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#MauriceAudin: « La droite et la gauche sont responsables de ce silence de 61 ans », Gilles Manceron

Emmanuel Macron a reconnu l’implication de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin, assistant de mathématiques à la fac d’Alger et communiste, arrêté le 11 juin 1957 lors de la Bataille d’Alger.

C’est auprès de son épouse Josette Audin que le chef de l’Etat a demandé « pardon » au nom de la France. Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français, analyse cet acte marquant. 61 ans après la disparition du militant de l’Algérie indépendante.

 

Nadia Henni-Moulaï : Emmanuel Macron vient de reconnaitre la responsabilité de l’Etat français dans la disparition et la mort de Maurice Audin, assistant de mathématiques. Favorable à l’indépendance de l’Algérie, il avait été arrêté le 11 juin 1957, lors de la Bataille d’Alger.

Depuis sa femme, Josette Audin, a fait de la recherche de la vérité, le combat de sa vie. En tant qu’historien, spécialiste du colonialisme français, que pensez-vous de cette décision ?

 

Gilles Manceron

Gilles Manceron : C’est une déclaration importante qui rompt avec un silence de 61 ans. Cela rompt aussi avec un message car à l’époque, des choses manifestement fausses ont été répétées par l’Etat français. Des mensonges entretenus jusqu’ici.

Pour la première fois, on a un démenti clair de l’Etat français. C’est un geste important que je compare à une autre page historique, à ce qu’a pu faire Jacques Chirac en 1995 à propos de la période de Vichy, de la collaboration et de la persécution des Juifs auquel le gouvernement s’était prêté.

Cet acte intervient, peut-être dans des conditions plus difficiles, d’ailleurs de démenti.

D’abord parce que cela a duré plus longtemps. Ensuite parce que les résistances sont plus fortes. L’institution militaire a fait des blocages et refusé de lever des mystères…

Photo de studio de Maurice et Josette Audin.


N.H-M : Est-ce une façon pour Macron de s’affirmer en tant que chef de l’Etat, face aux institutions, comme il a pu le faire depuis son élection ? On se rappelle de « l’affrontement » avec le général de Villiers, avant que celui-ci ne démissionne, en juin 2017.

G.M : Alors on peut toujours se livrer à des conjectures par rapport à sa stratégie, son positionnement face à l’opinion et aux institutions. Il y a peut-être une forme de démarche intéressée de sa part.

Mais, cela ne va pas dans le sens, celui de plaire à l’institution militaire qui a plutôt connu des divisions. D’autant qu’elle n’aime pas parler de la Guerre d’Algérie.

En revanche, on imagine que cette démarche plaira à une opposition. A la Fête de l’humanité, prévue ce week-end, les discussions vont tourner autour de cet événement. Et c’est une satisfaction.

Par rapport à l’Histoire de France et à la longue durée, on sait que des machinations, il y en a eu d’autres.

Pour l’affaire Dreyfus, il a fallu 12 ans pour innocenter le capitaine incriminé, pour que la vérité soit reconnue. Or, dans cette affaire, il a fallu 61 ans. C’est énorme mais cela s’explique par des lenteurs et des résistances.

N.H-M : Le passif de la Guerre d’Algérie est loin d’être soldé. Ces résistances concernent-elles uniquement l’armée ?

G.M : Les responsabilités dans ce long silence et ce déni sont partagées. Il y a, certes, l’institution militaire mais aussi les différentes forces politiques françaises qui se sont peu ou prou fourvoyées dans cette période de l’Histoire. La droite s’est profondément divisée.

Le général de Gaulle a eu contre lui une partie de ceux qui l’avaient soutenu en 1958 et qui ensuite ont essayé de l’assassiner, c’est-à-dire  l’OAS, que Jacques Soustelle, l’un des anciens ministres du général, a rejoint. Une fracture qui rappelle celle sous Vichy, entre pétainistes et gaullistes.

 

N.H-M : On parle de la droite mais c’est surtout le silence de la gauche qui résonne dans l’affaire Audin…

 

G.M : Oui, effectivement même si je pense qu’il faut pointer cette droite au pouvoir sous Pompidou, Giscard puis sous Chirac et Sarkozy. Elle a des responsabilités car elle a tenu à rester au pouvoir et faire oublier cette division profonde.

Mais, oui la gauche, Guy Mollet puis Maurice Bourgès-Maunoury, était au pouvoir lors de l’affaire Audin, en 1956-1957.  La majorité de gauche au Parlement s’est fourvoyée dans cette guerre coloniale. Elle a eu du mal à le reconnaître.

François Mitterrand qui a été président de la République pendant 14 ans, se fâchait quand des journalistes lui parlaient de cette période.

Mais Mitterrand comme ministre de la justice de Guy Mollet, a donné son feu vert à 45 condamnations à la guillotine de militants algériens.

C’est une période où certaines de ses déclarations sont problématiques.

N.H-M : Est-ce que politiquement Macron prend un risque en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans la mort Maurice Audin ?

 

G.M : Oui, bien sûr. A mon avis, c’est un risque notamment vis-à-vis de la frange la plus nationaliste de la population. On se souvient de son voyage, en février 2017, en Algérie pendant la campagne pour les présidentielles.

Il avait comparé la colonisation à un crime contre l’humanité. Aussitôt, quand il avait donné une réunion publique à Toulon, l’ extrême droite avait organisé des manifestations hostiles de la région PACA, dans le Var notamment.

Il prend le risque de se couper de cette partie de l’opinion. Mais, je ne lui en tiens pas rigueur, loin de là. Car si cette partie de l’opinion est si forte, avec l’émergence du FN dès les années 80, c’est aussi parce le travail sur cette page coloniale de notre histoire n’a pas été fait. Elle prospère sur la base de l’ignorance de nos concitoyens.

 

N.H-M : Avec une forte communauté de Français, héritiers de l’immigration algérienne, Emmanuel Macron n’est-il pas aussi dans une stratégie électorale vis-à-vis d’eux ?

 

G.M : On peut le penser mais je ne suis pas favorable à l’idée de privilégier ce soupçon. Cette histoire ne concerne pas seulement les descendants d’Algériens mais toutes les forces politiques de la France. On peut le penser mais ce n’est pas l’essentiel.

N.H-M : Cet acte de Macron peut-il ouvrir la voie à d’autres gestes forts pour solder cette histoire si délicate de la Guerre d’Algérie ?

 

G.M : Il me semble que oui. Il fait appel à l’ouverture des archives et à l’expression de témoignages. Il libère de leur consigne de silence des militaires et des personnes qui auraient des choses à dire sur cette page de l’Histoire.

Dans ces conditions, on peut penser que le dossier va se compléter. L’association Maurice Audin à laquelle je participe va lancer un site 1000autres.org, d’ici quelques jours.

Le but est de donner un millier de cas équivalent à celui de Maurice Audin. Le dossier va s’alourdir et il appartiendra aux institutions de la République d’en tirer les conclusions.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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