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Marianne avant tout

[#Interview]

Elles sont sept femmes. Françaises et musulmanes. Dans Marianne, un documentaire en cours de réalisation, Valentina Canavesio, franco-américaine donne la parole à différentes femmes. A leur manière, elles racontent leur place dans la société française. Une démarche au long cours nécessaire. 

Marianne est un documentaire qui suit sept femmes, françaises et musulmanes. Quelles soient nées dans cette religion ou s’y sont converties, qu’elles portent le foulard ou pas, elles prennent la parole, défiant l’idée uniforme présentée par les médias et les politiciens de la femme musulmane « soumise”.


Marianne_Trailer_VF from Valentina Canavesio on Vimeo.




Ce documentaire est né d’une réponse à une conversation sur Facebook… Racontez-nous ?

Valentina Canavesio : Ce film est né en réponse à une dispute sur Facebook avec une ancienne connaissance du lycée. Elle avait écrit qu’elle en avait marre de voir des femmes voilées dans la rue, que la religion on devrait la garder chez soi plutôt que de l’imposer aux autres. 

Je n’ai pas pu résister que de lui faire remarquer que la laïcité était elle-même appliquée comme un dogme et loin d’être une position neutre. 

Emmanuelle.


Puis la conversation a évolué sur le droit des femmes – où, la encore, j’ai fait remarquer que le droit des femmes c’est de s’habiller comme elles le veulent – que ça soit en mini-jupe ou avec un foulard et qu’on a pas à imposer une tenue vestimentaire sur les femmes.

Narimène.

De là ça s’est empiré -je me suis fais attaquée par des personnes que je ne connaissais pas sur mes positions – j’ai été assez horrifiée par les commentaires sur les femmes musulmanes- en fait ils ne parlaient pas « des » femmes, mais de « la » femme musulmane – comme si elles étaient toutes pareilles, une idée uniforme. 

Puis on m’a dit que le jour où je me ferais lapider parce que je ne porte pas un voile, mes positions changeraient… 

Ces commentaires ne venaient pas de gens de droite, mais a priori de gauche. 

Leïla.

« Il n’y a qu’en France qu’il y a une telle focalisation sur ce que les femmes portent sur la tête. »

Valentina Canavesio


N’habitant plus en France depuis plus de 10 ans, je crois que je n’avais vraiment pas réalisé jusqu’à ce moment-là, à quel point la situation s’était détériorée au point que les gens puissent faire ce genre de commentaire publiquement, sans en avoir honte. 

Ça a était le point de départ. Une envie de défier les stéréotypes, de montrer les femmes musulmanes dans toutes leurs diversités et nuances. Mais aussi une opportunité d’encourager plus de réflexion sur certaines positions françaises qui paraissent évidentes mais qui ne le sont pas, quand on prend du recul. 


Quel est le pitch du film ?

Valentina Canavesio : Marianne suit sept femmes musulmanes françaises – portant le foulard ou pas, nées dans l’Islam ou converties- qui reprennent le récit de leur vie, défiant ainsi l’idée monolithique de « la femme musulmane soumise » créée par les médias et les politiciens français. 

Dans un contexte national où la laïcité est de plus en plus utilisée comme un outil d’exclusion, elles poussent le spectateur à remettre en question ses propres présomptions sur la liberté, le féminisme, et l’identité nationale.


Vous avez financé ce projet sur vos fonds personnels. Aujourd’hui, vous lancez une campagne pour le financement du film…

Valentina Canavesio : Cela va faire près de trois ans que je travaille sur ce film sans aucun soutien financier. 

Cela dit, j’ai eu la chance qu’une monteuse française, Anne-Laure D’hooghe, elle aussi basée à New-York, s’intéresse au projet et convainc la boîte de post-production dans laquelle elle travaille de prendre le projet en pro-bono. 

Du coup, elle y travaillais entre deux publicités ici et là et c’est comme ça qu’on a progressé. 

Aujourd’hui on y est presque mais je n’ais pas les fonds personnels pour financer les dernières étapes du montage (étalonnage, mixage, droit d’archives, musique, etc.) et puis son éventuel sortie en salles. 


Maïmouna.

J’ai donc lancé une campagne de crowdfunding dans l’espoir de lever les fonds pour finir le film. 

Je sais des nombreux messages de soutien qu’on a reçu, qu’on a un public qui attend la sortie du film- mais pour cela on a besoin de votre aide !

Il nous reste deux semaines pour lever les fonds sur la plateforme KissKissBankBank. Si on n’atteint pas notre objectif, on ne reçoit rien- les carte de crédits ne sont débitées qu’à la fin. 




Quel regard portez-vous sur les multiples polémiques françaises autour du voile étant donné que vous vivez à l’étranger ?

Valentina Canavesio : Je vis maintenant depuis près de 15 ans à New York- même si je rentre fréquemment en France, surtout avec les tournages pour le film. J’ai donc du recul sur ce qui se passe et puis surtout une autre perspective. 

De l’étranger, ces polémiques semblent non seulement ridicules, mais ont aussi un caractère vraiment obsessif – il n’y a qu’en France qu’il y a une telle focalisation sur ce que les femmes portent sur la tête. 

Et puis surtout, à chaque fois que je regarde en ligne les émissions télés pour voir ce qui se dit – c’est la plupart du temps des hommes qui sont en train de débattre entre eux l’intention de ces femmes- sans que les premières concernées n’aient jamais leur mot à dire dessus. 

Ça me paraît tellement hypocrite- la devise Liberté, Égalité, Fraternité semble avoir perdu tout son sens. Quand je raconte ces polémiques aux Américains, ils ont vraiment du mal à comprendre. 

Mon fils vient de rentrer à la maternelle de l’école public de notre quartier. Il y a une association des parents d’élèves très engagée et la co-présidente est une maman qui porte le foulard… il y a aussi des membres du personnel de l’école -notamment des accompagnatrices -qui le portent aussi. Ça ne pose aucun problème. Au contraire, c’est vu comme un atout d’avoir tant de diversité au sein de l’école.  

Après, je ne dis pas que les États-Unis sont parfaits, loin de là – il y a notamment une montée d’islamophobie ici aussi – surtout depuis l’élection de Trump. 

Mais de manière générale, les gens sont accepté avec leurs différences- que ça soit leur religion, leurs origines, etc. Au final, il y a plus de liberté  ici d’être soi-même, de vivre sa vie comme on le souhaite, surtout à New-York.



Comment avez-vous sélectionné les femmes interviewées dans ton documentaire?

Valentina Canavesio : Il y a sept femmes dans mon film – je n’ai pas commencé avec d’idée précise, mis-à-part une envie de montrer des femmes diverses, d’origines et de pratiques différentes. 

Je crois que je suis tombée sur chacune d’elles un peu par hasard. Je n’ai pas fait de « casting » ou d’entretiens, c’est plutôt qu’on s’est retrouvé sur le même chemin. 

Il y avait aussi deux autres femmes avec qui j’avais commencé à filmer, mais j’ai vite réalisé qu’elles étaient trop réservées – ce qui n’est pas un reproche – mais je savais que pour mon film j’avais besoin de femmes qui seraient vraiment prêtent à s’ouvrir à moi.

Je crois que chacune des femmes dans mon film brise les stéréotypes que les gens peuvent avoir sur les femmes musulmanes – elles ne sont certainement pas soumises ou radicalisées – même si certaines d’entre elles portent un foulard. 

Saïma.

Elles sont toutes passionnées, intelligentes et réfléchies. Elles sont pleines de nuances. Cela dit, elles ne sont pas des exceptions– elles sont une représentation (parmi d’autres) des millions de femmes musulmanes de ce pays. 

Pour contraste avec le vécu en France, Saïma est la seule des protagonistes du film qui n’y vit plus – elle est basée à Londres, où en 11 ans elle s’est construit une vie en partant de rien : arrivée sans parler la langue, abandonnée par son mari et ses trois enfants dans une centre pour sans-abris – elle est maintenant adjointe au maire d’un des districtes de Londres. 

C’est une femme incroyable qui est toujours au service des autres. Quelle perte pour la France de ne pas donner plus d’opportunités à toutes ses femmes. 



Concrètement, qu’espérez-vous apporter avec ce documentaire ?

Valentina Canavesio : J’espère faire une modeste contribution à la vague de nouveaux films qui font petit à petit leur apparition dans le paysage français (souvent en mode d’auto-distribution) et qui offrent une autre perspective, une autre façon de voir et de comprendre les choses. 

Ce film, Marianne, offre une plateforme à des voix diverses qui, je l’espère, seront non seulement entendues, mais aussi écoutées.  

Mon rêve c’est d’avoir des projections-débats où les gens pourront échanger et peut-être, que le public en sortira changé. 

Il y a quelques mois, j’ai fait un test screening avec une douzaine de personnes pour avoir leur feedback sur le montage du film. 

Le plus beau compliment qu’on m’ait fait vient d’une amie Américaine qui porte le hijab – elle m’a dit avoir été profondément émue car c’était la première fois qu’elle se voyait représentée de manière authentique dans un film. 

Si ça s’arrêtait là je serais contente mais au-delà d’un public musulman, j’espère vraiment que le film touchera aussi un public non-musulman et ouvrira les esprits.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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