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Eric Roman : « Que ce soit les ordres sur les Roms, les SDF, les Nord-Africains ou les Noirs, j’ai pu les documenter avec des écrits »

Un « profilage racial et social » et « des ordres illégaux ». Le 13 avril, une décision du défenseur des droits Jacques Toubon dénonce des ordres donnés dans des commissariats contre les Roms, les Noirs ou les Nord-Africains. Et pour comprendre l’appel de J.Toubon, il faut remonter à 2012 et aux documents d’Éric Roman, lieutenant de police, au commissariat de 4e arrondissement, au coeur.

Sans lui, Jacques Toubon, défenseur des droits, n’aurait pu lever le voile sur ces profilages raciaux et sociaux : Eric Roman, lieutenant de police (passé capitaine début 2014 à l’ancienneté malgré la fiche de non-proposition à l’avancement), venu du Renseignement, est aussi secrétaire national du syndicat France Police – Policiers en colère.


Tout commence par une agression dans le 4e arrondissement de Paris. On est en septembre 2012 et le lieutenant Eric Roman vient d’être affecté dans ce commissariat du centre de la capitale. Suite à cette attaque, « la victime dépose plainte une semaine après les faits ».


Dans son récit, « elle pointe une bande de Noirs et de NA- Nord-Africains, selon le vocable de la Police », détaille-t-il. Un signalement qui marque le point de départ d’une partie des faits, aujourd’hui, révélés par Jacques Toubon.

Eric Roman, lui, se retrouve au cœur d’une matrice écrasante dont il réchappe par son intégrité.

« Suite à cette agression, j’ai reçu des ordres dont on pouvait dire qu’ils étaient stupides et illégaux. »



Eric Roman


« Minority report »

Sa hiérarchie lui intime un ordre :

« contrôler tous les Noirs et Nord-Africains présents sur l’arrondissement, à partir du moment où ils étaient plusieurs, pendant toute ma vacation, de 22h30 à 6h30 du matin. »

De procéder à des contrôles de police sur la base du faciès, donc.

Une pratique arbitraire et illégale destinée, selon E. Roman, à accumuler des descriptions, des noms, en prévision d’agressions futures hypothétiques. Si l’idée d’un fichier ne dit pas son nom, l’esprit y est.

« Avec ce type de données, la hiérarchie cherchait à anticiper les enquêtes en cas d’agression. Comme ça, si quelqu’un dépose plainte, derrière on avait les éléments… »,

explique Eric Roman.



Et d’ajouter, « sachant qu’un contrôle au faciès n’est pas légal et, en plus, on devait, en quelque sorte, créer un fichier… »


Des méthodes de travail dont sa hiérarchie semble coutumière. Au commissariat, E. Roman confie, alors, sa surprise et surtout son refus d’appliquer ces ordres. L’un de ses subordonnés temporise : « ah ça nous arrive ». Une manière de balayer le scepticisme de l’officier. Or, qui ne dit mot consent.


« On m’a dit d’être plus souple, de m’adapter »

Pour E. Roman, impossible de cautionner de tels manques au devoir de la Police qui mettent également en danger, pénalement et administrativement, les fonctionnaires placés sous son commandement.

Face à sa hiérarchie, il proteste et le martèle. « Ces ordres enfreignent la loi. » En face, son entêtement agace.

« On m’a dit d’être plus souple, de m’adapter », explique-t-il. Se soumettre ou de démettre. Mais, le dilemme n’est pas un tant le bon choix repose sur le respect de la loi. En République, le droit rien que le droit. Autre argument pointé, son inexpérience.

« Comme je viens du renseignement, je n’ai pas d’expérience en sécurité publique ». Eric Roman ne cède pas à ce qu’il définit comme une forme de mise au placard. Au prix de sa santé psychique et physique, à ce qu’il explique.

Décision du Défenseur des Droits n°2019-090, Paris le 02 avril 2019.

Ce refus sonne le glas de son équilibre personnel. « À partir de ce moment-là, j’ai subi un harcèlement moral », selon lui. Méthodique, sournois et invisible dont il détaille les ressorts : « j’ai été l’objet de trois enquêtes administratives dont une seule a abouti à une sanction, prononcée en conseil de discipline et depuis annulée par le tribunal administratif, mes notations ont été baissées malgré les bons résultats (toutes sont annulées successivement par le tribunal administratif sans être refaites). »



S’il a pu remporter huit contentieux devant le Tribunal administratif, sa carrière en demeure fortement freinée.

Il a également été muté, contre sa volonté, à un autre poste au sein du commissariat. S’il a pu remporter huit contentieux devant le Tribunal administratif, sa carrière en demeure fortement freinée. Dans son dossier administratif, la découverte d’une fiche de non proposition à l’avancement indique que la machine bureaucratique s’apprête à le broyer de toutes ses forces.

« En 2015, j’ai obtenu le droit de photocopier cette note », visiblement abusive, « auprès de la CADA ». Sauf, qu’entre temps, le document disparaît. Au terme d’une bataille judiciaire, Eric Roman obtient du tribunal la restitution dudit-document.

La hiérarchie choisit l’entrave passive, silencieuse même, car d’autres documents disparaissent. « L’administration préfère payer 25 euros d’astreinte par jour (passé à 50 euros en décembre dernier) plutôt que de restituer des notes d’affectation en journées manquantes », s’agace-t-il.

Ironique. Depuis un an et demi, l’Etat a été condamné à payer 4000 euros et est, aujourd’hui, à nouveau débiteur de 4000 euros auprès du plaignant.

« Nos impôts servent, donc, à financer le harcèlement que je subis »,

déplore-t-il, amer.


Situation ubuesque. Et qui révèle, en creux, tout d’un système gangrené par une forme-lâchons le mot- d’omerta, aujourd’hui, pointée par Jacques Toubon.




« Les fonctionnaires de base n’ont d’autre choix que d’obéir sous peine de harcèlement »


Que les documents, datés de 2012 à 2018 et transmis par Eric Roman au défenseur des droits suscitent autant d’émoi, c’est justement parce qu’ils illustrent, une fois encore, des résistances instinctives d’une corporation, visiblement, au-dessus de tout soupçon.

Si Eric Roman dissocie « les fonctionnaires de base, qui n’ont d’autre choix que d’obéir sous peine de harcèlement » du commandement, il pointe aussi, « la grande solidarité des commissaires. »

Une réalité, bien évidemment, impossible à vérifier jusqu’ici. Mais, les données écrites qu’Eric Roman a confié au défenseur des droits pourraient marquer un précédent.

« Que ce soit les ordres sur les Roms, les SDF, les NA ou les Noirs, j’ai pu les documenter avec des écrits »,

souligne t-il.



D’ailleurs, l’argumentaire de la commissaire du 4e arrondissement de 2017 à 2019, Mme Valart, questionne. Alors que le document détenu par Jacques Toubon mentionne bien des contrôles au faciès sur des SDF et des Roms entre 2012 et 2018, elle affirme avoir mis fin à la pratique lors de sa prise de responsabilité en 2017.

Un point réfuté par Eric Roman : « Certains documents datent de 2018…, elle a plaidé une erreur des effectifs »


Face à ces éléments, qu’attendre de cette nouvelle affaire ?


Peut-on espérer une avancée dans la lutte contre le contrôle au faciès, tolérés par bon nombre au nom de la sécurité intérieure ?

Pour sa part, Jacques Toubon, très impliqué contre ce fléau français, invite le ministère de l’Intérieur à « sensibiliser les fonctionnaires de police » du commissariat concerné « aux critères légaux de discrimination et aux stéréotypes pouvant conduire […] à des pratiques discriminatoires ». Le défenseur des droits est là dans son rôle.

Peut-il, pour autant, résoudre la question épineuse du contrôle au faciès en France ?


Difficile de l’affirmer tant elle cristallise d’une société française rongée par le racisme. Un racisme structurel entretenu par les hautes strates du pouvoir.

La réaction de Laurent Nunez, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, dresse des éléments de réponse.

En 2014, une note interne du commissariat du 6e arrondissement de Paris préconisait « d’évincer systématiquement » les Roms du secteur. L.Nunez, avait, alors, évoqué une « maladresse » lexicale. Pourquoi diligenter une enquête, alors ? Parce les Roms ne le valent pas.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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