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Le Vote « Contre » : Pourquoi c’est une chance

Chapeau : Avec seulement deux candidats dans la course, les citoyens français ne peuvent plus choisir qu’entre un nationalisme d’extrême-droite et un libéralisme de gauche. Le troisième candidat sera l’abstention, qui devrait augmenter, à cause d’une dangereuse incompréhension.

Ibtissem Guenfoud

Ibtissem Guenfoud

Dans son article pour Ballast, Alexis Gales a montré avec brio que l’abstention au premier tour de ces élections était « un plaisir de dandys ». Avec 11 candidats, un vaste panel de programmes politiques avec des visions opposés et convergentes sur le libéralisme, la politique étrangère, l’Europe, l’écologie, la politique sociale, le nationalisme et plus encore, l’abstentionniste ne pouvait être qu’un aristocrate moderne, un hipster démocratique dont les goûts doivent se distinguer du « common man ».

Mais cette critique ne peut plus suffire à décourager l’abstention au second tour. Avec seulement deux candidats dans la course, les citoyens français ne peuvent plus choisir qu’entre un nationalisme d’extrême-droite et un libéralisme de gauche. Parce qu’il a converti non seulement des abstentionnistes militants aux vues radicales, voire parfois anarchiques, mais aussi une bonne partie des hésitants à s’abstenir, le meilleur et pire argument en faveur de l’abstention est l’idée commune que l’on devrait voter pour, et non contre un candidat.

Cela aura influencé le taux élevé, bien que moins élevé que prévu, d’abstention au premier tour (22,23%) mais présente encore une forte dissuasion de participer au second. Tout semble indiquer que ces nombres vont augmenter quand l’électeur responsable ayant soutenu le candidat le plus proche de ses idées la semaine dernière rejoindra l’aristocrate dans l’abstention.

Cette dissuasion de voter contre Le Pen est si forte en effet que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et François Fillon ont commencé à pétitionner pour un second tour à quatre candidats, du jamais vu dans l’histoire électorale. Elle est d’autant plus forte que Jean-Luc Mélenchon lui-même a choisi de ne pas appeler à voter Emmanuel Macron.

C’est là que le bât blesse. C’est une chose de s’abstenir au premier tour parce qu’aucun candidat ne plaît – bien que, soyons francs, le choix peut difficilement être plus vaste. Admettons. S’abstenir dimanche pour la même raison en est une autre. Confondre les deux est une dangereuse incompréhension, au contraire.

consultation citoyenne

A 66%, les Insoumis plébiscitent le vote blanc ou l’abstention au second tour.
Consultation citoyenne des Insoumis (02/05/17)

Voter contre, c’est toujours voter. C’est exprimer une vision de la société dont on veut le moins. Et le système électoral français donne une place toute spéciale à ce vote contre : le second tour. C’est le moment où l’élection présidentielle française prend des airs de campagne américaine à deux partis.

Aussi, cette logique du voter-pour-pas-contre n’est pas aussi puissante dans les systèmes bipartisans ; c’est évident au Royaume-Uni, où les électeurs établissent déjà des tableaux stratégiques pour contrer le parti de Theresa May aux prochaines élections générales, soit que les Lib-Dem ou le Labour soit le meilleur choix à faire.

Et pourtant, le pouvoir de cette logique en France reste un bon signe. Il montre que dans notre système politique pluraliste, voter contre n’est pas une fatalité. Grâce au premier tour multi-partisan, de nouvelles forces politiques peuvent s’élever en-dehors des deux partis traditionnels, comme « En Marche! » l’a montré dimanche.

Voter pour un candidat en lequel on croit, peu importe les forces du « système », est une vraie possibilité, ce que démontre encore le très honorable score de « La France Insoumise » au premier tour.

Cette logique cependant oublie que voter contre est parfois une nécessité – et il est difficile de voir quand il pourrait être plus nécessaire que maintenant. Mais elle oublie aussi que c’est essentiellement une opportunité.

En effet, le 7 Mai sera le moment d’élever le débat sur une vision d’ensemble. Le premier tour abordait les questions  européennes, de chômage et de corruption. Le second tour opposera une société ouverte à un Trump à la française.

Et la priorité sera donnée aux valeurs communes, non pas à l’économie. A l’interprétation qu’on donne des valeurs de liberté, de laïcité, de souveraineté, et non à la hauteur de ses impôts. C’est pourquoi des électeurs de Fillon s’engageront dans un vote lepéniste, bien que ces programmes économiques s’opposent radicalement.

C’est pourquoi aussi on ne s’attend pas à un vote important des électeurs de Mélenchon pour Le Pen, malgré la relative proximité de leurs politiques étrangères.

Loin de moi l’idée de féliciter la France d’avoir mené Marine Le Pen au second tour. Mais, elle donnera l’opportunité à la société française de dépasser la petite politique pour faire de la grande : le second tour dira qui elle veut être, et plus encore, comment elle veut être vue.

Ce temps politique offre d’ailleurs une barrière à cette autre logique abstentionniste : qu’un seul vote ne compte pas. Ce second tour sera au contraire le temps phare de la participation.

Le risque de déconfiture n’a jamais été aussi élevé au cours de la Vème République. Le choix aura rarement été aussi décisif. Si bien que notre vote n’aura jamais eu autant d’importance, ni de signification qu’aujourd’hui. Plus qu’un vote, c’est le moment de faire partie de l’Histoire.

Enfin, n’oublions pas que c’est une chance de pouvoir calibrer la direction des cinq prochaines années, quand bien même notre destination de choix vient d’être exclue. La France reste un des seuls pays à adopter le second tour dans toutes ses élections – présidentielles, législatives, régionales et départementales.

N’est-ce pas un système électoral censé, et vraiment participatif, qui permet à vos intérêts d’être représentés à un certain degré, après que votre candidat a quitté la course ?

Nous devrions tous prendre le second tour pour la chance qu’il est, et cesser cette recherche individualiste de candidats sur-mesure, et ce dégoût du vote « Contre ».

Si l’on y pense, un vote « Contre » n’est rien d’autre que le prix à payer pour vivre en société : « You don’t always get what you want, but if you try sometime, well you just might find, you get what you need », disaient les Stones.

Ibtissem Guenfoud

Ibtissem Guenfoud est diplômée de Paris II Assas et de la Humboldt-Universität de Berlin. Elle prépare actuellement un LLM à King’s College London. Elle commente régulièrement le traitement des droits fondamentaux en Europe pour le Verfassungsblog: On Matters Constitutional et elle est stagiaire pour la plateforme journalistique Tremr. Elle a créé LeBinational en janvier 2017. Ce blog dédié à l’actualité politique française et algérienne, fait pour et par des binationaux

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