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Ce que les Gilets jaunes racontent de la France

Que dit la crise des Gilets Jaunes? Rarement un mouvement spontané n’avait autant bousculé le sommet de l’Etat. Parti de la hausse du carburant, les Gilets jaunes permettent de dézoomer sur une société française, dépassée par la question socio-économique. 5 points clés soulevés par les Gilets jaunes.

Le carburant, la goutte de trop

À lire la liste des revendications des Gilets jaunes, la question dépasse la simple hausse des carburants. Car, c’est du sentiment d’injustice fiscale qu’a démarré le mouvement.

Censée financer la transition écologique, la taxation supplémentaire sur le diesel, dont les pouvoirs publics ont fortement incité les Français à l’achat de ce type de véhicules, a connu une augmentation de 4 centimes d’euros pour l’essence et 7 centimes d’euros pour le diesel en 2018. Un cap que l’exécutif compte bien tenir.

Jusqu’en 2022, les carburants étant censés augmenter en continu. Avec un objectif, rendre l’essence moins couteuse car jugée moins polluante que le diesel.

Parmi les causes de cette augmentation, la contribution climat énergie (CEE), sorte de taxe carbone incluse dans les taxes sur les carburants et le fioul.

Or, les Gilets jaunes, forcément impactés par la baisse du pouvoir d’achat depuis 2008  ( pas loin de 500 euros de baisse en moyenne) refusent cette nouvelle taxe qu’ils jugent injuste.

Surtout, ils pointent l’absence de TICPE et de TVA sur le kérosène ou le soufre. D’ailleurs, selon la Fédération France Nature, un cargo émettrait autant de soufre que 50 millions de voitures. Comment justifier, alors, l’équité de la fiscalité écologique ?

Le rapporteur de la commission des finances du Sénat, le confessait, le 7 novembre dernier, la hausse de la fiscalité écologique nourrit « un objectif de rendement ».

La fin de l’Etat-providence?

La question de l’injustice de l’impôt est au cœur des revendications. Avec un taux de prélèvements obligatoires record, la France est un pays où la recette fiscale représente près de 50% du PIB. Le cadre de l’impôt, basé sur la solidarité, est donc le fond du problème.

Or, et c’est important de complexifier le sujet, la France est en tête de la redistribution. En matière de dépenses de protection sociale, par exemple, elle culmine à la première place européenne.  Une place qui illustre bien sa conception de l’Etat-providence.

Les Gilets jaunes remettent-ils alors, à travers leur critique de la fiscalité , le modèle redistributif et donc l’Etat-providence ? Rien n’est moins sûr.

La dégradation des services publics, illustrée par la situation dans les hôpitaux  soumis à des questions de rentabilité, symbolise bien cet État-providence qui ne tiendrait plus ses promesses.

Payer des impôts oui, encore faut-il en profiter pourrait-on lire en filigranes dans les revendications.

La dimension symbolique en creux

Le 29 novembre, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, se voulant rassurant, expliquait que « ce n’est pas un phénomène de masse », à propos des GJ.

Une conclusion hâtive et qui élude surtout la dimension symbolique du mouvement.

Malgré la faible mobilisation numérique, les Gilets jaunes sont parvenus à mobilier à l’échelle nationale, réseaux sociaux aidant, à un instant T. Fait inédit, les régions, là où le déclassement se fait plus palpable, se sont avérées à l’avant-garde de la protestation.

Si les principales figures des GJ sont politisées, le mouvement n’est officiellement affilié à aucun parti, ni syndicat. Parti du « peuple », il s’apparente davantage comme le souligne Gérard Noiriel à des « sans-culottes et des communards que des poujadistes ou des jacqueries ».

Regardés au début de la Révolution française avec mépris par les dominants, les sans-culottes initient le soulèvement populaire qui sonnera la fin de l’Ancien régime.

Pourquoi, le rapprochement des Gilets jaunes avec les sans-culottes est pertinent ? Parce qu’il replace la question du mépris des élites à l’égard de toutes ces Frances, qu’elles soient périphériques (au sens défini par Christophe Giully), rurales ou issues des quartiers populaires.

Et surtout, elle interroge la fragmentation de la société française où les colères sont, finalement, le point commun qui pourrait devenir point de ralliement pour ces Français, regardés de haut par la classe dominante.

Symboliquement, les GJ réveillent le vieux souvenir de la Nuit du 4 août, avec la volonté très nette d’en finir avec une France des privilégiés vs des déclassés.

La désunion, planche de salut de Macron

C’est justement, l’un des enjeux que révèle la crise des Gilets jaunes. Figure de la Révolution française, Mirabeau écrivait : « La France est un agrégat de peuples désunis ». Et c’est précisément, la désunion des Français qui prémunit le chef de l’Etat d’une insurrection, c’est-à-dire du renversement du pouvoir.

En France, les colères sont nombreuses mais elles sont fragmentaires. Chacun fulmine dans son coin et à partir de ses propres causes. Ainsi, l’on parle beaucoup de la France périphérique comme incarnation des GJ mais la liste des revendications publiée par le mouvement en atteste.

Les quartiers populaires, la ruralité et même les métropoles peuvent se retrouver dans les demandes en question. Le comble serait, et c’est le principe de la convergence des luttes, l’union de ces colères.

Pour l’heure, si certains représentants des quartiers populaires appellent à rejoindre les Gilets jaunes, la convergence semble encore minoritaire. D’autant que les agressions racistes du 17 novembre ont donné une empreinte « extrême-droite » au mouvement.

Le séparatisme social, ciment inconscient de la révolte

Cette désunion trouve son point d’orgue dans le séparatisme social qui s’est fortement accentué ces 30 dernières années.

Une note éclairante de la fondation Jean Jaurès publiée en février dernier montre bien comment les élites ont fait sécession par rapport au reste de la société française. 

Véritable moteur dans une société, elles ne jouent plus ce rôle, celui d’assumer la solidarité nationale et d’œuvrer en faveur d’un destin national.

Là, où il aurait dû ouvrir la voie à une négociation d’égal à égal, l’exécutif a campé sur ses positions. 

Le sentiment d’une élite repliée sur elle-même, occupée à la préservation de ses privilèges prédomine. Et c’est précisément, la figure d’Emmanuel Macron, teintée d’arrogance juvénile, qui incarne le mieux cet entre-soi.

Élu président de la République à 39 ans, son discours fondé sur la volonté d’en finir avec les privilèges républicains, incarnés pour lui par les fameux « corps intermédiaires » s’est retourné contre lui.

Affaire Benalla, augmentation des salaires ministériels, moquette de l’Elysée a 300 000 euros. Autant d’affaires, qui même déconstruites, laissent dans l’esprit des gens, le sentiment d’une élite baignant dans l’opulence, là où des millions de Français peinent à boucler les fins de mois.  

À cela s’ajoute, la dichotomie Paris/Province. Si le 17 novembre a fait recette dans les provinces, c’est à Paris que le mouvement, a pris un tour extrêmement violent le 24 novembre puis le 1er décembre.

Le hasard n’existe pas. Dans un Etat très centralisé où le centre décisionnel est à Paris, détruire les Champs Elysées, n’est pas anodin.

Et après ? Si le gouvernement appelle au dialogue, Emmanuel Macron a joué la montre, sûr d’un mouvement sans consistance. Une erreur tant la radicalisation crescendo du mouvement est visible.

Là, où il aurait dû ouvrir la voie à une négociation d’égal à égal, l’exécutif a campé sur ses positions. Le problème ? Plus les négociations tardent, plus les revendications augmentent, réduisant la marge de manœuvre du gouvernement.

En d’autres termes, Macron va certainement renoncer à sa posture ferme et céder à des exigences jusqu’ici inenvisageables. D’autant, qu’une nouvelle mesure, le prélèvement à la source entre en vigueur le 1er janvier 2019. Il est fort à parier que, dans un contexte d’érosion de pouvoir d’achat, l’impact psychologique pourrait pousser certains GJ à « aller chercher » Macron.

Nadia Henni-Moulaï


Photo de Une ©Farid Benlagha

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

Comments (2)

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    annie paturaud

    vous avez ciblé juste
    enfin un regroupement d’idéologie commune sans y inclure une notion d’étiquette politique qui ne veut plus dire grand chose aujourd’hui
    je souhaite très sincèrement que votre bébé grandisse rapidement et que nous puissions enfin agir vraiment pour notre planète , nos enfants et petits enfants
    IL Y A URGENCE MERCI pour tout ce que vous pourrez faire

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    Melting Book

    Merci Annie!

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