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Le communautarisme commence à la maternelle

Comment les débats publics impactent le quotidien des Français. À partir d’une scène de vie réelle, MeltingBook revient sur un concept qui a largement infusé la société française : le « communautarisme ».

La scène se passe devant un groupe scolaire des Hauts-de-Seine (92). Deux mamans, Z. et F. discutent avant de s’accrocher. Toutes deux sont françaises, d’origine maghrébine. Leurs enfants respectifs sont en maternelle. Pomme de discorde ? L’une reproche à l’autre, l’attitude de sa fille, scolarisée en grande section de maternelle :

  • « Je voulais vous parler…parce que votre fille a dit à la mienne qu’elle ne voulait pas jouer avec elle…parce qu’elles ne sont pas originaires du même pays… »

  • « Comment ça ? C’est une blague ? Je vous arrête tout de suite… »

  • « Ce genre de propos vient de l’éducation, elle a dû entendre cela à la maison ! »

  • « Vous sous-entendez que nous sommes racistes ? C’est incroyable. D’une histoire de gamines, vous tirez des conclusions insultantes !»

  • « Non mais c’est vrai ! Ca vient de la maison, de comment vous éduquez votre fille… »

La maman incriminée, née de parents maroco-algériens, mariée à un Franco-guyanais des Antilles voit rouge. Furieuse, elle évite, pourtant, les esclandres. Leur chemin se sépare. Butée, la maman accusatrice lâche, alors, un terme. Un terme transformant une broutille de cours d’école en un épisode révélateur de l’état de la société française.

  • « Vous êtes une communautariste ! », s’emporte t-elle, avant de s’engouffrer dans la rue perpendiculaire.

La pique offre le dernier mot à la maman accusatrice. Z., les yeux écarquillés, est abasourdie.

Sous les yeux d’autres parents, elle reçoit l’accusation de « communautarisme » comme une gifle, la laissant ébranlée. Évidemment. L’accusation est lourde de sens. L’espace d’un instant, l’impression d’être sur un plateau de télévision, où le concept y a gagné ses gallons, prédomine. Or, la scène se passe bien dans la vraie vie, devant une école, à 8h30, juste avant la classe.

Monosémie du mot

Si la maman, à l’affût de velléités communautaristes de son interlocutrice, n’aborde pas la question religieuse, l’usage du terme « communautariste » provient, indéniablement, de la langue médiatique, assimilée par des millions de Français, à coup de matraquage télévisuel.

Prenons le comme un fait. Et c’est bien le nœud du problème. Bien qu’elle-même d’origine maghrébine, aurait-elle lancé cette accusation de communautarisme à une personne, blanche et non-musulmane, d’apparence, si l’on ose ?

La réponse semble évidente tant le terme est assigné à une frange de la population française.

Du « nationalisme » à la question « musulmane »

Très connoté, le mot « communautarisme » renvoie, quasi systématiquement, aux musulmans, soupçonnés de manigancer dans le dos de la République « une et indivisible ».

Jusqu’à preuve du contraire, dans les médias de masse, ce terme ne s’applique jamais, par exemple, au communautarisme social.

Entré dans le Larousse en 2005, le « communautarisme » existe-t-il pour autant ? Après une longue discussion avec le sociologue Fabrice Dhume, auteur du très documenté « Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme française » (Ed.Demopolis), la véracité du concept s’effrite, sérieusement.

Communautarisme Française couv

La reconnaissance médiatique et intellectuelle du « communautarisme », tranche avec le vide « scientifique » qu’il représente sur le terrain.

Selon Fabrice Dhume, « le communautarisme n’a pas de substance scientifique » sur le terrain.

Brandi comme un gage d’assise intellectuelle, le concept est devenu, au fil de la décennie 2000, une vérité générale, par l’entremise de figures publiques, soucieuses de valider des opinions plutôt que des faits.

Depuis la fin des années 1990, cette fabrique de l’opinion, fonctionne en vase clos, unie contre un ennemi commun.

Dans sa ligne de mire, d’abord, les « jeunes » des quartiers. Notez le substantif régulièrement usité, symptôme récurrent d’une vision fantasmée et monolithique des habitants de banlieue. Manifestation d’une forme de condescendance aussi.

Gommer les spécificités des individus ne revient-il  pas à les réduire à une chose, comparable à un magma répulsif ?

A ces « jeunes » s’est, ensuite, greffée la question de l’islam, notamment. Et c’est par la critique de cette religion (envisageable dans une démocratie), que s’est opéré le rejet de leur incarnation, à savoir les musulmans.

Triple punition

Ces mêmes musulmans à qui l’on reproche de ne pas être rentrés dans le rang, d’avoir embrassés la religion de leurs pairs. Premier point d’achoppement.

Dans une France, post-mai 68, où moins de 5% des Français déclarent aller à la messe chaque dimanche, où Christine Boutin est la figure de proue des catholiques, comment accepter que des Français, nés dans l’Hexagone par un accident de l’Histoire, puissent opérer un retour au religieux ?

Cette réalité insolente voire subversive a donc un coût. La diffamation perpétuelle des citoyens musulmans et la façon dont des figures médiatiques ont fait monter le concept de « communautarisme » en est le prix. Premier niveau de punition.

Le simple fait de « croire » est en soi objet de relégation. La religion n’est pas en odeur de sainteté en France. Entendons-nous bien. Cette frange de la population, qui dans son écrasante majorité, est en phase avec la République et ses lois. Une frange de la population composée de citoyens, qui apporte leur contribution à la France, qui exerce leurs droits mais aussi leurs devoirs. Une réalité qui va bien à l’encontre du récit médiatique, celui des « communautaristes », ennemi de l’intérieur, pour paraphraser un ancien Premier ministre.

Islam, hors d’Europe

Deuxième point d’achoppement, l’islam comme objet exogène à la République mais aussi conquérant. Cette diffamation habituelle répond à un deuxième niveau de punition. À cette religiosité rejetée par les faiseurs d’opinion, l’appartenance à l’islam, en tant que tel, accentue l’ostracisation des musulmans. Un racisme, souvent masqué par la défense de la laïcité, mais qui traduit, en réalité, une méconnaissance des textes de lois.

La laïcité a toujours été un concept clair et donc toujours énoncé aisément… Pas étonnant, dans ce contexte chargé d’adversité, que des musulmans peinent à trouver leur place dans une France ambivalente, jadis « fille aînée de l’Église » (qui perdure dans son ADN) et allergique à la religiosité.

On ne citera pas les « racines judéo-chrétiennes de l’Europe », mentionnées dans le projet de constitution européenne, rejeté en 2005 et rédigé par Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la République. Quid d’Al-Andalus ? Sept siècles de coexistence que seule la malhonnêteté intellectuelle ambiante de certains s’évertue à masquer…

Face à des musulmans, dont la majorité conjugue identité républicaine et spiritualité musulmane, ces ambivalences n’en sont que plus criantes. Finalement, les Franco-musulmans ne seraient-ils pas un miroir inversé et douloureux pour cette France en proie aux contradictions ?

Islam modéré VS islam visible

La punition comporte un troisième niveau qui s’exerce sur les musulmans visibles. Visibles dans leur apparence physique, le voile des femmes musulmanes étant l’objet de crispation par excellence. Visibles aussi par leur expression, notamment via les réseaux sociaux, nouvel eldorado médiatique pour des populations jusqu’ici habituées à la confiscation de leur parole. Dernier point d’achoppement, donc.

Les accusations de « communautarisme » répétitives relèvent, donc, d’un triple châtiment dont ces citoyens peinent à se départir. Avec un rapport de force médiatique déséquilibré, ardu de faire entendre leurs voix. Pas impossible pour autant…

Or, le débat public à ce sujet a, depuis, l’émergence de la question « communautariste » versé dans l’irrationnel.

À la manière de la langue proverbiale maniée avec talent par Jean-Marie Le Pen —une langue difficile à contrer car faite de vérité générale—, le discours médiatique sur le communautarisme titille la fibre émotionnelle de la peur.

Pas étonnant, alors, de voir pulluler, non pas l’art de la guerre, mais son vocabulaire dans la presse ou les sphères « savantes ». « Territoires perdus », « islam conquérant », « combat », « sonne le glas ».

Et si la presse assumait enfin ?

Les influenceur-e-s en sont convaincus. La France est en guerre. Une guerre de valeurs où la réalité de terrain et les faits ne font pas le poids. Paradoxe totalement assumé, nous sommes dans le règne de la mauvaise foi après tout.

Nos éditocrates fréquentent-ils ces publics qu’ils incriminent à longueurs de temps ? Pas vraiment. Un fait défendu, fièrement, par le patron des éditocrates, Christophe Barbier. Dans une interview récente, l’ancien directeur de l’Express, déclarait avec aplomb ;

« Se confronter au terrain pollue l’esprit de l’éditorialiste », Le JDD, 14 avril 2017

Qu’est-ce que le journalisme sans connaissance (du terrain) sinon l’équivalent de « la science sans conscience » ? Du journalisme à la propagande, il n’y a qu’un pas. Et il semble franchi.

Dans la vie quotidienne, ce travail de sape fait par « ceux qui ont de l’esprit », donc, commence à porter ses fruits.

La scène des deux mamans en est un exemple – fait rare- concret. Car, cette atmosphère anti-musulmane se propage dans le registre de l’indicible. Elle est semée par les sachants médiatiques et germe dans l’esprit de Français, à l’abri des regards.

Ils n’assument pas. Sauf dans l’intimité de l’isoloir. Doit-on rappeler les 11 millions de voix de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?

On pourra dire que les attentats de 2015 sont passés par là. Oui. C’est vrai. La peur, la colère et la tentation de l’amalgame sont des réactions, malheureusement, réelles.

Mais où sont nos « sachants » ceux censés élever les consciences ? La France est un grand pays, celui du débats d’idées, non ?

Les derniers chiffres de l’IFOP/le JDD sont, d’ailleurs, édifiants. Pour 61% des Français, la lutte contre l’islam radical est prioritaire face à la question des retraites (41%), l’école (36%) ou l’emploi (36%).

Oui, édifiant, cette façon de gommer le profil social des terroristes. Avec une bonne trajectoire scolaire et professionnelle, devient-on terroriste ? Nos « sachants » auraient pu apporter des réponses à cette question de premier plan.  À cela, ils préfèrent le populisme et la manipulation de l’ignorant.

Récemment, une étude parue aux Etats-Unis, montre que les médias donnent aux attaques commises par des musulmans 446% plus de visibilité que celles perpétrées par d’autres personnes. Un chiffre qui illustre le biais des journalistes sur le sujet. Si l’objectivité n’existe pas, les faits restent les garants de la vérité. Même dans le contexte d’une guerre idéologique.

Nadia Henni-Moulaï

 

Raconter, analyser, avancer.

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