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Salut les Terriens: combat de boue à défaut d’idées

Samedi dernier, Thierry Ardisson orchestrait un clash télévisuel dont il a le secret. Invité à parler du supposé vote musulman, Marwan Muhammad, directeur du CCIF a essuyé les attaques de Sonia Mabrouk, journaliste. Séquence prévisible mais frustrante.  Décryptage pour comprendre les messages non formulés de ce moment.

Qu’il jubilait l’homme en noir, l’homme au nom duquel il faudrait une cédille, selon le joli mot de Guy Bedos. Qu’il s’amusait de voir ces trois-là s’étriper. Il ne lui manquait plus qu’à leur lancer en régularité, d’un grognement, d’un « ouais, ouais », un peu plus de boue. La lourde, la grasse, celle qui tâche l’écran et les gens dont on parle, en prétendant ne pas parler en leur nom.

La dernière émission de Salut les Terriens a laissé comme un goût amer, une impression d’avoir assisté à un spectacle au sens de Debord. Un spectacle grotesque, au sens de débordement calculé aussi.

Honneur au « stratège » situationniste d’abord : « L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout ».

Remplacez « spectateur » par « spectateur musulman, de foi ou de culture ». Plus ce dernier a regardé ces trois personnes s’interpeller à coup de « vous êtes une caricature », « je peux finir », « islam-frère-musulman-intégrisme-bla bla bla », plus « ses gestes », sa parole lui était confisquée. Et moins il a compris « sa propre existence ».

D’abord le dispositif scénographique. Acte 1 : présentation de la principale protagoniste : Sonia Mabrouk est journaliste et jolie. Jolie journaliste. Mieux, jolie journaliste arabe. Tunisienne, née et grandie en Tunisie. Le détail est important.

La voici au milieu de 5 hommes. L’homme tronc la présente, avec par intermittence de sirupeuses musiques orientalisantes. Soit. Les clichés ont une peau de crocodile. Tout est fait, lors de cette présentation, pour ramener la journaliste à son « paraître » tout en faisant semblant de s’intéresser à son « être ». Le sous-entendu est constant de la part de l’homme à la cédille, comme un double dialogue étrangement sinueux.

Mais Sonia Mabrouk encaisse, le corps légèrement en retrait et rigide, « la galanterie à la française », celle qui exige qu’on réponde avec esprit aux remarques lourdes ou déplacées. Sonia Mabrouk se fait tout autant sinueuse devant les insinuations. Orientalisme libidineux, acte 256620. Mais passons…


Clash entre Sonia Mabrouk et Marwan Muhammad… par salutlesterriens

Puis, une fois que son physique et son esprit ont été passés au crible, voici le temps pour elle de montrer « pattes blanches ». La journaliste, que Valeurs actuelles présente comme « L’étoile montante du journalisme français », a droit à une lecture du portrait qui lui est consacré par le magazine à l’obsession si obsidionale.

Sonia Mabrouk serait « peu en phase avec l’image de l’immigrée maghrébine ; elle cultive une francophilie qu’on ne trouve plus que chez ceux qui ont cultivé l’ailleurs ». Voilà « l’immigrée-maghrébine » à la francophilie si peu probante  rhabillée pour l’hiver. Notons aussi que cette fameuse « immigrée maghrébine » fantasmée n’a souvent jamais « immigré », mais est née en France. Mais passons…

Voici Sonia Mabrouk érigée en modèle à suivre. Elle jalonne effectivement son discours de cailloux blancs : « « J’aime la France ; je suis franco-tunisienne ». Examen probatoire passé. Quand on lui demande pourquoi elle s’est élevée contre le hijab day à Science politique et contre le burkini, elle répond : « je n’ai rien contre le voile, c’est un choix, je ne dis pas que c’est une liberté ».

Un choix mais pas une liberté ? Sophisme ou tautologie ? Si le choix suppose précisément une liberté, en quoi le choix de porter un voile n’est pas une liberté ? Mais passons…

Or, contrairement à ce que sous-entend Valeurs actuelles, Sonia Mabrouk n’est pas une « immigrée maghrébine » au sens entendu du terme. Et soit dit en passant,comme la plupart des « zimmigrées-maghrébin(e)s » qui viennent régulièrement nous parler de l’Islam.

Zineb El Rhazoui, Kamel Daoud, Lydia Guirous, Sonia Mabrouk, Boualem Sansal, Mohamed Sifaoui et tant d’autres encore, ont tous en commun de ne pas avoir le même parcours que ces Français de la seconde ou troisième génération. D’abord, ces derniers sont nés, grandis et éduqués en France.

Zineb  El Rhazaoui, journaliste, face à Samia Hathroubi, militante française pour le dialogue interreligieux

Contrairement aux sus-cités qui sont nés et grandis de l’autre côté de la Méditerranée. Cette différence est fondamentale. Ils nous parlent, on les fait parler aussi, d’une réalité, l’Islam en France, l’Islam de France, dont ils ne connaissent rien faute de l’avoir vécue. Pire, ils posent sur la situation française une grille de lecture, une expérience inadéquate car pour le coup réellement importé.

Voilà pourquoi Lydia Guirous pourra dire tranquillement, lors de cette émission, « Mes parents ont quitté l’Algérie car ils avaient la trouille au ventre ; je ne veux pas quitter encore la France ». Voilà pourquoi les souvenirs horrifiques de la décennie noire de Sansal, Sifaoui ou Daoud n’ont pas à être transposés de force à une réalité française autre, forcément autre.

Voilà pourquoi l’expérience de vie de Zineb El Rhazoui, qui parle très bien de la situation faite aux femmes marocaines n’est pas forcément applicable à ce qui se passe en France.

Voilà pourquoi aussi Sonia Mabrouk, certes musulmane, mais grandie et élevée dans une famille favorisée et proche des milieux de pouvoir tunisiens ne comprendra jamais l’expérience de vie d’une jeune femme française, née dans une famille d’origine maghrébine. Apples and oranges…

Et puis, au final, constamment faire parler ces gens d’outre-Méditerranée pour parler d’une réalité dont ils ignorent tout, ne traduit-il pas aussi, pour certains médias, l’impossibilité d’intégrer (c’est le mot) le fait qu’il y a désormais des Français musulmans.

Et que ceux-ci n’ont plus grand-chose à voir avec le pays de leurs parents ou grands-parents. N’est-ce pas toujours les renvoyer à un caractère exogène, étayer l’idée qu’ils seront toujours un peu « à part », « en dehors » de la société française. Mais encore une fois passons…

Mais revenons à cette émission si parlante par ce qu’elle ne disait pas, mais suggérait, en filigrane grossier…et vulgaire. Après l’ex-position de Sonia Mabrouk, l’homme aux fiches lance ce qu’il appelle la « Battle d’idées ».

En bon français dans le texte. « J’appelle Marwan, Mo « rha »mâd » lance-t-il, et là un plan sur l’un des invités, Noom Diawara qui tique légèrement devant la prononciation exagérément gutturale. Soit, A-rh-disson n’est pas arabisant. Mais Muhammad, avec un « h » muet était tout aussi compréhensible et tout aussi français. Mais à nouveau passons, avec un soupir audible cette fois-ci…

Nous sommes la nation

Nous (aussi) sommes la Nation, dernier ouvrage de Marwan Muhammad (Ed. La Découverte)

Donc Battle des idées. Battle il y eu, indeed. En revanche, rien pour les idées. Lydia Guirous, Sonia Mabrouk et Marwan Muhammad, trois arabo-musulmans présentés comme tels, se sont donc écharpés sous l’œil goguenard, le ricanement parfois audible de l’homme en noir. Pour les autres invités, la gêne simplement, visible. Devant l’écran, la consternation aussi.

Bille en tête, monologue crescendo et regard fuyant (son interlocuteur ne semblait pas exister pour elle), Sonia Mabrouk se lance :

« Moi cela me fait rire les professionnels qui parlent au nom des musulmans. (…) Qui peut parler au nom des musulmans, personne ».

Donc Sonia Mabrouk, pas plus que Marwan Muhammad d’ailleurs, ne peut et ne doit prétendre parler au nom des Français musulmans. Pourtant, sans même noter la contradiction, elle fait justement ce qu’elle accuse son « adversaire » de faire. « Nous ne sommes pas des victimes », dit-elle dans un « nous » qui la fait de facto porte-parole d’une masse silencieuse qui ne lui a rien demandé. Pas plus qu’à Marwan Muhammad, encore une fois.

Puis elle traite ce  dernier de « caricature ». Quand il demandera pourquoi ce mot, elle balbutiera :

« Mais tout le monde vous traite de caricature ».

« Tout le monde », le nouveau « on » justificateur, qui permet de se réfugier derrière une autorité diffuse qu’on invoque quand l’argument est faible. Or « « on » est un con qui ne dit pas son nom » disait Deleuze. « Tout le monde » aussi. Ceci n’est pas argument.

Lydia Guirous, qui s’était fait une spécialité de terrasser de ses phrases un peu ténébreuses, voire confuses l’hydre islamiste, monte au créneau.

Car le créneau justement lui échappe. Sonia Mabrouk est tenace et montre qu’elle veut aussi s’en saisir. « J’ai écrit un livre, j’étais seule », lance Lydia Guirous faiblement, comme si elle s’offusquait qu’on vienne braconner ainsi aussi insolemment sur sa chasse-gardée de la lutte contre l’islamophobie.

Mais Sonia Mabrouk a senti le vent porteur et ne lâche rien : « Mais maintenant vous l’avez fait, arrêtez! »… Crêpage en vue ? Ricanement audible d’Ardisson. Consternation devant l’écran, encore une fois.

Pendant ce temps, gros plan sur Marwan Muhammad et un rictus d’énervement qui ne joue pas en sa faveur devant la gracieuseté de ses deux apostropheuses. « Marwan, allez-y, vu ce que vous prenez sur la gueule » lance, dans un nouveau jet de boue, l’homme à la cédille.

Mais le peut-il seulement, « y aller »? : « Avez-vous un lien avec les frères musulmans? » ; « Avez-vous un lien avec l’imam de Brest? », Mabrouk puis Guirous, Guirous puis Mabrouk, chacune tentant d’emporter le morceau. Re-soupir devant l’écran…

Etonnamment, cette émission nous a fait songer à une autre séquence télégénique. Celle de l’affrontement Sarkozy-Ramadan en 2003. Grâce à un léger différé opportun, on vit Nicolas Sarkozy affronter avec ses petits poings crispés, depuis Paris, le Mahométan genevois. Ce fut alors une superbe rampe de lancement pour le futur président français. Cette émission a peut-être été aussi pour Sonia Mabrouk un ballon d’essai pour remplacer sur une autre émission de « battle » une blonde concurrente. Qui sait ?

Le mot le plus sage de ce bain de boue revient sans doute à Gérard Jugnot, qui interrogé à la fin, répondit simplement : « Joker ». Joker en effet, le nom anglais du Bouffon. Voici venu le temps du règne des bouffons prédisait Umberto Eco…

Hassina Mechaï

Raconter, analyser, avancer.

Comments (1)

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    Duros

    « Zineb El Rhazoui, Kamel Daoud, Lydia Guirous, Sonia Mabrouk, Boualem Sansal, Mohamed Sifaoui et tant d’autres encore, ont tous en commun… »

    de s’inquiéter et d’alerter, chacun à leur façon, de la montée de l’islamisme et d’intrusmentalisations politico-religieuses, dont le CCIF est un parfait exemple.

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