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Jacques-Marie Bourget: « Le reporter de guerre n’est pas protégé comme un civil »

Le 21 octobre 2000, Jacques-Marie Bourget, alors grand reporter pour Paris Match, était gravement touché au poumon par un tir de l’armée israélienne. Après 18 ans de bras de fer avec Israël, il sera bien indemnisé par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Une victoire importante pour les correspondants de guerre, jusqu’ici livrés à leur sort en cas de blessure.

 

Nadia Henni-Moulaï : Le 21 octobre 2000, alors correspondant de guerre pour Paris-Match, vous étiez blessé par balles à Ramallah en Palestine occupée. Un tir de l’armée israélienne reçu au poumon gauche. Il vous a fallu 18 ans pour obtenir une indemnisation auprès du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Une victoire à l’arrachée. Comment l’expliquez-vous ?

Jacques-Marie Bourget : J’y vois une explication politique. Si j’avais été blessé en Yougoslavie par les soldats de Milosevic, j’aurais certainement reçu trois médailles. Or, dans ce cas précis, je l’ai été par l’armée israélienne. Ce qui change tout. Les juges, en première instance, ont d’abord préjugé de la raison du tir. Selon eux, Israël étant une démocratie, cette balle se justifiait certainement. Critiquer ce soldat revenait à critiquer Israël, ce qui selon les magistrats n’était pas leur rôle.

Le deuxième jugement est venu nuancer cette première décision. Si les juges ont bien concédé qu’un militaire avait tiré sur un journaliste,  il s’agissait, peut être et selon eux, d’une balle perdue. Ils ne sont pas allés au bout de la démarche et ils ont rédigé une décision de façon ambigüe.

N.H-M : Cette décision en Cour d’appel sonne enfin comme une reconnaissance…

J-M.B : Oui. Après la cassation mon cas est revenu en appel. Le jugement dit clairement qu’un soldat ne peut pas tirer sur un journaliste, sur un civil qui n’est pas un combattant. Je suis, donc, éligible à une indemnisation symbolique. Au-delà de l’argent, ces 18 ans de procédure montrent surtout comment Israël est passé outre le droit. Après ma première plainte, en 2001 pour « tentative d’homicide volontaire »,  l’état israélien a mis quatre ans pour répondre à la justice française.

N.H-M: Pourquoi ?

J-M.B : Parce qu’il se moque du reste du monde et de la France en particulier ! Tel Aviv a dit que mon dossier était secret et a envoyé la justice française balader. Finalement, faute de pouvoir instruire, le Tribunal de Paris a déclaré un non-lieu. Je me suis alors tourné vers le FGTI.  C’est l’honneur de ces juges qui viennent, le 21 juin, de rendre cette décision qui va faire jurisprudence pour les journalistes blessés en zone de guerre.

N.H-M: Au-delà de votre cas personnel, c’est aussi la question de la protection des reporters en zone de conflits qui est soulevée…

J-M.B: Tout à fait. Il faut savoir qu’un journaliste envoyé par un puissant média bénéficie d’une assurance en cas de blessure, ce que ne peut pas se permettre un free-lance.

Comme j’étais en mission pour Paris Match, j’ai donc pu obtenir une assurance. Mais, au départ, le Fonds de Garantie me dit d’aller plaider ma cause devant la Cour européenne de justice. Cela montre bien que le statut du journaliste est à part.  Le reporter, qui est un civil, n’est pas traité en civil ! Ce qui est une vraie injustice. Alors que le touriste blessé dans un conflit ou le soldat peuvent solliciter de l’état dans ce type de situation. De fait, les journalistes font face à une inégalité de traitement que cette décision rectifie.

N.H-M : Après, cette affaire, longue de 18 ans, pensez-vous qu’il y ait une spécificité liée à l’état d’Israël ?

J-M.B : Oui ! Savez-vous que la partie adverse a utilisé des méthodes honteuses pour discréditer ma plainte? J’avais, parfois, l’habitude de conclure  mes post sur Facebook par un «Et c’est ainsi qu’Allah est grand », en m’inspirant d’ Alexandre Vialatte, écrivain et chroniqueur à La Montagne, décédé en 1971. Il terminait ses chroniques sur l’air du temps par ces mots.

En face, l’on m’a alors reproché une tendance à une « radicalisation ». J’ai dû produire une attestation faite par un ami académicien certifiant que ma signature était une copie de celle de Vialatte.

Et puis, rappelons quand même qu’une fois mon poumon gauche perforé, les autorités israéliennes ont refusé de me soigner,  puis 36 heures plus tard, entravé le passage de l’ambulance me conduisant à l’aéroport. J’ai été opéré par des médecins palestiniens, habitués à la chirurgie de guerre hélas. Et même l’accès à l’avion sanitaire me ramenant à Paris a été bloqué. Jacques Chirac est intervenu pour le « délivrer ».

N.H-M : Comment la corporation des journalistes a-t-elle soutenu votre cas ?

J-M.B : En 2001, Reporter Sans Frontière m’a soutenu. C’était un peu obligé, pour eux, de se porter partie civile. Mais Robert Ménard, alors président, a abandonné la défense de mon cas. Des  confrères sont venus me voir en me conseillant de me taire et de ne pas porter plainte, le silence. Autre argument entendu aussi, contre moi, la légitimité d’Israël à tirer. « Il devait y avoir une bonne raison… ». Le mépris…Aujourd’hui j’espère fortement qu’après notre succès en Cour d’appel, le gouvernement français, une fois de plus, ne va pas aller devant la Cour de Cassation…

N.H-M : Il y a un an Emmanuel Macron parlait de « l’antisionisme comme d’une forme réinventée de l’antisémitisme ». Aujourd’hui, le gouvernement de Benjamin Netanyahu remet un texte sur la table pour interdire de filmer les soldats en exercice. Qu’en dites-vous ?

J-M.B : Oui, c’est la grande tendance du moment. Cet argument, assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme, illustre un courant mondial. Créer une forme de censure et par répercussion inciter à l’autocensure des journalistes, ce qui est vraiment inquiétant. Et concernant le projet israélien, ce serait contraire à toutes les lois de la presse. Il s’agit de faire croire que, quand le crime est caché, il n’existe pas.

 

Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï

 

 

 

 

 

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