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François Dubet: « Les inégalités scolaires sont favorables à une partie de la population »

Le dernier rapport Pisa, Programme international pour le suivi des acquis des élèves, (OCDE) est sorti lundi 22 octobre. Comme pour la version précédente, la France perpétue les inégalités scolaires. L’école française, temple théorique de l’égalité républicaine, maintient le continuum avec les disparités sociales. Sans que les pouvoirs publics ne parviennent à contrer ce phénomène.

Spécialiste des inégalités scolaires, le sociologue François Dubet livre ses éclairages pour mieux en comprendre les ressorts. Il explique pourquoi la France produit des élites et…des inégalités de masse. Un entretien de 2016, toujours d’actualité.

N.H-M : Qu’entend-on précisément par « inégalités scolaires » ?

François Dubet : Quand on aborde les inégalités scolaires, il faut toujours savoir de quoi l’on parle. La première inégalité est celle de l’accès à l’école. Il faut se rappeler qu’il y a un grand nombre de pays où l’inégalité fondamentale oppose ceux qui vont à l’école et ceux qui n’y vont pas. De ce point de vue là, la France a réglé la France.

La seconde conception de l’inégalité concerne résultats. Au fond, une école juste serait une école parler d’une école qui n’exacerbe pas les écarts entre les meilleurs et les moins bons des élèves.

La troisième définition des inégalités est celle à laquelle tout le monde pense, dans les pays développés, c’est plutôt l’inégalité des chances. L’idéal de justice serait que les inégalités sociales  entre familles n’affectent pas la performance scolaire. S’il y a 30% d’enfants d’ouvriers en France, il en faudrait autant à Sciences po, par exemple.

N.H-M : L’égalité des chances n’est, donc, pas vraiment d’actualité…

François Dubet : Plutôt que l’égalité des chances, ce sont les discriminations le problème. Globalement, les inégalités scolaires reposent sur la position sociale  des parents.

Elle a beaucoup de poids sur la réussite scolaire des enfants et les écarts de réussite entre eux.

Or, le cas français soulève un paradoxe. Du point de vue de son système scolaire, la France devrait être un pays très égalitaire.

Il y a une forte emprise de l’école publique, les enseignants sont tous  formés voire formatés de la même manière. Ils passent des examens nationaux, c’est une école quasi gratuite.

On devrait logiquement avoir une assez forte égalité scolaire. Mais on constate que ce n’est pas le cas.

N.H-M : En 2012,  déjà la France dégringolait à la 25e place et s’illustre par les écarts « jugés inacceptables par l’OCDE » entre les « bons » et les « mauvais » élèves. Et les versions les plus récentes de PISA sont claires. La France creuse l’écart entre ses élèves. Qu’en pensez-vous ?

F.D. : L’idée de classement est toujours un peu absurde. Si l’on compare un petit pays riche doté d’une population homogène comme la Finlande avec la France, ce n’est pas faisable.

Quand on compare la France à des pays proches en termes de population et d’amplitudes scolaires, l’école française est plus inégalitaire qu’elle ne devrait l’être.

Il y a une contradiction entre un modèle égalitaire et des résultats décevants.

N.H-M : Au fond, ces inégalités scolaires ne font que refléter la société française telle qu’elle est avec une élite très centralisée…

F.D. : En France comme partout dans le monde, les inégalités sociaux-culturelles entre les familles jouent un rôle très important sur les inégalités scolaires. Le problème est de comprendre pourquoi en France cela est plus criant.

Je pense que la France est déchirée entre une logique d’égalité scolaire et un modèle très centré sur la sélection des élites.

Ce n’est pas que l’école française produise des élites, tous les systèmes en font. Mais en France, elles  déterminent le fonctionnement du système.

N.H-M : Concrètement comment cela s’opère t-il ?

F.D. : Je prends un exemple. Quand le collège unique, où vont tous les élèves, a été créé en 1975, on a dit, c’est l’école de tous les élèves et on a opté pour un fonctionnement de proximité comme le petit lycée bourgeois élitiste.

Avec l’idée d’emblée de distinguer les élites. Or, on s’est retrouvé face à un collège exemplaire mais quasiment ingérable. D’une certaine façon, le modèle a été fait pour l’élite mais les élèves réels eux ne le sont pas forcément.

C’est une tradition française que l’on retrouve, par exemple, dans la dualité entre les grandes écoles et l’université. On la retrouve aussi dans la place reléguée de l’enseignement professionnelle.

Tout le monde sait bien que la valeur d’un diplôme tient à sa rareté et à sa sélectivité.

Tous ne se valent pas. Ce que les parents de classes moyennes et populaires ont bien compris. Ils poussent, donc, leurs enfants vers ces filières élitistes. Ce qui est logique.

N.H-M : D’où le souhait des parents de préserver ces filières d’excellence mises à mal par la réforme du collège?

F.D. : Tout à fait. Les parents ont demandé à garder les classes « européennes », les classes « latin », ces classes qui permettent de sélectionner.

N.H-M : Globalement, la réforme du collège vous paraît-elle répondre aux enjeux d’égalité qui animent l’école ? (proposé au moment de cet entretien par la ministre de l’Education nationale de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem)

F.D. : Je la soutiens. Le collège doit choisir d’être soit l’école commune de tous les élèves sans sélection soit permettre la pluralité de niveaux. Il faudrait proposer une véritable scolarité commune jusqu’à 16 ans.

Les élèves doivent pouvoir choisir entre des options en fonction de leurs niveaux, leurs goûts. Cela ne les empêche pas de rester dans les mêmes classes le reste du temps.

L’enjeu est de combiner les atouts de l’école commune et en même temps permettre une diversification des enseignements.

Les opposants à cette réforme préfèreraient voir créer des filières spécifiques et instaurer un examen d’entrée en 6e pour fonder un collège général et un autre technique et professionnel. Je pourrai vous dire l’origine de deux publics…

N.H-M : Lutter contre les inégalités scolaires revient avant tout à combattre les inégalités sociales. Le problème dépasse le simple cadre de l’école. Sur quels leviers agir ?

F.D. : Oui, tout est lié. A noter quand même, et c’est un paradoxe, la société française reste malgré tout assez égalitaire. Les Anglais ou les Américains sont beaucoup plus inégalitaires.

J’insiste aussi sur le fait que des élèves aux mêmes origines sociales peuvent connaître des inégalités de résultats assez marquées.

En moyenne, les élèves issus de l’immigration ont de moins bons résultats mais cela n’empêche pas qu’il y a de très bons élèves parmi eux et de très mauvais de classes moyennes. D’où l’enjeu de garder tous les élèves ensemble pour éviter de voir, dans les établissements la fuite des meilleurs éléments.

N.H-M : Quel rôle le professeur, lui qui est sur le terrain,  peut il jouer pour réduire les inégalités ?

F.D. : La figure du professeur est très ambivalente. D’un côté, la majorité des syndicats de professeurs défendent un rôle traditionnel, lié à l’idée de Nation, de la République. Un professeur, c’est un spécialiste d’une discipline qui fait des cours dans la discipline point.

Avec un programme ambitieux, signe de l’importance de la matière. Or, dans les établissements, notamment populaires, les professeurs se débrouillent. Ils font plus qu’enseigner, ils font du soutien, ils reçoivent les parents.

Une réalité qui écorne cette figure traditionnelle du professeur qui ne marche plus.

Les Français sont attachés à une sorte d’imaginaire scolaire pour des raisons historiques.

Quand l’Allemagne a reçu les résultats Pisa, défavorables, ils ont réformé. Les Français ont dit c’est une catastrophe mais ne changeons rien !

N.H-M : La question dépasse donc le clivage politique. L’approche des politiques-de droite ou de gauche- change t-elle fondamentalement la donne ?

F.D. : Depuis 40 ans, il y n’y a pas eu de rupture entre la gauche et la droite. Les ministres de gauche n’ont jamais aboli les décisions de la droite et vice-versa.

La critique de la réforme du collège, elle va du Figaro à l’Humanité et des syndicats plutôt « droite dure » à ceux de l’extrême gauche.

Il faut bien comprendre que les inégalités scolaires sont défavorables à une partie de la population mais favorables à une autre part des Français, à droite et à gauche.

Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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