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Merci aux « femmes voilées » de vendre du Coca

[#Billet d’humeur]

« Le journalisme, c’est porter la plume dans la plaie ». Disait-il. Ceux qui ont choisi la profession de « professionnel de l’information » reconnaîtront la référence à la citation du père fondateur, cité au moins une fois dans une copie double de devoir d’école de journalisme (comme pour montrer à quel point on connaît ses classiques), j’ai nommé Albert Londres, dont le prix éponyme récompense les plus valeureux d’entre nous. C’est beau, n’est-ce pas. Tellement beau qu’on y croirait presque. Et si pour vérifier si les plumes sont effectivement bien portées dans les plaies, nous allumions le journal télévisé…

Depuis maître Londres, c’est vrai, nous avons évolué en matière de journalisme. Bah oui, quoi. La plume, c’est une image poétique, mais au 21es, au règne de l’image, les journalistes ont troqué l’encrier contre le clavier. Les smartphones et les réseaux sociaux nous ont ouvert une faille spatio-temporelle vers le futur, facilitant a priori toutes les difficultés du métier.

Les performantes caméras permettent de filmer des sujets de terrain, avec une technicité remarquable, offrant des rushs toujours de meilleure qualité. Des plateaux toujours mieux équipés : lumières, sons, directs… Bref, nous sommes, journalistes, à la pointe de la technique. C’est vrai, sur le plan de la forme… Rien à redire, les journalistes savent faire.

Du côté du fond : « Houston, on a un problème ». De sacrés problèmes, même. Où sont passés les beaux idéaux ? Journalistes, qui enquêtent et démasquent les truands, sortent les affaires. Journalistes, tenants du « Quatrième pouvoir ». Journalistes,  assoiffés de justice et de liberté. Que nenni ! Balivernes. À d’autres. Bien sûr, je me fendrais d’un dislaimer à tous ceux qui me diront « il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac » ou encore, « heureusement il y a encore de vrais journalistes qui font bien leur travail ».


Il n’est pas question d’eux ici. J’en profite pour les saluer. Ils se reconnaîtront et ne font généralement pas ce métier pour la reconnaissance des lecteurs, ni la lumière des projecteurs. Quand bien même ils représenteraient la partie immergée de l’iceberg de la profession.

La critique ici, porte sur la partie bien trop visible de l’iceberg. Celle qui salit les efforts de toute une profession. Celle qui instrumentalise, au quotidien, le débat. Celle qui subtilise la pensée et la bâillonne. Celle qui, de façon insipide, divise. Celle que nos impôts subventionnent via les aides directes et indirectes à la presse. On y reviendra dans un papier dédié.


Zapper tue l’info

En matière d’information audiovisuelle, l’ivraie domine le bon grain. Les récentes polémiques n’ont cessé de confirmer la tendance. Alors quand les chaînes d’information continue et leurs suiveurs sévissent, il en va de la responsabilité des Français de soutenir l’information indépendante et de dénoncer ce qui relève de la propagande. Et de se saisir du débat public, en tant que citoyens, plutôt que d’en subir, passivement, les effets.

Ce qui nous mène au titre provocateur de ce papier. Clairement, en France, nous sommes devenus des habitués des sujets sur la thématique du « voile » de « la femme musulmane ». Loin de moi, l’idée de censurer le traitement de ce sujet, mais tout de même !


Entre le 11 octobre et le 17 octobre 2019 :

« Ce ne sont pas moins de 85 débats sur ce seul sujet qui ont eu lieu sur LCI, CNews, Franceinfo et BFMTV. Au total, CheckNews a recensé 286 interventions sur ce thème (dont quelques personnes ont été invitées plusieurs fois pour discuter du même sujet). Aucune femme voilée n’a participé à ces débats, »



Chiffre de CheckNews, qui a pris le temps de faire le compte.


Si nous étions paranos, nous irions dénoncer fissa les rédacteurs en chef de toutes ces rédactions pour radicalisation islamique. Clairement, on n’a jamais autant entendu parler d’islam. Et plus les polémiques durent et enflent, plus on observe, paradoxalement, des conversions et un intérêt grandissant pour le culte musulman.

Si nous poussions la paranoïa (car il faut rester « vigilant ») jusqu’au bout nous dirions que ces rédactions cachent peut-être à leur tête des salafistes des Frères musulmans, adepte de la taqîya (où technique de dissimulation). Nous duperaient-ils à coup de punchlines discriminatoires pour en réalité, propager l’islam radical ? (Ah oui, les gars, faut faire attention. La barbe ne fait pas le djihadiste. Et la réciproque est vraie). Rappelons au passage que les termes en gras sont devenus monnaie courante dans le jargon public et ont été popularisés par les médias.

Bref, après cette parenthèse ironique. Revenons  à nos moutons (et pas ceux de l’Aïd Al Kebir, détendez-vous). 

Pour citer de nombreuses femmes et hommes politiques, beaucoup d’éditorialistes en France,

« la France a un problème avec l’islam ».


En effet, la France a un sacré problème. Pas avec l’islam, mais plutôt avec le traitement médiatique des sujets liés à l’islam. Dans leurs courses à l’échalote, nos médias mainstream ont perdu leurs journalistes. Qui eux-mêmes se sont laissés prendre, par nécessité ou par adhésion, au jeu de l’audience, et ont perdu de vue l’objet même de leur mission : informer.

Je m’explique par un exemple. Le sondage du Journal Du Dimanche, publié le 26 octobre 2019, « une grande majorité de la population souhaite une interdiction de plus en plus large des signes religieux ostensibles ».

Les Français ont parlé, fin du game ?


Tout ceci est le substrat d’une enquête menée par l’Ifop pour le JDD. Le tout publié dans une édition des plus sérieuses titrée « Ce que veulent les Français ». Sauf qu’en épluchant le tout, c’est bien la question de « la santé » qui reste la préoccupation principale des sondés.




Franchement de qui se moque-t-on ? En 2019, cette propagande à la va-comme-je-te-pousse, en Une d’une feuille de choux d’un autre temps, me ferait, presque sourire. Je dis presque, parce qu’intérieurement, c’est la lamentation. S’il en allait de la simple anecdote, elle serait risible.

Mais, diable ! Grands Dieux ! Doux Jésus ! Par tous les Saints ! (Attention je suis sur une pente dangereuse avec ces expressions… Vite, je me remets en mode loi de 1905). Quelle mouche a piqué tous ces journalistes ? S’écharper pour une écharpe ? N’a-t-on toujours rien de mieux à faire ? D’autres sujets, d’autres angles à traiter. Pour certains médias, il semblerait bien que non.

Le suivi de l’agenda politique, le racolage avec la petite phrase du politique choc, semblent visiblement bien plus nécessaire pour faire du chiffre.

Je m’explique par un exemple. À l’école de journalisme, ne disons-nous pas que les interlocuteurs interrogés doivent être pertinents ? Des médias, dont je tairai les noms ont eu l’idée d’inviter le belliqueux Eric Zemmour  ou encore la députée européenne Nadine Morano pour exprimer leurs opinions sur la question. Pas besoin de m’étaler dans une argumentation détaillée et construite pour démonter leurs discours xénophobe, homophobe, etc. pour comprendre à quel point nous sommes loin de la pertinence. En trois lettres : M-D-R.


Le président E. Macron a tout de même voulu ramener le calme après la tempête médiatique, déclarant :

 « Le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire. Dans les services publics, à l’école, c’est mon affaire. Dans les services publics, il y a un devoir de neutralité. Quand on éduque nos enfants, on demande qu’il n’y ait pas de signe religieux ostentatoires. Après, ce qui se passe dans l’espace public, c’est pas l’affaire de l’Etat ou du président de la République. »

Emmanuel Macron

Clairement, « le voile » en France, les Français— dans leur grande majorité tolérants et ouverts d’esprit— s’en tamponnaient carrément. C’était un non-événement. Je vous épargnerai ici l’historique, depuis l’ « affaire » de Creil en 1989… qui a d’ailleurs été érigée au rang « d’affaire » par les médias audiovisuels notamment, avides d’audimat.



Aujourd’hui, le problème se situe à son point d’orgue au niveau de la visibilité de certains musulmans en France et de leurs pratiques cultuelles. Car c’est bien de cela dont il est en réalité question et les médias et les politiques en portent la responsabilité partagée.


Cela donne lieu à des scènes surréalistes. Comme celle jouée par le sénateur de Moselle, Jean-Louis Masson, qui compare les mamans voilées aux « sorcières d’Halloween ».

« On va sortir des sorcières de Halloween pour mettre les enfants lors des voyages scolaires, mais c’est scandaleux !  » Et de conclure : « S’ils ne sont pas contents ils n’ont cas retourner d’où ils viennent ! » 

Au Sénat, le député Jean-Louis Masson.


Alors, oui. Le terrorisme existe et la violence des Hommes aussi. Mais ils représentent les fruits de l’esprit et des actions des Hommes. Les journalistes, en bons êtres humains, n’ont pas de prise sur les événements. Mais ils ont la responsabilité de mettre en lumière, d’expliquer et de ne pas mentir par association d’idées et représentations biaisées.

Informer, oui. C’est le rôle des journalistes. Débattre, oui. Donner la parole, oui. Ne pas se censurer, oui. Ayons aujourd’hui l’honnêteté intellectuelle de dire, à quel point, dans ce métier, le vrai journalisme fout le camp.

Le climat hostile, suspicieux, emprunt de médiocrité et d’arrogance, où chacun crache son venin à qui veut bien lui prêter son visage sur un plateau télé ou sur les réseaux sociaux, laisse un goût amer et détestable.


Ce venin s’est répandu dans l’opinion publique comme une trainée de poudre ces dernières années, beaucoup de gens lambda (comme on les appelle aussi dans le jargon) en font encore les frais. Une odeur de naphtaline rappelle les heures sombres d’une Histoire qui, même si elle ne se répète pas, je crois, à tendance à rimer.

Téléspectateurs, attention, donc, à l’exposition à la lumière bleue de vos écrans et la soumission volontaire à ces logorrhées vicieuses. Attention à cette soumission volontaire à ses liposuccions répétées du cerveau, qu’on retrouve sur les réseaux sociaux et qu’on s’impose.

Ces débats à en perdre la tête, avec ces Scapinos peu scrupuleux, qui vendent vos « temps de cerveau humain disponible ». Rendons d’ailleurs à César, l’expression formulée en 2004. Merci Patrick Le Lay d’avoir averti les publics. Le président-directeur général du groupe TF1, déclarait alors ce que la chaîne de télévision TF1 vendait à ses annonceurs : 

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

En tant que journalistes, soyons honnêtes. Appelons un voile, un voile. La défense de liberté de la femme, d’égalité ou de lutte contre l’obscurantisme, on n’en a cure, en France. Et remercions chaleureusement « la femme voilée » de nous aider à vendre du Coca-Cola. CQFD.

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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