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Un vote musulman pour Alain Juppé, est-ce bien sérieux ?

Omero Marongiu-Perria (ci-dessous) est sociologue, spécialiste de l’islam en France. Après les résultats de la primaire LR, il livre son opinion sur la stratégie de certains Français musulmans qui se tourne vers Alain Juppé, ce dimanche.

omero-marongiu-perria-copyright-coexistDepuis quelques jours des consignes de vote à destination des musulmans circulent dans la blogosphère et sur les réseaux sociaux. On y trouve des messages et des vidéos postés sur Facebook, au sein des groupes d’échanges ouverts et fermés, des sms et des mails pour inviter, parfois pour sommer les musulmans à faire barrage à François Fillon.

Ce dernier est présenté, après sa large victoire au premier tour des primaires de la droite républicaine, comme le nouveau diable qui voudrait en découdre avec les musulmans, dans le droit fil de Nicolas Sarkozy.

A chacun ses opinions politiques, les miennes sont ancrées à gauche, désormais bien à gauche du parti socialiste, et autant je combats les idées des partisans du libéralisme économique, autant je les respecte en tant que personne, là n’est pas la question. Je n’ai de même aucune leçon de morale à donner au sujet de la primaire de la droite.

Vote musulman, une chimère

J’essaie juste de comprendre la logique de certains leaders religieux et conférenciers musulmans, très actifs sur les réseaux sociaux. Lors des élections de 2012, ceux-ci ont expliqué à leurs coreligionnaires qu’il fallait voter contre Nicolas Sarkozy en sachant quel était le programme politique de François Hollande, en matière économique, sociale et dans l’extension de la non-discrimination par l’ouverture du mariage pour les homosexuels.

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Selon une enquête IFOP, 86% des Français musulmans ont voté  François Hollande pour la présidentielle en 2012

Cela ne les empêchera d’opérer un revirement à droite, par la suite, pour expliquer aux mêmes musulmans que la dimension « morale » devrait primer dans le choix des candidats. Selon eux, la moralité et les mœurs représentent un critère d’évaluation majeur des politiques. Dont acte.

L’argumentaire des leaders religieux semble assez bien rôdé dans l’utilisation du vocable lié aux « sciences islamiques ». Les outils de la stratégie politique – développés en partie par les mouvements islamistes contemporains – sont avancés, comme la maçlahah, à savoir l’intérêt, sous-entendu l’intérêt communautaire, non pas celui de la société en général, détourné de son sens dans les fondements du droit musulman.

On trouve également dans leur panoplie discursive la notion de awlâwiyyât, ou « priorités dans l’action », sorte de concept fourre-tout qui est utilisé dans les sphères de l’islam militant pour justifier des « alliances » de circonstances pouvant évoluer au gré du temps.

Parler de « priorités » pour justifier tantôt un vote pour untel, de droite ou de gauche, tantôt un vote pour son concurrent, avec pour seul argumentaire la recension des propos tenus en direction des musulmans ou une « proximité » supposée avec les valeurs de l’islam – lesquelles valeurs mériteraient d’être définies – c’est, a minima, adopter une vue bien réductrice de la politique et, a maxima, entrer dans un jeu communautaire nauséabond pour tous.

Improvisation

Au-delà de ces sauts sémantiques, ces leaders religieux affirmant à leurs coreligionnaires que François Fillon est le nouveau danger pour les Français musulmans, sont-ils capables de suivre une ligne de conduite et une stratégie cohérente ?

Si l’on s’en tient au plan de la morale, voici enfin un candidat, se déclarant sans ambages comme catholique et qui, au plan de la morale, partage la plupart de leurs idées sur la famille, sur l’ordre, sur l’avortement et sur la limitation de la loi Taubira pour les couples homosexuels.

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Christiane Taubira, alors Garde des sceaux, à l’origine de la loi sur la mariage pour tous.
(Photo/LeLab-Europe 1)

Ce sont autant de valeurs pour lesquelles les leaders religieux musulmans ont fustigé les candidats situés plus à gauche de l’échiquier politique et les musulmans ancrés dans une approche égalitaire stricte, au plan du droit, entre les citoyens.

De même, l’argument avancé pour promouvoir le vote en faveur d’Alain Juppé résiderait dans le fait que son projet politique serait moins agressif et qu’il n’aurait pas tenu des propos aussi vindicatifs que François Fillon à l’encontre des musulmans.

Là encore, il s’agit d’une vue de l’esprit bien courte, les propos du premier étant à peine moins intenses, au plan de leur violence symbolique que ceux du second. Il faudra également expliquer aux musulmans comment envisager le ralliement à Alain Juppé de Jean-François Copé, l’homme politique désormais célèbre pour sa fameuse allusion aux « petits-pains aux chocolat » que les petits musulmans subtiliseraient à leurs camarades.

Jean-François Copé, le 05 octobre 2012 à Draguignan

De ce point de vue, comme le soulignait, à juste titre, Hannah Arendt, dans son ouvrage Responsabilité et jugement : « Politiquement, la faiblesse de l’argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu’ils ont choisi le mal. »

Deux points, au moins, sont à mentionner considérant l’argumentaire religieux qui se diffuse sur les réseaux sociaux. Le premier est que certains leaders religieux profèrent des affirmations, dignes de « Madame Soleil », selon lesquelles c’est le « vote musulman » qui a éliminé Nicolas Sarkozy.

Voter, la tête froide

Sur cette base, ils utilisent une rhétorique religieuse pour culpabiliser jusqu’à l’indécence leurs coreligionnaires qui ne participeraient pas au second tour de cette primaire, en donnant leur voix à Alain Juppé. Prononcer ce type d’injonctions, c’est renvoyer un choix politique dans la sphère de l’appartenance religieuse communautaire.

C’est aussi créer encore une fois des confusions entre la foi, qui se traduit par une orientation vers Dieu, et qui est de l’ordre de l’intime, et des choix sur l’organisation de la société, pour lesquelles il n’existe pas d’approche unifiée, ni chez les musulmans ni chez personne d’autre.

Sauf à considérer que les choix politiques des musulmans sont dictés uniquement par l’évaluation des discours des représentants politiques sur l’islam, ce qui relève à mon sens du degré 0 de la conscience politique.

Aussi, les injonctions à agir dans l’émotion et dans la réaction aux faits immédiats, qui se doublent d’un « on avisera par la suite, après le deuxième tour des primaires », ajoutent encore plus de confusion à la confusion.

Le deuxième point est relatif à la stratégie communautaire. Par leurs propos, ces leaders s’inscrivent dans une stratégie ouvertement communautariste, certains insistant particulièrement sur le développement d’un lobby musulman.

Vous avez dit « lobby musulman » ?

A la veille de l’élection présidentielle de 2007, j’avais commis un article intitulé « Vous voulez faire du lobbying musulman ? Chiche ! » dans lequel j’exposais mes vues sur la question. Près de dix ans plus tard, la rhétorique de certains militants semble avoir été figée dans le temps.

Ce sont toujours les mêmes types de propos qui reviennent sur la nécessité de « faire comme les autres communautés », sur fond de comparaisons plus ou moins farfelues avec d’autres groupes présentés comme communautaires et soudés, les juifs en tête.

Mettre en œuvre l’inclusion des musulmans

Sur ce plan, je tente de faire prendre conscience aux leaders associatifs musulmans, avec lesquels je collabore, que le seul moyen de faire avancer les questions liées à l’islam est de les inclure dans les grandes questions de la société française contemporaine.

A ce propos, la seule démarche viable consiste à développer un maillage, extra-communautaire et non pas intra-communautaire, à l’échelle locale. Car les discours sur l’islam ne sont qu’un révélateur, parmi d’autres, d’un état global d’une société qui est de plus en plus fragilisée.

Mais les leaders musulmans s’intéressent-ils réellement aux problèmes de la société française, en dehors de la comptabilisation des propos islamophobes ? En développant des discours très vindicatifs à l’encontre de leurs coreligionnaires, ils contribuent à accentuer une fragilité déjà bien entamée au sein de la société, et l’illusion de l’existence d’un « vote musulman » risque bien d’ici peu d’amener un réveil des plus douloureux.

A chacun ses choix politiques, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche, qu’ils soient en faveur d’un François Fillon, d’un Alain Juppé ou de tout autre candidat à l’Elysée.

Dans le champ politique, si un candidat doit être combattu, c’est sur la base d’un programme global qu’il présente. Combattre François Fillon pour contribuer à porter Alain Juppé comme candidat de la droite par simple stratégie de circonstance est, de mon point de vue, ridicule.

Si c’est par conviction profonde chez des citoyens français, de confession musulmane, convaincus du programme d’Alain Juppé et qui iront jusqu’au bout de leurs idées après le second tour de cette primaire, alors respect !

Omero Marongiu-Perria

Sociologue

 

Raconter, analyser, avancer.

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