La spirale infernale de la violence à Baltimore
« Charm City », c’est le surnom de Baltimore. On pourrait y croire en se promenant sur les quais de son port de plaisance bordé de restaurants, de jolis gratte-ciel et d’un aquarium d’envergure nationale. Mais le charme est éphémère. Sorti du centre, la ville est bordée à l’est et à l’ouest par deux ghettos noirs où pauvreté extrême et trafic de drogue engendrent des règlements de compte entre bandes rivales mais aussi une forte tension entre policiers et habitants. La ville et les travailleurs sociaux sont sur tous les fronts pour combattre cette violence qui donne à la ville une réputation sulfureuse.
Annapolis, capitale du Maryland, a des allures de banlieue cossue et verdoyante. Le soleil illumine de mille feux les bureaux de Macro (Mediation & Conflict Resolution Office) une structure dépendant du ministère de la justice du Maryland. Macro intervient en amont des procédures judiciaires pour résoudre des conflits.
Elle sollicite les jeunes pour faire de la médiation dans les écoles mais aussi les forces de l’ordre pour renouer le lien entre les habitants et leur police. Un lien brisé notamment avec la communauté noire depuis 2015.
Baltimore, la plus grande ville de l’Etat située à une petite demi-heure d’Annapolis avait connu des émeutes sans précédent après la mort de Freddie Gray.
Ce jeune homme à vélo avait été arrêté sans raison par la police. A plat ventre, pieds et mains liés dans le fourgon de la police, il décède une semaine plus tard d’une grave blessure aux vertèbres cervicales. Les émeutes urbaines avaient nécessité un couvre-feu et l’envoi de la garde nationale.
Jennifer, responsable judiciaire de Macro s’éclate de rire lorsqu’on lui demande si la série The Wire (« Sur écoute ») rend compte honnêtement de la dangerosité de Baltimore.
« Il ne faut pas croire à ce que vous regardez à la télévision, c’est du cinéma, Baltimore est une ville où il fait bon vivre. ».
Cette série de David diffusée entre 2002 et 2008 sur HBO a connu un succès mondial amplifiant la réputation sulfureuse de la ville.
Centré sur le trafic de drogue, elle dresse une analyse sociologique de Baltimore à travers différentes professions (policiers, trafiquants de drogue, dockers, enseignants, politiciens et journalistes).
On y voit notamment cette obsession de la police pour les statistiques avec en ligne de mire le chiffre fatidique de 300 homicides à ne pas dépasser ce qui est en soi déjà énorme pour une ville de 650 000 habitants seulement.
La médiation pour éradiquer la violence
Au nord de Baltimore sur Greenmount avenue, on ne peut pas le louper avec sa belle fresque tout en couleur qui orne l’une de ses façades. Le centre de médiation de Baltimore a 22 ans d’histoire déjà.
Il travaille en étroite coopération avec les tribunaux de la ville. Daniel en est le directeur de recherche et coordonne l’action des bénévoles. Cet homme d’une quarantaine d’année a pour mission de former des jeunes pour résoudre les conflits dans les établissements scolaires de la ville avant que cela ne dégénère.
« Deux étudiants ont été abattus récemment. On a organisé un groupe de parole pour évacuer le stress et la tristesse » explique-t-il.
La violence est omniprésente ici. La ville a le plus haut taux de mortalité des moins de 24 ans de tout le pays. Des règlements de compte sur fond de trafic de drogue entre bandes rivales.
La directrice du centre, Shantay, est d’ailleurs absente ce jour-là, au chevet de son fils touché par une balle perdue alors qu’il attendait son bus après l’école.
Récemment, la municipalité a fait parler d’elle dans sa lutte contre la criminalité avec une opération de trois jours pour désarmer la population.
Elle rachetait 100 dollars l’arme de poing, 200 dollars le fusil semi automatique et 500 dollars le fusil automatique. 20 000 armes ont été récoltées dont un lance-roquette…
Même si le chiffre est conséquent, il faudrait beaucoup plus pour faire baisser le nombre d’homicides qui a encore dépassé la barre symbolique des 300 en 2018 avec un triste record établi à 342 morts en 2017.
Zina travaille dans les 4 prisons de Baltimore en se focalisant sur la réinsertion des jeunes détenus avant qu’ils ne sortent.
« On investit de l’argent pour les emprisonner plus que pour leur éviter la prison ! » Zina travailleuse sociale en prison
Le centre de médiation soutient les habitants lorsque des conflits affectent leurs vies personnelles. De la simple bagarre au procès, il propose une aide gratuite aux familles pour les aider dans leurs tâches éducatives ou recevoir aussi un enfant qui sort de prison. Et éviter qu’il ne replonge.
Daniel détaille clairement l’objectif :
« Nous sommes neutres, nous ne jugeons pas les autres. On crée un espace entre un médiateur et les jeunes. Tous les jeunes médiateurs sont volontaires. Nous accueillons des jeunes délinquants confrontés à la justice. On veut qu’ils puissent comprendre ce qui leur arrive et qu’ils gardent leur destinée en main. Les médiateurs reflètent la diversité de notre communauté. On prend des médiateurs en fonction du genre, de l’âge et aussi de l’ethnicité ».
Former des ex détenus pour en faire des leaders
Ces jeunes qui sortent de prison, l’organisation CLIA (Community Law In Action) s’en est fait une spécialité. L’organisation basée en plein centre-ville a monté un programme en réaction à une loi proposée dans le Maryland qui a provoqué le tollé général.
La justice du Maryland souhaite en effet durcir la loi concernant la délinquance juvénile afin que les enfants soient jugés comme des adultes. Corryne, directrice de CLIA et du programme intitulé « La voix de jeunes pour le changement communautaire » explique cette mission pour le moins originale :
« Un Conseil consultatif des jeunes a été mis en place et on forme des adolescents qui sortent de prison pour qu’ils soient de véritables leaders contre cette loi. On travaille sur le droit, la loi avec les jeunes. On a ramené notre mission vers le plaidoyer depuis 5 ans et ça marche. Il faut construire des leaders, s’assurer qu’ils ont des compétences nécessaires. On cherche des jeunes qui veulent s’en sortir on les appuie et ils se montrent à la hauteur ! Un jeune peut devenir un leader pour changer les lois ! »
L’organisation a un autre programme intitulé « Les rues sûres de Baltimore » avec des anciens membres de gang qui encouragent leurs anciens acolytes à lâcher les armes.
« Il faut savoir parler à ceux qui contrôlent ces quartiers pour pouvoir y rentrer, s’y connecter. On travaille en partenariat avec la police. Les jeunes sont impuissants dans le quartier où ils vivent. On les paie pour qu’ils fassent le programme. Ils ont entre 16 et 24 ans et sont chômeurs ou déscolarisés, souvent déprimés. ».
Café gratuit pour la police
Ce partenariat avec les forces de l’ordre est indispensable tant les relations sont tendues entre les jeunes et la police. C’est ce qu’explique Holly qui tient un café associatif à Baltimore Est l’un des deux ghettos de la ville.
Dans ce quartier, de nombreuses maisons sont emmurées et attendent d’être détruites. La misère est palpable à chaque coin de rue.
« J’étais ouvert même pendant les émeutes de 2015 (…) Les jeunes ont peur de la police de la ville réputée très violente. Le dialogue est dur à installer, »
raconte Holly qui forme et emploie exclusivement des jeunes du quartier.
A sa manière, elle tente de renouer le dialogue entre jeunes et policiers afin d’apaiser les tensions en offrant le café aux policiers de la ville. Un jour, un policier lui a demandé de se méfier d’un serveur qui a ainsi refusé de le servir en retour. Mais ils ont fini par parler ensemble.
Holly
« Ils doivent se voir comme des individus. C’est comme ça que l’on aura un changement. Une fois, une serveuse avait un mandat d’arrêt. Le policier appelé pour l’arrêter connaissait le café et a aidé la serveuse à poursuivre son travail tout en étant mise à l’épreuve judiciaire. »
Malgré ce type d’action, la méfiance et la crainte de la police prédomine donc chez les jeunes. En juillet 2016, la procureure de Baltimore a décidé d’abandonner les poursuites contre les policiers accusés du meurtre de Freddie Gray, une décision vécue comme une injustice ici.
Le ministère américain de la justice a néanmoins rendu public un rapport suite à une enquête fédérale révélant de nombreux dysfonctionnements. Le comportement de la police vis-à-vis de la population noire est pointé du doigt.
Tout est à revoir : interpellations, fouilles, arrestation. Pour ne rien arranger, six membres de la Gun Trace Task Force ont été jugés début 2018. Cette unité d’élite de la ville chargée de détruire les armes liées au trafic de drogue les revendaient aux dealers tout comme la drogue saisie…
La police de Baltimore est ainsi dans le viseur des autorités et le ministère fédéral de la justice entend faire appliquer un décret de consentement qui la force à améliorer ses pratiques sous peine de poursuites.
Suite à ce rapport, le centre de médiation de Baltimore a développé un programme de médiation entre les jeunes et la police. Beaucoup d’écoles ont des agents de police cela dégénère parfois.
Elle est présente de manière continue dans les lycées et fait des tournées dans les collèges. Le centre de médiation organise donc des réunions avec la police dans les établissements scolaires pour modifier la perception de la police.
Sur les 2500 policiers de la ville, 35 sont venus au programme de médiation en 2018.
Quatre écoles ont aussi été sélectionnées pour aller au musée avec des policiers. Un film sur la police de Baltimore a aussi été regardé « Charm city ».
Ce documentaire de Marilyn Ness sorti en octobre 2018, résultat de trois ans d’immersion dans les quartiers les plus durs de la ville, analyse les relations tumultueuses entre les jeunes et la police.
Son constat est sensiblement le même que celui de la série « The Wire » : la ville est plongée dans une spirale violente dont elle ne réussit malheureusement pas à sortir malgré l’engagement de tous ces travailleurs sociaux…
