justement condamner leurs extrêmes ! On fait comme si chacun appartenait à un bloc idéologique et identitaire et cela finit par nous empêcher de voir toute nuance.

Or c’est justement en demandant, en ordonnant sans cesse à l’Autre qu’il condamne ses minorités radicales qu’on le radicalise aussi. C’est une question de fonctionnement humain. Et c’est le cas pour toutes les communautés, même si ce sont les musulmans qui sont certainement au centre de toutes les crispations en ce moment. Mais la réalité, c’est que les personnes que je croise tous les jours ne ressemblent pas à l’image guerrière ou dominatrice que l’on colporte à leur égard.

S.H. : Quelles seront tes activités au sein de cette coalition ? 

R. T. : Je préside Connecting Actions et à ce titre, je me donne pour mission d’emmener cette Coalition le plus loin possible. Mais pour l’instant, la Coalition n’existe pas encore donc attendons de voir ce qui ressort des décisions de notre rencontre pour savoir qui jouera quel rôle. Il y a une quinzaine d’organisations représentées donc j’espère que chacun voudra jouer un rôle

S.H. : Quelle est la prochaine étape ?

R. T. : Il s’agira de déposer les statuts de l’association ainsi créée et de commencer les activités de la Coalition ! On a plein d’idées : partager une boîte à outils du dialogue inter, faire des événements et des programmes interassociatifs, inventer de nouvelles formes du dialogue, faire parler de nous et de ce qu’on peut apporter à une société européenne qui a besoin de mieux se connaître.

 

Propos recueillis par Sarah Hamdi

 

Liste des organisations participants au lancement :

– Ad Astra (Finlande)

– Coexister (France)

– Connecting Actions (France)

– Dialog Perspektiven (Allemagne)

– The Faith and Belief Forum (Royaume Uni)

– Faiths in Tunes (Allemagne)

– Fryshuset – Together for Sweden (Suède)

– Groupe Inter Religieux pour la Paix 78 (France)

– GFIC- Groupe des Foyers Islamo-Chrétiens (France)

– Gemeinsam für Vielfalt (GfV) – Integrationswerkstatt Unkel (Allemagne)

– Madipax – Maison du Dialogue et de la Paix (France)

– The Muslim Jewish Conference (Autriche)

– The Salaam Schalom Initiative (Allemagne)

– Sharing Perspective Foundation (Pays Bas)

– United Religions Initiatives Europe (Europe)

Crédit Photos : ©Connecting Actions

 

Raconter, analyser, avancer.

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