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« Il faudra rester vigilant sur la nature des textes de l’état d’urgence sanitaire »

[#Interview]

L’état d’urgence sanitaire est entré en vigueur, mardi 24 mars 2020. Destiné à déployer un ensemble de mesures contre la pandémie de Covid 19, le texte permet à l’Etat de reprendre la main dans un certain nombre de domaines, en matière de liberté de circuler notamment. Léopold Lambert, fondateur de la revue anglophone The Funambulist, livre quelques réflexions. Sans tomber dans la binarité, il apporte quelques éléments de perspective.

La France et le monde traverse une crise inédite. La loi d’état d’urgence sanitaire vient d’entrer en vigueur aujourd’hui. Avec ce texte, est-ce le sanitaire ou le répressif qui prime ?

Léopold Lambert : Dans ce texte, il y a des éléments calqués sur la loi d’état d’urgence. Mais, pour ma part, je lui trouve plutôt une similitude avec les pouvoirs spéciaux mis en place pendant la Révolution algérienne.

Léopold Lambert

La particularité de ces pouvoirs, voté le 13 mars 1956, est qu’il donne au gouvernement le pouvoir de prendre des décrets soi-disant nécessaires au maintien de l’ordre et à la protection des personnes, notamment.

Il faudra que l’on soit particulièrement vigilant sur la nature de ces textes.

Il est aussi important de rappeler que quand on parle de l’état d’urgence, 80% de ce qu’il y a dedans est déjà dans le droit commun depuis la loi SILT du 30 octobre 2017.

Sur quels points ?

L.L. : Sur les mesures annoncées, et au risque d’être binaire, il y a dans le texte, ce qui promet des bonnes mesures et d’autres desquelles la méfiance sera de mise.

Parmi les mesures intéressantes, les réquisitions pour répondre à la pandémie. Si l’on est un peu rêveur, on peut imaginer des réquisitions de logements pour les personnes sans-abris ou celles qu’on aura libérées de toutes les prisons et centres de rétention.

On peut aussi penser à des réquisitions d’usine pour produire des masques pour les soignants, mais aussi les caissiers, les ouvriers, les livreurs, les éboueurs. Toutes les personnes qui font, finalement, que les personnes confinées puissent l’être. Mais, vu la situation, il est difficile de faire des procès d’intention.



Les mesures sanitaires sont évidemment fondées. Mais lier crise sanitaire et état d’urgence, cadre souvent connu pour favoriser les abus, était-il judicieux ?

L.L. : L’autre côté de la loi relève de la cessation de la liberté de circuler. Critiquer ces mesures ne veut pas dire remettre en cause l’idée selon laquelle chacun.e devrait rester chez soi — même si on voit bien que ce confinement ne concerne pas beaucoup de profession d’ores et déjà précarisées. Ce qui me pose problème, c’est le fait que chaque loi porte en elle-même les moyens de punir celles et ceux qui ne respectent pas celle-ci.

Les mesures punitives vont jusqu’à 6 mois d’emprisonnement; c’est le système pénal et carcéral habituel. Et bien-sûr, on sait bien qui sont ceux qui sont punis par la loi.


Et contrairement à ce que l’on a pu entendre, le fait d’avoir des gens qui sortent n’est pas lié à la classe sociale où l’on se trouve. Les personnes qui sont dehors, cela concerne tous les quartiers. Ce n’est pas lié à la classe sociale.


Le comportement qui est propre à une classe sociale particulière est de voir que beaucoup de Parisiens ont quitté la capitale et ont rejoint de plus petites localités ou la campagne. Égoïsme bien bourgeois de se moquer du risque de contaminer d’autres régions et en plus ils nous font lire leurs journaux intimes !

Vous percevez donc que des populations sont plus contrôlées que d’autres ?

L.L. : D’un point de vue systémique, ce sont les couches populaires, en particulier les personnes racisées qui sont souvent visées par la police et par les structures racistes de l’état français.

Et c’est quelque chose qui se joue à tous les niveaux décisionnaire, des plus hauts jusqu’à ce qu’on peut appeler le degré discrétionnaire de la police, c’est-à-dire ce qui fait que la police décide elle-même : contrôler un quartier plutôt qu’un autre, une personne plutôt qu’une autre, fermer les yeux pour l’une et déployer une grande violence à l’encontre d’une autre.

Je pense qu’il faut être bien plus inventif et solidaire pour répondre à la situation plutôt que de faire des lois qui existent au mieux pour faire du spectacle politique et au pire qui peuvent renforcer un arsenal pénal et carcéral d’ores et déjà sur-violent.

Propos recueillis par la Rédaction

Raconter, analyser, avancer.

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