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#ÉDITO De l’instrumentalisation du 19 mars 1962

Date de commémoration, le 19 mars 1962 sont signés les Accords d’Evian. Ce cessez-le-feu met fin à la guerre d’Algérie après huit ans de conflit. Cette date marque un tournant historique et nos populistes du Front national (mais pas seulement) lui vouent une véritable haine. Explications. 

Cette journée signe la 56e commémoration du cessez-le-feu en Algérie. Elle est censée rendre hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc, en vertu du devoir de mémoire, si cher à notre pays. En principe.

Mais aujourd’hui, les drapeaux français sont en bernes à Béziers, fief de monsieur Robert Ménard. Le maire Front national, comme tous les ans, marque la journée du 19 mars par ce geste politique au sein de sa commune. Geste inquiétant, tant il démontre l’expression au sein de la République, d’une autre Histoire.

#19mars1962 #AccordsDÉvian
À #Béziers, on ne célèbre pas un jour de deuil. Les drapeaux sont en berne. pic.twitter.com/nk5Oe3dm3y

— Ville de Béziers (@VilleDeBeziers) 19 mars 2018

Dans les faits, il s’agit de l’instauration de cette pratique dans sa commune et de la propagation « d’une parole officielle » sur un « récit alternatif » de l’Histoire commune. Or l’Histoire, c’est l’Histoire…

Il est aussi bien dangereux de constater qu’un élu de la République française peut s’enquérir de marteler sans vergogne que « le 19 mars est un jour de deuil. Et sa commémoration, un mensonge ».

Cette réinterprétation des événements de 19 mars n’a rien d’anodine.

Manier la guerre d’Algérie à des fins politiques

Ce #19mars, comme chaque année, les drapeaux seront en berne à #Béziers. Pour les #piedsnoirs, pour les #harkis comme pour tous ceux qui aiment et respectent la France, le 19 mars est un jour de deuil. Et sa commémoration, un mensonge.

— Robert Ménard (@RobertMenardFR) 19 mars 2018

Justement, nier la commémoration des Accords d’Évian, n’est-ce pas passé sous silence une partie sombre de l’histoire française ?

Robert Ménard est loin d’être le seul à réinventer son récit sur les réseaux sociaux. Des paroles dangereuses qui s’affirment dans les actes. En témoigne le symbole du drapeau tricolore en berne devenu rituel chaque année.

Les « nostalgériques » : des paroles et des actes

Le même Robert Ménard, avait débaptisé, la rue du 19 mars 1962, le 14 mars 2015, en la renommant «rue Commandant Hélie-de-Saint-Marc (1922-2013)», en référence à une des figures du combat pour l’Algérie française.

Là encore, ce grand remplacement passant d’une date au nom d’un officier putschiste laisse clairement deviner la nostalgie « Algérie française » du  maire d’extrême droite.

Certes, le 19 mars 1962 marque officiellement la fin de la guerre. Cependant les victimes du conflit furent plus nombreuses à partir de cette date. L’OAS, violemment opposé à l’indépendance de l’Algérie, ouvre une véritable campagne de terreur, multipliant les meurtres et les attentats.

Très vite les Français d’Algérie n’ont plus le choix qu’entre « la valise ou le cercueil » face à la politique de terreur et de terre brûlée menée par l’OAS. Un million d’entre-eux rejoignent, en 1962, la France dans des conditions très difficiles.

Le gouvernement français, dépassé, n’avait envisagé le devenir des Harkis, ces musulmans d’Algérie ayant servi sous le drapeau français, feignant de croire que les dispositions prises à ce sujet par les accords d’Evian seraient respectés.

Désarmés par la France et considérés par leur compatriotes comme des traîtres, les harkis sont victimes d’un véritable massacre après l’indépendance. Ceux qui ont réussi à rejoindre la France seront pour la plupart internés dans des camps.


Une instrumentalisation du devoir de mémoire

Au coeur de l’instrumentalisation politique du devoir de mémoire, un argument principal. Celui de cet épisode tragique de l’abandon des harkis.

En effet, pour Ménard et ses acolytes, les massacres de harkis ont été perpétrés après le 19 mars 1962. De facto la date du 19 mars ne permettraient pas de considérer la Guerre d’Algérie comme alors achevée.

Or il est nécessaire de rappeler que les historiens ne fonctionnent pas sur une répartition guerre/paix mais mettent en avant la notion de «sortie de guerre».

La tragédie des harkis et leur sort après leur rapatriement alimente la propagande politique. Et celle-ci à un impact direct sur les enjeux qui touchent la société française et les héritiers de l’immigration.

En témoigne cet extrait du discours de Mr Ménard, en 2015, lors de l’inauguration de la rue Hélie-de-Saint-Marc :

« Il y a 50 ans, je m’en souviens, vous vous en souvenez, nous tapions sur des casseroles en scandant « Al-gé-rie-fran-çaise ». Il faudrait aujourd’hui, avec la même ardeur, avec la même détermination, dire non à cette France métissée qu’on nous promet, qu’on nous annonce, qu’on nous vante. Dire non à cette France multiculturelle qu’on nous impose. Mais dire oui à une France fière d’elle-même, de son histoire, de ses racines judéo-chrétiennes. Cette France que pieds- noirs et harkis ont admirablement incarnée, cette France pour laquelle un Hélie de Saint Marc s’est battu pendant la résistance, en Indochine et en Algérie. Cette France que nous voulons transmettre, intacte, à nos enfants. »


Tout un programme, politique.


De nombreux soutiens sur les réseaux sociaux

#Beziers « OAS assassin ». « Algerie francaise ». On s’invective #ruedu19mars1962 pic.twitter.com/Z0nYzKSXdj

— Midi Libre Béziers (@MLBeziers) 14 mars 2015


Cette négation pur et simple, s’exprime de manière totalement décomplexée, a fortiori sur les réseaux sociaux.

En l’absence de contradiction, certains s’y donnent à coeur joie se livrant à un véritable autodafé virtuel des livres d’Histoire parlant bel et bien de « révisionnisme historique insupportable » (sic). Un comble.

Les commémorations du #19mars sont une honte et d’un révisionnisme historique insupportable.
Pour rappel, à partir des accords d’Evian, d’innombrables pieds noirs et harkis ont été massacrés, des femmes éventrées, des enfants abattus, abandonnés par l’Etat Français. pic.twitter.com/dVVP5kj1iU

— Léa ن 🇫🇷 (@LeaFrct) 19 mars 2018

Comme chaque année je ne célébrerai pas le 19 mars 1962 symbole de la trahison et de l’abandon des Harkis et Pieds-noirs en Algérie . #19mars #harkis #algerie #piedsnoirs pic.twitter.com/GSUhFxzC1P

— BACOU Julien (@BacouJulien) 19 mars 2018


Dans la même veine, certains y ajoutent une dose homéopathique de « racisme anti-blancs » dans cette commémoration du 19 mars, qui rappelons à ce stade de l’article une nouvelle fois : commémore le cessez-le-feu de la Guerre d’Algérie, et donc, l’ensemble des victimes mortes, torturées, lors de cette guerre pour l’indépendance.

Et c’est bien là, le coeur du problème : l’Algérie reste un sujet « trop sensible ». Et qui s’y frotte, s’y pique. D’où l’absence de réactions de voix politiques pour dénoncer cette réinterprétation de l’Histoire récurrente de l’extrême-droite.

Une autre question reste sans réponse : qu’en est-il de cet élu de la République qui semble vouloir imposer sa vision de l’Histoire de France, en imposant ce qui a tout de « nouvelles traditions » au sein d’une commune française ?

Mettre un drapeau en berne est un geste symbolique fort.

Or la République n’est-elle pas une et indivisible ? L’unité, elle, commence sous le même drapeau.
S

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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